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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

Plutarque: Les dicts notables des Lacédémoniens (choix par Béthune)

16 Mars 2014 , Rédigé par Béthune

Sparte est totalement absente, bannie, des programmes scolaires depuis de longues années. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi: c'est parce Sparte était une aristocratie, qu'on y méprisait l'argent et le luxe, qu'on y aimait la liberté et qu'on y détestait la tyrannie, jusqu'à sa décadence, qui provoqua sa chute (bataille de Leuctres gagnée par le général thébain Epaminondas*, le 6 juillet 371 avant J.-C.). La trop célèbre cryptie, légende noire de Sparte, n'est qu'un aspect, un signe de cette décadence.

Interviewé sur Radio Notre-Dame le lundi 7 avril 2014 à 7h45, le géopoliticien Pascal Gauchon, directeur de la revue Conflits, rappellait que Sparte était aussi toujours pour la paix, contrairement à Athènes, parce que, consciente de sa supériorité militaire, elle ne souhaitait pas aguerrir ses ennemis en les combattant trop.

Or, au XXIe siècle, notre planète est gouvernée par la tyrannie de la ploutocratie et de ses idées: l'économie marchande. Système vil et destructeur pour l'homme et pour la nature dont il fait partie. La guerre est son arme, et jamais, depuis que l'économie marchande a été au pouvoir, les guerres n'ont été aussi systématiques, générales et destructrices pour l'hommme et pour la nature.

Sparte a joué un rôle de premier plan dans la Grèce antique et, par son exemple et sa réputation, bien au-delà. Les seuls monuments qu'elle a laissés à la postérité sont ses hauts faits et ses paroles immortelles. C'est pourquoi le texte de Plutarque, Les Dicts des Lacédémoniens, publié dans ses Oeuvres philosophiques et morales, est un trésor qu'il faut transmettre, ce que nous avons fait. Amyot a été le premier à le traduire en français. Plutarque était la lecture favorite de notre bon roi Henri IV.

Béthune

* Epaminondas fut le plus grand homme de tout son temps et peut-être de toute l'histoire de l'Antiquité. Plutarque avait raconté sa vie dans Les vies parallèles des hommes illustres. Elle s'est malheureusement perdue.

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89paminondas

 

"A supposer que Sparte soit dévastée et que seuls subsistent les sanctuaires et les fondations de ses édifices, les générations qui viendraient dans un lointain futur douteraient fort, je pense, que sa puissance réelle eût été à la hauteur de son prestigieux souvenir. Et pourtant, les deux cinquièmes du Péloponnèse sont directement soumis à son autorité et son hégémonie s'exerce sur l'ensemble de la péninsule, ainsi qu'au dehors sur un grand nombre de cités alliées. Néanmoins, parce qu'il n'y a pas d'agglomération centrale, parce que les sanctuaires et les monuments sont modestes, parce que, comme c'était autrefois le cas dans toute la Grèce, les Lacédémoniens vivent disséminés en bourgades, on pourrait croire que Sparte n'était qu'une puissance de second ordre. Qu'Athènes en revanche vienne à subir le même sort, le spectacle qu'offriraient les vestiges de cette ville ferait croire que sa puissance était double de ce qu'elle est en réalité."

Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, I, p. 699. Edition de la Pléiade (Gallimard).

 

" L'ancienneté et la multiplicité des sciences sont plus grandes en Crète et à Lacédémone que dans le reste de la Grèce, et il s'y trouve un plus grand nombre de savants. Ils s'en défendent, et font semblant d'être ignorants, pour ne pas donner à connaître qu'ils l'emportent sur les Grecs du côté du savoir, et pour ne faire sentir leur supériorité que dans l'art de la guerre, persuadés que si l'on connaissait ce qu'ils sont, on voudrait suivre leur méthode ; ils la cachent donc, et par ce moyen ils ont fait prendre le change à des étrangers qui les veulent imiter... Les Lacédémoniens sont parfaitement bien élevés dans les sciences et dans les belles-lettres ; de sorte que si l'on veut lier conversation avec quelqu'un de leurs citoyens, fût-ce le dernier de tous, on pourra lui trouver d'abord un air de grossièreté dans le discours ; mais ensuite, quand il entre dans la matière, il s'énonce avec une dignité, une précision, une finesse, qui rendent ses paroles comme autant de traits perçants... Sur cela, quelques anciens avaient déjà compris, et les modernes le reconnaissent, que la maxime des Lacédémoniens est de s'attacher à la philosophie beaucoup plus qu'aux exercices du corps. On a senti que le talent de la parole, porté à ce point, n'appartient qu'à des hommes parfaitement instruits ".

Platon, Protagoras. Cité par Ricard : Notes sur la vie de Lycurgue, in Plutarque : Vies des hommes illustres, p. 179.

 

 

 Passage intégral du Protagoras de Platon

 

" C'est en Crète et à Lacédémone, en effet, plus que nulle part ailleurs en Grèce, que le désir pour le savoir existe depuis le plus longtemps et est le plus répandu, et [342b] c'est également là, à cet endroit de la terre, qu'il y a le plus de sophistes ; mais ces peuples le nient, et feignent d'être ignorants, comme les sophistes dont Protagoras parlait tout à l'heure, afin de ne pas laisser transparaître qu'ils doivent au savoir leur supériorité sur les autres Grecs, et de faire croire qu'ils la doivent à leur art du combat et à leur courage : ils pensent en effet que les autres peuples se mettraient tous à pratiquer, eux aussi, le savoir, s'ils apprenaient que c'est à lui qu'ils doivent leur supériorité. Par cette dissimulation, ils abusent complètement les " laconisants " des autres cités - qui, pour les imiter, se déchirent les oreilles, [342c] s'enroulent les mollets de lanières de cuir, courent les gymnases et portent des manteaux courts, comme si c'étaient ces moyens-là qui assuraient aux Lacédémoniens la supériorité sur les autres Grecs. Les Lacédémoniens, eux, quand ils veulent s'entretenir librement avec les sophistes chez eux et en ont assez de les fréquenter en cachette, expulsent ces " laconisants " et tous les étrangers, quels qu'ils soient, qui se trouvent chez eux, afin de pouvoir fréquenter les sophistes à l'insu de étrangers, et ne permettent à aucun de leurs jeunes gens de se rendre dans [342d] d'autres cités - comme d'ailleurs les Crétois - , de peur qu'ils n'y oublient ce qu'ils leur enseignent. Et dans ces cités il n'y a pas que des hommes qui se fassent une haute idée de leur éducation, il y a aussi des femmes. Voici d'ailleurs la preuve que ce que je dis est vrai et que l'éducation lacédémonienne est la meilleure pour ce qui est de l'amour du savoir et des discours : que quelqu'un consente à fréquenter le plus ordinaire des Lacédémoniens, il le trouvera tout d'abord manifestement ordinaire dans la plupart des sujets abordés, [342e] puis, au cours de l'entretien, n'importe quand, il placera un mot bien frappé, bref et ramassé, décoché comme un trait redoutable, si bien que son interlocuteur donnera l'air de ne valoir guère mieux qu'un enfant. Eh bien, maintenant comme jadis, il y a des gens pour comprendre que " laconiser " consiste bien plus dans l'amour du savoir que dans l'amour de la gymnastique, parce qu'ils savent qu'il faut avoir reçu une parfaite éducation, pour être capable de prononcer de telles formules [343a] . Parmi eux il y a Thalès de Milet, Pittacos de Mytilène, Bias de Priène, notre Solon, Cléobule de Lindos, Myson de Khènè, et on leur ajoute un septième, le Lacédémonien Chilon. Tous étaient des partisans fervents, des amoureux et des disciples de l'éducation lacédémonienne ; et l'on se rend bien compte que leur savoir est de cet ordre, si l'on se rappelle les formules brèves, mémorables, prononcées par chacun d'eux lorsqu'ils se réunirent ensemble [343b] pour offrir à Apollon dans son temple de Delphes les prémices de leur savoir, et qu'ils écrivirent ces mots que tous reprennent : " Connais-toi toi-même " et " Rien de trop ".

Platon, Protagoras, trad. Frédérique Ildefonse, GF Flammarion, 1997, pp. 114-116.

  

En fait, c'est en Crète et à Lacédémone que l'amour du savoir est le plus répandu chez les Grecs et c'est là que, sur la terre, il y a le plus grand nombre de sophistes. Mais ces gens-là le nient et se déguisent en ignorants, afin que la supériorité de leur savoir, par rapport au reste des Grecs, n'apparaisse pas avec éclat (comme pour les sophistes dont parlait Protagoras) ; visant au contraire à passer pour supérieurs en fait de courage au combat, dans la pensée que, une fois connu le terrain propre de leur supériorité, c'est sur ce terrain là, le terrain du savoir, que porterait l'effort de tous. De fait, en gardant secrète la supériorité en question, ils abusent complètement les " laconisants " qui existent dans nos cités. Ceux-ci se font leurs imitateurs, en s'arrachant les oreilles, et en se ceignant le poignet d'une bande de cuir, en pratiquant avec zèle les exercices gymniques, en portant des pèlerines courtes : avec l'idée que c'est par là précisément que les Lacédémoniens l'emportent sur le reste des Grecs ! Les Lacédémoniens, de leur côté, quand ils souhaitent converser librement avec les sophistes qu'ils ont chez eux et que déjà ils s'impatientent d'avoir à converser avec eux en cachette, ils procèdent à l'exclusion des étrangers, aussi bien de ceux qui " laconisent " que de tout autre en visite chez eux ; conversant ainsi avec leurs sophistes à l'insu des étrangers. En outre, ni eux, ni les Crétois non plus ne permettent à aucun jeune homme de s'en aller dans les autres pays, pour éviter qu'ils n'y désapprennent ce qui leur a été enseigné dans le leur. D'autre part, chez ces peuples, ce ne sont pas seulement les hommes qui ont une haute idée de la culture qu'ils ont reçue, ce sont aussi les femmes.

Or, voici comment vous pourriez reconnaître que je dis vrai et que les Lacédémoniens sont élevés on ne peut mieux par rapport à la philosophie et à l'art de parler : c'est que, si l'on veut s'entretenir avec le moins distingué des Lacédémoniens, on commencera par lui trouver le plus souvent une évidente pauvreté de parole ; puis ensuite, au hasard de la conversation, il aura décoché un propos qui compte, court et bien ramassé, à la façon d'un habile lanceur de javelot, au point que son interlocuteur fait l'effet de ne pas valoir mieux qu'un enfant ! Aussi n'a-t-il pas manqué de gens, de nos jours comme dans le passé, pour avoir conscience que " laconiser ", c'est aimer le savoir, bien plus qu'aimer les exercices du corps, se rendant compte en effet que la capacité d'énoncer de semblables propos est le fait d'un homme dont la culture a été parfaite. Au nombre de ces hommes étaient Thalès de Milet, Pittacos de Mytilène, Bias de Priène, notre Solon, Cléobule de Lindos, Myson de Khênè, et le septième d'entre eux, disait-on, Chilon de Lacédémone. Tous ils étaient des zélateurs, des amoureux, des disciples de la culture lacédémonienne ; et, que leur sagesse ait été de même sorte, ce qui le ferait comprendre, ce sont les courtes et mémorables sentences formulées par chacun d'eux et dont, au jour d'une commune réunion, ils vinrent faire offrande à Apollon, comme des prémices de leur sagesse, dans son temple de Delphes, avec ces inscriptions universellement célèbres : " Connais-toi toi-même " et " rien de trop ".

 Platon, Protagoras, trad. Léon Robin, Gallimard/NRF, coll. La Pléiade, 1950.

 

 

LES

ŒVVRES MORALES

ET MESLEES DE

PLVTARQUE,

 

Tranflatées de Grec en François, reueuës & corrigees en plusieurs paffasages par le Tranflateur.

 

Comprifes en deux Tomes, & enrichies en cefte edition de Prefaces generales, de Somaires au comencement d'vn chafcun des Traitez, & d'Annotations en marge, qui moftrent l'artifice & la fuite des disccours de l'autheur.

 

Auec quatre Indices : le premier, des autheurs alleguez & expofez : le fecond, des Similitudes : le troifiefme, des Apophtegmes : & le dernier des chofes memorables mentionnees efdites œuures.

 

De l'Imprimerie de François Eftienne

 

M.D.L.XXXII

 

 

 

Dédicace au Roy tres-chrestien Charles IX. de ce nom

 

Iacques Amyot E. d'Auxerre, voftre grand Aumofnier

 

 

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Choix de textes, recomposition et mise en page par

Béthune

Juin 2009

 

 


 

 

LES DICTS NOTABLES DES LACEDEMONIENS

 


SOMMAIRE

 



Plutarque a meslé dedans le recueil precedent quelques dicts notables d'Agesilaus & autres Lacedaemoniens, parmi ceux des hommes illuftres Grecs. Mais maintenant il donne un traité à part aux Lacedaemoniens, qui le meritent bien auffi, pour avoir efté gens qui ont le moins mal ufé de leur langue entre les peuples deftituez de la conoiffance de Dieu. Il fait auffi une plus ample defcription de leurs apophtegmes, monftrant affez par tant de belles & viues rencontres que ce n'eft pas de merueilles qu'une si petite Republique que celle de Sparte ait flori fi longtemps, eftant gouuernee & peuplee d'hommes tant adroits de corps & d'efprit, & qui favoient encores mieux faire que dire. Au demeurant, ce recueil-ci eft diftingué en quatre parties principales, dont la premiere reprefente les dicts remarquables des Rois, Capitaine, Seigneurs & gens de nom en Lacedaemone : la feconde, font les apophtegmes des Lacedaemoniens dont les noms font inconnus : la troifiefme defcrit briefuement quelques couftumes & ordonnances feruans à la manutention de leur eftat : la quatriefme contient quelques propos d'aucunes de leurs femmes, où l'on void tant plus la valeur & magnanimité de ce peuple. Quant au profit qu'on peut tirer de ces apophtegmes, il eft grand en toutes forte, & n'y a perfonne de quelque aage ou condition qu'elle foit, qui ne puiffe y aprendre beaucoup, notamment à peu parler, bien dire, & fe porter vertueufement : comme la lecture en fait foy, fans que nous aions voulu efclaircir les chofes en marge, pource que c'euft efté un labeur ennuyeux au lecteur & de trop grande eftendue.

 

 

p. 212 [AGESILAS] Comme il était encore jeune enfant, en une fête publique où les jeunes gens, fils & filles, dansaient tous nus, le superintendant de la danse lui donna un lieu qui n'était pas fort honorable, duquel néanmoins il se contenta, combien qu'il fût déjà déclaré Roi, & dit : Voilà qui va bien, car je montrerai que ce ne sont pas les lieux qui honorent les hommes, mais les hommes les lieux .

 

p. 212 [AGESILAS] Voulant entreprendre la guerre contre le Roi de Perse pour la délivrance des peuples Grecs habitans en l'Asie, il en alla demander conseil à l'oracle de Jupiter, qui est en la forêt de Dodone : & comme l'oracle lui eût répondu ainsi qu'il désirait, qu'il entreprît le voyage, il en communiqua la réponse aux Ephores, qui sont les contrôleurs : lesquels lui ordonnèrent qu'en passant il en demandât aussi le conseil à celui d'Apollo en la ville de Delphes. Il s'en alla au temple où se rendaient les oracles, & fit ainsi sa demande, O Apollo, es-tu pas de même avis que ton père ? Et comme il lui eût répondu, qu'oui : il fut élu pour conducteur de cette guerre, & s'y en alla.

 

p. 212 (verso) [AGESILAS] Tel était Agésilas en la plupart des affaires de ses amis : toute fois il efcheoit bien des occasions, qu'il regardait plutôt à l'utilité publique : comme il montra un jour à quelque partement qu'il fut contraint de faire à la halte & en trouble, tellement qu'il lui fut force d'abandonner un qu'il aimait étant malade : & comme l'autre l'appelait par son nom ainsi comme il partait, & le suppliait de ne le vouloir point abandonner, Agesilas en se retournant dit, O qu'il est malaisé d'aimer et d'être sage en même temps !

 

p. 213 [AGESILAS] Comme quelqu'un demandait en sa présence, Qu'est ce que les lois de Lycurgue ont apporté de bon à la ville de Sparte ? Il répondit, Ne faire compte des voluptés : & à un autre qui s'émerveillait de voir la simplicité grande, tant du vivre que du vêtir de lui & des autres Lacédémoniens : Le fruit que nous recueillons, dit-il, de cette si étroite manière de vivre, est la liberté.

 

p. 213 [AGESILAS] On lui demanda une fois jusqu'où s'étendaient les confins de Lacédémone : en brandissant une javeline qu'il tenait en la main il répondit, Voilà les murailles des Lacédémoniens.

 

p. 213 (verso) [AGESILAS] On lui demanda comment il avait acquis une si grande réputation, En méprisant la mort, dit-il.

 

p.213 (verso) [AGESILAS] Enquis aussi, pourquoi les Spartiates combattaient au son des flûtes : afin, dit-il, que marchant en bataille à la cadence et mesure on connaisse ceux qui sont vaillants d'avec ceux qui sont couards.

 

p. 213 (verso) [AGESILAS] fut contraint de partir de l'Asie, disant, qu'un bon prince se doit laisser commander par les lois.

 

p. 214 [AGESILAS] Entendant qu'il y avait eu une bataille donnée auprès de Corinthe, en laquelle il était demeuré bien peu des Lacédémoniens, mais des Athéniens, des Argiens, des Corinthiens, & de leurs alliés un bien grand nombre : on ne le vit oncques faire bonne chère, ni s'enfler de joie pour la nouvelle de cette victoire, ains soupirant du profond du cœur, dit, O malheureuse Grèce, qui de ses propres mains a défait tant de gens, qu'ils seraient suffisants pour défaire en un jour de bataille tous les Barbares ensemble !

 

p. 214 [AGESILAS] Il avait autour de lui Xénophon le philosophe qu'il aimait et qu'il estimait beaucoup, il le pria d'envoyer quérir ses enfants pour les faire nourrir en Lacédémone, & y apprendre la plus belle discipline du monde, de savoir obéir & commander. Une autre fois lui étant demandé, pourquoi il estimait les Lacédémoniens les plus heureuses gens du monde : c'est, dit-il, pour ce qu'ils font profession et exercice, plus que tous les hommes du monde, d'apprendre à bien commander, & à bien obéir.

 

p. 214 (verso) [AGESILAS] Un autre lui montrait les murailles de sa ville fortes à merveille et magnifiquement bâties, en lui demandant si elles ne lui semblaient pas bien belles : oui certes pour y loger des femmes, mais non pas des hommes.

 

p. 214 (verso) [AGESILAS] On le convia un jour à ouïr un qui contrefaisait naïvement bien le rossignol : il n'en voulut rien faire, disant, J'ai ouï le rossignol lui-même par plusieurs fois.

 

p. 214 (verso) [AGESILAS] On lui demanda quelquefois, laquelle des deux vertus était la meilleure à son jugement, la force, ou la justice : Il répondit, que la force ne sert de rien là où règne la justice : & que si nous étions tous justes & gens de bien, il ne serait point besoin de la force.

 

p. 214 (verso) [AGESILAS] Les peuples Grecs habitant en Asie avaient accoutumé d'appeler le Roi de Perse, le grand Roi : Pourquoi, dit-il, est-il plus grand que moi, s'il n'est plus tempérant et plus juste ? Aussi, disait-il, que les habitants de l'Asie étaient bons esclaves, & mauvais hommes libres.

 

p. 214 (verso) [AGESILAS] Etant enquis Comment un homme se pourrait bien faire valoir & acquérir très grande réputation, il répondit : En disant tout bien, & en faisant encore mieux.

 

p. 214 (verso) [AGESILAS] Quelqu'autre demandait, Que doivent apprendre les enfants en leur jeunesse ? Il répondit, Ce qu'ils doivent faire quand ils sont devenus grands.

 

p. 215 [AGESILAS] Il aimait fort tendrement ses petits enfants, de sorte qu'il jouait avec eux parmi la maison, se mettant une canne entre les jambes comme un cheval : & comme quelqu'un de ses amis l'eût vu & trouvé en cet état, il le pria de n'en dire jamais rien à personne jusqu'à ce que lui-même eût des enfants aussi.

 

p. 215 [AGESILAS] Mais en faisant continuellement la guerre aux Thébains, il y fut fort grièvement blessé en une bataille. Ce que voyant Antalcidas, lui dit : Certainement tu reçois bien des Thébains le salaire que tu mérites, pour leur avoir enseigné malgré eux à combattre, ce qu'ils ne savaient ni ne voulaient apprendre à faire. Car à la vérité l'on dit, que les Thébains devinrent alors plus belliqueux que jamais ils n'avaient été auparavant, s'étant adressés et exercés aux armes par les continuelles inuafions des Lacédémoniens : aussi était-ce la raison pour laquelle l'ancien Lycurgue en ses lois, que l'on appelait Retres, leur défendait de faire souvent la guerre contre une même nation, de peur qu'ils ne la contraignissent en ce faisant d'apprendre à la faire.

 

p. 216 [AGIS, fils d'Archidamus] On lui demanda quelle science on exerçait principalement en la ville de Sparte : à savoir, dit-il, obéir et commander. Aussi, disait-il, que les Lacédémoniens ne demandaient jamais combien étaient les ennemis, mais où ils étaient.

 

p. 216 [AGIS, fils d'Archidamus] Un Ambassadeur de la ville d'Abdere était venu à Sparte, qui avait fort longuement parlé, & après qu'il se fut tu, à la fin il lui demanda, Sire, quelle réponse veux-tu que je rapporte à nos citoyens ? Tu leur diras, dit-il, que je t'ai laissé dire tout ce que tu as voulu, & tant que tu as voulu, & que je t'ai toujours écouté sans jamais dire mot.

 

p. 216 (verso) [AGIS, fils d'Archidamus] Quelqu'un lui demanda, comment il pourrait demeurer franc & libre toute sa vie : En méprisant la mort, dit-il.

 

p. 216 (verso) [ALEXANDRIDAS, fils de Leon] Quelque autre lui demandait, pourquoi ils donnaient la charge de leurs terres à leurs Ilotes, & qu'ils ne les prenaient à labourer & cultiver eux-mêmes : Pour ce, dit-il, que nous les avons acquises, non en les cultivant elles, mais en nous cultivant nous mêmes.

 

p. 217 [ALEXANDRIDAS, fils de Leon] Il répondit aussi à quelque autre qui lui demandait pourquoi les Lacédémoniens étaient si hardis & si assurés aux périls de la guerre : Pource, dit-il, que nous apprenons à avoir honte, & non pas peur de notre vie, comme les autres.

 

p. 217 [ANTALCIDAS] Et à un Athénien, qui appelait les Lacédémoniens grossiers & ignorants : Nous sommes vraiment seuls en toute la Grèce qui n'avons appris de vous rien de mal.

 

p. 217 [ANTALCIDAS] Lui-même disait que les murailles de Sparte étaient les jeunes hommes, & les confins étaient les fers de leurs piques. Et à un autre qui demandait, pourquoi les Lacédémoniens combattaient de si courtes épées : à fin, dit-il, que nous joignons nos ennemis de plus près.

 

p. 217 (verso) Un autre reprenait Hecateus, le maître de Rhétorique, de ce qu'ayant été convié à manger avec eux en leurs convives qu'ils appellent, il ne dit jamais mot tout le long du dîner : il lui répondit, Il semble que tu ignores, que celui qui sait bien parler, sait aussi le temps quand il faut parler.

 

p. 217 (verso) ARCHIDAMUS, fils de Zeuxidamus dit à un qui lui demandait, qui c'était qui gouvernait la ville de Sparte, Ce sont les lois, & puis les magistrats suivant les lois. Entendant un qui louait grandement un joueur de cithre, & avait en singulière admiration l'excellence de son art : O mon ami, quel loyer d'honneur auront envers toi les preux & vaillants hommes, puisque tu loues si hautement un joueur de cithre ?

 

p. 217 (verso) [ARCHIDAMUS, fils de Zeuxidamus] Dionysus le tyran de la Sicile avait envoyé à ses filles des robes, il ne les voulut pas recevoir disant, j'aurais peur que quand elles les auraient vêtues, elles ne m'en semblassent plus laides. Et voyant son fils encore jeune en une bataille combattre désespérément à l'encontre des Athéniens, il lui dit, Ou augmente ta force, ou diminue ton courage.

 

p. 217 (verso) ARCHIDAMUS, le fils d'Agesilaus, comme le roi Philippe après la bataille qu'il gagna contre les Grecs auprès de Chéronée, lui eût écrit une missive fort âpre & rigoureuse, il lui récrivit, Si tu mesures ton ombre, tu trouveras qu'elle ne sera pas devenue plus grande depuis que tu as vaincu.

 

p. 218 [BRASIDAS] Se partant pour aller à la guerre, il écrivit aux Ephores, Ce que vous m'écrivez touchant la guerre, je le ferai, ou j'y mourrai. Et après qu'il fût mort en délivrant de servitude les Grecs habitants au pays de Thrace, les Ambassadeurs qui furent envoyés de la part du pays, pour rendre grâce aux Lacédémoniens allèrent visiter sa mère Archiléonide : laquelle leur demanda premièrement, si son fils Brasidas était mort vaillamment : & comme ces ambassadeurs Thraciens le louaient si hautement, qu'ils disaient qu'ils n'avaient point laissé son pareil : Vous vous abusez, dit-elle, mes amis, car Brasidas était bien homme de bien, mais il y en a plusieurs en Sparte qui sont encore meilleurs que lui.

 

p. 218 DAMIS fit réponse aux lettres qui leur avaient été écrites de la part d'Alexandre le grand, qu'ils eussent à déclarer par leurs suffrages, Alexandre être Dieu : Nous concédons à Alexandre de se faire appeler Dieu s'il veut.

 

p. 218 (verso) EMEREPES étant Ephore coupa avec une hachette deux cordes des neuf que le musicien Phrynis avait en sa lyre, disant, Ne viole point la Musique.

 

p. 219 [EUDAMIDAS, fils d'Archidamus et frère d'Agis] Et comme un autre louait hautement la ville d'Athènes devant lui : Et qui pourrait, dit-il, assez, louer cette ville, que jamais homme n'aima pour y être devenu meilleur ?

 

p. 219 [EUDAMIDAS, fils d'Archidamus et frère d'Agis] Un citoyen de la ville d'Argos disait un jour en sa présence, que les Lacédémoniens sortant de leur pays, & de l'obéissance de leurs lois, devenaient pires en voyageant par le monde : mais au contraire, vous autres Argiens venant en notre ville de Sparte n'en empirez pas, mais en devenez plus gens de bien.

 

p. 219 ZEUXIDAMUS répondit aussi à un qui lui demandait, pourquoi ils ne rédigeaient par écrit les statuts et les ordonnances de la prouesse, & qu'ils ne les baillaient écrits à lire à leurs jeunes gens : pource, dit-il, que nous voulons qu'ils s'accoutument aux faits, & non pas aux écritures. Un Étolien disait, que la guerre était meilleure que la paix, à ceux qui se voulaient montrer gens de bien : non pas cela seulement, dit-il, par les Dieux, mais meilleure est la mort que la vie.

 

p. 219 HERONDAS se trouva d'aventure à Athènes, quand il eut un des citoyens qui fut condamné d'oisiveté : & en entendant le bruit, il pria qu'on lui montrât celui qui avait été condamné en cause de gentillesse.

 

p. 219 THEARIDAS aiguisait la pointe de son épée, quelqu'un lui demanda si elle était bien aiguë : Plus aiguë, que n'est une calomnie.

 

p. 219 [THEOPOMPUS] A un étranger qui lui disait qu'en son pays on le surnommait Philolacon, c'est à dire, aimant les Lacédémoniens : Il vaudrait mieux, dit-il, qu'on te surnommât aimant tes citoyens, qu'aimant les Lacédémoniens.

 

p. 219 (verso) [THEOPOMPUS] quelqu'un disait devant lui, que la ville de Sparte se maintenait en son entier, pour ce que les Rois y savaient bien commander : non pas tant, dit-il, que pour ce que les citoyens y savent bien obéir.

 

p. 219 (verso) [HIPPOCRATIDAS] Il rencontra quelquefois en son chemin un jeune garçon, après lequel venait un qui l'aimait: le jeune garçon en eut honte: & lors il lui dit, Il te faut aller en compagnie de ceux, avec lesquels quand on te verra, tu n'en changes point de couleur.

 

p. 220 CLEOMENES fils d'Anaxandrides avait l'habitude de dire, qu'Homère était le poète des Lacédémoniens, pour ce qu'il enseigne comment il faut faire la guerre : & Hésiode celui des Ilotes, pour ce qu'il écrit de l'agriculture.

 

p. 220 (verso) [CLEOMENES] Meander le tyran de Samos, pour la descente des Perses s'enfuit dans la ville de Sparte là où il montra à Cleomenes tout l'or & l'argent qu'il avait apporté quand & lui, & si le pria d'en prendre tant qu'il lui plairait. Il n'en voulut rien prendre, mais craignant qu'il n'en donnât à d'autres de la ville, il s'en alla devers les Ephores, & leur dit, il vaudra mieux pour le bien de Sparte, que l'on fasse sortir hors du Péloponnèse mon hôte Samien, de peur qu'il n'induise quelqu'un des Spartiates à être méchant. Les Ephores ayant ouï son avertissement, le bannirent dès le même jour.

 

p. 220 (verso) [LEOTYCHIDAS] On lui demanda quelquefois, que c'était que les jeunes enfants de noble maison devaient apprendre : ce qui leur doit bien profiter, dit-il, quand ils seront grands. Et à un autre qui l'enquerrait, pour quelle raison les Spartiates buvaient si peu : afin, dit-il, que les autres ne délibèrent de nous, mais nous des autres.

 

p. 221 LEON fils d'Eucratidas étant enquis, en quelle ville on pourrait habiter sûrement : En celle-là, dit-il, dont les habitants ne seraient ni plus riches ni plus pauvres les uns que les autres :& là où la justice ait vigueur, l'injustice n'ait point de force.

 

p. 221 [LEON] Etant enquis pourquoi les gens de bien préféraient une mort honorable à une vie honteuse : pource, dit-il, qu'ils estiment le mourir commun à la nature, mais le bien mourir propre à eux.

 

p. 221 (verso) D'où vint que la femme de Léonidas nommée Gorgo, ainsi que l'on trouve par écrit, répondit à quelques Dames étrangères qui lui disaient : Il n'y a que vous autres femmes Laconiennes qui commandiez à vos maris : aussi n'y a t-il que nous qui portions des hommes.

 

p. 222 (verso) [LYCURGUE] Il priva aussi & bannit ceux qui n'étaient point mariés de la vue des danses où les jeunes filles dansaient nues, & qui plus est leur imposa encore note d'infamie, en les privant notamment de l'honneur & du service que les jeunes étaient tenus de porter & de faire aux vieux. En quoy faisant, il eut grande prévoyance à inciter les citoyens à se marier pour engendrer des enfants : à l'occasion de quoi il n'y eut onc personne qui trouvât mauvais, ni qui blamât ce qui fut dit à Dercillidas, combien qu'il fût au demeurant bon & vaillant capitaine : car lui entrant en quelque lieu, il y eut un des jeunes gens qui ne se daigna lever de son siège par honneur au-devant de lui : pource, lui dit-il, que tu n'as point engendré qui se levât au-devant de moi.

 

p. 223 [LYCURGUE] & était en ce temps-là l'honnêteté & la pudicité des Dames si grande & si éloignée de la facilité que l'on dit avoir été depuis parmi elles, que l'on tenait l'adultère pour une chose impossible & incroyable. Auquel propos on récite d'un fort ancien Spartiate nommé Gerardas, à qui un étranger demanda quelle punition on faisait souffrir aux adultères en la ville de Sparte, pource qu'il voyait que Lycurgus n'en avait fait aucune ordonnance : & qu'il lui répondit, Il n'y a point d'adultère parmi nous : l'autre lui répliqua, Voire mais s'il y en avait ? il répondit toujours de même. Car comment, dit-il y aurait-il des adultères à Sparte, vu que toutes richesses, toutes délices, tous fards, & tous embellissements extérieurs y sont déprisés & deshonorés ? & vu que honte de mal faire, honnêteté , & révérence, & obéissance envers ses supérieurs, y ont toute autorité ?

 

p. 223 [LYCURGUE] Il leur commanda aussi qu'en leurs guerres, quand ils auraient vaincu & rompu leurs ennemis, qu'ils les chassassent jusqu'à assurer leur victoire toute certaine, & puis qu'ils se retirassent tout court, disant que cela n'était acte ni de gentil cœur, ni de nation généreuse comme la Grecque, de tuer ceux qui leur quittaient la place : & cela encore leur était utile, pource que ceux qui savaient leur coutume, qui était de mettre à mort ceux qui s'opiniâtraient à leur faire tête, & laissaient aller ceux qui fuyaient devant eux, trouvaient le fuir plus utile que l'attendre.

 

P. 224 (verso) PAUSANIAS fils de Plistonax à un qui l'interrogeait : pourquoi il n'était pas loisible en leur pays de remuer aucune des lois anciennes : c'est, dit-il, pource qu'il faut que les lois soient maîtresses des hommes, & non pas les hommes maîtres des lois.

 

p. 224 (verso) PLISTONAX fils de Pausanias, comme un certain orateur Athénien appelant les Lacédémoniens ignorants : Tu dis vrai, lui répondit-il, car nous sommes seuls entre tous les Grecs, qui n'avons rien appris de mal de vous.

 

p. 225 [POLYDORUS, fils d'Alcamenes] Etant enquis pourquoi les Lacédémoniens s'exposaient ainsi hardiment aux périls de la guerre : pource, dit-il, qu'ils ont appris à avoir honte, & non pas crainte de leurs supérieurs.

 

p. 225 CHARILLUS enquis, pourquoi Lycurgus leur avait fait si peu de lois : pource, dit-il, qu'il ne faut pas beaucoup de lois à ceux qui ne parlent guère. Un autre lui demandait, pourquoi ils faisaient sortir les filles en public à visage découvert, & les femmes voilées : pource, dit-il, qu'il faut que les filles trouvent mari, & que les femmes gardent celui qu'elles ont. Un des Ilotes se portant quelquefois par trop audacieusement envers lui, il lui dit, Si je n'étais courroucé je te tuerais tout à cette heure.

 

p. 226 Deux frères avaient querelle et de débattaient ensemble : les Ephores condamnèrent leur père à l'amende, de ce qu'il endurait que ses enfants eussent querelle ensemble.

 

p. 226 (verso) On demanda quelquefois à un Laconien, ce qu'il savait faire : il répondit, être libre.

 

p. 226 (verso) Un Laconien avait sur sa rondelle pour son enseigne une mouche peinte, non point plus grande que le naturel, & quelques-uns s'en moquant de lui, disaient qu'il avait pris cette enseigne-là, afin de n'être point connu : mais au contraire, dit-il, c'est afin d'être mieux remarqué : car je m'approche si près des ennemis, qu'ils peuvent bien voir combien ma marque est grande. Un autre, comme on lui eût présenté à la fin d'un banquet une lyre pour en sonner, selon la coutume de toute la Grèce : les Laconiens, dit-il, n'ont point appris de folâtrer.

 

p. 226 (verso) Un autre étant blessé d'un coup de flèche à travers le corps, sur le point qu'il rendait son âme, Il ne me fâche point de mourir, dit-il, mais bien de que je meurs par la main d'un archer efféminé, avant que d'avoir rien fait de ma main.

 

p. 226 (verso) Tynnichus Laconien, son fils lui ayant été tué à la guerre, supporta sa mort vertueusement, & en fut fait un tel Epigramme :

On rapporta, Trasibulus, ton corps

Dans ton pavois étant l'âme dehors,

Que ceux d'Argos en avaient déchassée

Avec sept coups de mortelle saussée,

Tous par devant : Et ton père constant

Vieillard nommé Tynnichus, le mettant

Dedans le feu, plein de sang, le visage

Tout sec, usa de ce mâle langage :

C'est de ces couards qu'il faut pleurer la mort,

Non pas de toi, mon enfant, qui es mort

Comme mon fils, en vrai homme de bien,

Et comme vrai Lacédémonien.

 

p. 227 Un bélître demanda quelquefois l'aumône à un Laconien, qui lui dit, Voire mais si je te la donne, tu mendieras encore plus : & le premier qui te la donna a été cause de cette vilaine vie que tu mènes maintenant, t'ayant rendu paresseux & truand.

 

p. 227 (verso) On demanda quelquefois à un Spartiate, quel poète était Tyrtaeus : bon, dit-il, pour aiguiser les courages des jeunes gens.

 

p. 228 Il leur était permis d'aimer les enfants de bonne & gentille nature, mais abuser de leurs personnes était tenu pour chose très infâme, comme de gens qui en aimaient le corps & non pas l'âme : de sorte que qui en était accusé, en demeurait noté d'infâmie pour toute sa vie. La coutume était que les vieux demandaient aux jeunes quand ils les rencontraient, où ils allaient, & quoi faire, & les tançaient qu'ils faillaient à répondre, ou s'ils allaient bâtissant des excuses : & qui ne tançait celui qui commettait quelque faute en sa présence, était sujet à la même réprehension que celui qui avait failli, même celui qui se courrouçait ou montrait de prendre à mal quand on le reprenait, en était reproché et désestimé.

 

p. 228 Et fallait que les jeunes hommes révérassent non seulement leurs propres pères, & se rendissent sujets à eux, mais aussi qu'ils portassent révérence à tous autres vielles gens, en leur cédant le dessus, & se détournant d'eux par les chemins, en se levant de leurs sièges au-devant d'eux, & s'arrêtant quand ils passaient : & pourtant un chacun commandait non seulement comme aux autres villes à ses propres enfants, à ses propres serviteurs, & disposait de ses propres biens, ains aussi à ceux de son voisin, ne plus ne moins que aux siens propres, & s'en servait comme de choses communes entre eux, afin qu'ils en eussent soin chacun comme de leurs propres. Et pourtant si un enfant ayant été châtié par un autre l'allai rapporter à son père, c'était honte au père s'il ne lui donnait encore d'autres coups : car par la commune discipline de leur pays, ils s'assuraient, que un autre n'avait rien commandé qui ne fût honnête à leurs enfants.

 

p. 228 Ils étudiaient aussi à composer de belles chansons, & non pas moins à les chanter, & y avait toujours en leurs compositions ne sait quel aiguillon qui excitait le courage, & inspirait aux cœurs des écoutants un propos délibéré & une ardente volonté de faire quelque belle chose. Le langage était simple, sans fard ni affèterie quelconque, qui ne contenait autre chose que les louanges de ceux qui avaient vécu vertueusement, & qui étaient morts en la guerre pour la défense de Sparte, comme étant bienheureux, & le blâme de ceux qui par lâcheté de cœur avaient résisté à mourir comme vivant une vie misérable & malheureuse : ou bien c'étaient promesses d'être à l'avenir, ou bien vanteries d'être présentement gens de bien, selon la diversité des âges de ceux qui les chantaient : car y ayant ès fêtes solennelles & publiques toujours trois danses, celle des vieillards commençant disait,

Nous avons été jadis

Jeunes, vaillants, & hardis.

 

Nous le sommes maintenant,

A l'épreuve à tout venant.

 

Et nous un jour le serons,

Qui bien vous surpasserons.

Les chants mêmes, à la cadence desquels ils ballaient, & marchaient en bataille au son des flûtes quand ils allaient choquer l'ennemi, étaient appropriés à inciter les cœurs à la vaillance, à l'assurance, & au mépris de la mort : car Lycurgus s'étudia à conjoindre l'exercice de la discipline militaire avec le plaisir de la musique : afin que cette véhémence beliqueuse mêlée avec la douceur de la musique, en fut tempérée de bon accord & harmonie, & pourtant ès batailles, avant le choc de la charge, le Roi avait accoutumé de sacrifier aux Muses, afin que les combattants eussent la grâce de faire des choses glorieuses & dignes de mémoire. Mais si quelqu'un voulait outrepasser un seul point de la musique ancienne, ils ne le supportaient pas : tellement que les Ephores condamnèrent à l'amende Terpander, assez grossier à l'antique, mais le meilleur joueur de cithre de son temps, & qui plus prenait de plaisir à louer les faits héroïques

 

p. 229 (verso) Mais une des plus belles & des plus heureuses choses dont Lycurgus ait fait provision à ses citoyens, c'est l'abondance de loisir : car il ne leur est aucunement permis de se mêler d'aucun art mécanique : & de trafiquer laborieusement & péniblement pour amasser des biens, il n'en était point de nouvelle, parce qu'ils avaient tant fait, qu'il leur avait rendu la richesse ni honorable ni désirable : & les Ilotes leur labouraient leurs terres, leur en rendant ce qui était d'ancienneté établi & ordonné : & leur était défendu d'en exiger plus de louage, afin que les Ilotes pour le gain qu'ils y faisaient en servissent plus volontiers, & qu'eux ne convoitassent point à en avoir davantage. Il leur était aussi défendu d'être mariniers, d'aller sur mer, ni d'y combattre : mais depuis pourtant ils combattirent par mer, & se rendirent Seigneurs de la marine : toutefois ils s'en déportèrent bientôt, d'autant qu'ils voyaient que les mœurs de leurs citoyens s'en gâtaient et s'en corrompaient : mais depuis encore se changèrent-ils en cela comme en toutes autres choses. Car les premiers qui amassèrent de l'argent aux Lacédémoniens, furent condamnés à mort, d'autant qu'un ancien oracle avait été répondu aux Rois Alcamenes & Theopompus.

Avarice fera la ruine de Sparte.
 

Et néanmoins après que Lysander eût pris la ville d'Athènes, il en emmena à Sparte grande quantité d'or & d'argent qu'ils reçurent, & en honorèrent le personnage qui la leur avait apportée. Mais tant que la cité de Sparte a gardé les lois de Lycurgus, & observé le serment qu'elle avait juré, elle a été toujours la première de toute la Grèce en gloire & en bonté de son gouvernement, l'espace de plus de cinq cents ans : & venant à les transgresser, l'avarice et la convoitise d'avoir se coula petit à petit parmi eux, & aussi en diminua leur autorité & leur puissance : car leurs alliés & confédérés commencèrent à leur en mal vouloir. Mais toutefois encore qu'ils fussent en tel état, après que Philippus eût gagné la bataille contre les Grecs, auprès de Chéronée, & que toutes les autres villes de la Grèce l'eussent de commun consentement élu pour capitaine général de toute la Grèce, tant par mer comme par terre, & depuis Alexandre son fils après la destruction de la ville de Thèbes, les Lacédémoniens seuls, encore qu'ils eussent leur ville toute ouverte, sans aucunes murailles, & qu'ils fussent en bien petit nombre, pour les continuelles guerres qu'ils avaient eues, & qu'ils fussent beaucoup plus faibles, & par conséquent plus aisés à prendre et à défaire, qu'ils n'avaient appris d'être, néanmoins pour avoir retenu encore quelques petites reliques du gouvernement établi par Lycurgue, ils ne voulurent jamais se soumettre à aller à la guerre sous ces deux grands Rois là, ni aux autres Rois de Macédoine qui vinrent après, ni ne se voulurent trouver ès communes assemblées avec eux, ni ne contribuèrent aucun argent, jusqu'à qu'ayant de tout point mis à nonchaloir les lois de Lycurgus, ils furent réduits en tyrannie par leurs propres citoyens, quand ils ne retinrent du tout plus rien de leur ancienne institution & discipline, & qu'étant devenus tous semblables aux autres peuples, ils perdirent entièrement toute leur ancienne réputation & gloire, & leur franchise de parler : & furent finalement redigez en servitude, comme ils sont encore de présent sujets aux Romains, aussi bien comme tous les autres peuples & villes de la Grèce.

 

 

 

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