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Le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

Renoncer au fruit de l'action (Mircea Eliade)

2 Février 2014 , Rédigé par Béthune

Extrait d'un entretien de Mircea Eliade avec Claude-Henri Rocquet: L'épreuve du labyrinthe (Editions du Rocher, 2006):

 

CHR: Une note de votre journal vous montre lisant et relisant la Bhâgavad-Gîtâ.

ME: C'est un des grands livres qui m'ont formé. J'y trouve toujours une signification nouvelle, profonde. C'est un livre très consolateur, parce que, vous le savez, Krishna y révèle à Arjuna toutes les possibilités de se sauver, c'est-à-dire de trouver un sens à son existence. .. Et je crois, que c'est la clef de voûte de l'hindouisme, la synthèse de l'esprit indien et de toutes ses voies, de toutes ses philosophies, de toutes ses techniques de salut . Le grand problème était celui-ci : pour se "sauver" - dans le sens indien-, pour se délivrer de ce monde du mal, doit-on abandonner la vie, la société, se retirer dans les forêts comme les Rishis des Upanishad, comme les yogis ? Doit-on se dédier exclusivement à la dévotion mystique ? Eh bien, Krishna révèle qu'à partir de n'importe quelle profession chacun peut arriver à lui, trouver le sens de l'existence, se sauver de ce néant d'illusions et d'épreuves...Toutes les vocations peuvent mener au salut. Ce ne sont pas seulement les mystiques, les philosophes ou les yogis qui connaîtront la délivrance, mais aussi l'homme d'action, celui qui reste dans le monde: à condition d'y agir selon le modèle révélé par Krishna. Je disais que c'est en même temps la justification donnée à l'existence dans l'histoire. On répète que l'esprit indien se détache de l'histoire. C'est vrai, mais pas dans la Bhâgavad-Gîtâ. Arjuna était prêt, mais la grande bataille allait commencer, et Arjuna avait des doutes, parce qu'il savait qu'il allait tuer et donc commettre un péché mortel. Et Krishna lui révèle alors que tout peut être différent s'il ne poursuit pas un objectif personnel: tuer par sentiment de haine, par désir de profit ou pour se sentir un héros... Tout peut être différent s'il accepte la lutte comme une chose impersonnelle, comme quelque chose que l'on fait au nom du dieu, au nom de Krishna, et -selon cette formule extraordinaire- s'il "renonce au fruit de ses actes". Dans la guerre, "renoncer au fruit de ses actes", c'est renoncer au fruit de ce sacrifice que vous faites, en tuant ou en étant tué, comme on fait une offrrande, presque rituelle, au dieu. Ainsi, on peut être sauvé du cycle infernal de Karma: nos actes ne sont plus la semence d'autres actes. Vous connaissez en effet la doctrine du Karma sur la causalité universelle: tout ce qu'on fait aura un effet plus tard; tout geste prépare un autre geste... Eh bien, si en pleine activité, même guerrière, on ne pense pas à soi, on abandonne "le fruit de son acte", ce cycle infernal de cause et d'effet est aboli.

CHR: "Renoncer au fruit de l'action", c'est une règle qui est devenue la vôtre ?

ME: Je crois que oui, parce que j'ai été formé, je me suis habitué à ce comportement que je trouve très humainet très enrichissant. Je crois qu'il faut faire, qu'il faut suivre sa vocation, mais sans penser à la récompense.

CHR: En relisant votre Journal, j'ai été touché par une page où vous parlez d'un chat qui vous réveille en miaulant d'une facon tout à fait désagréable; et vous dites que la voie consiste à ...

ME: A aimer. Oui, c'est sûr. Et c'est ce que disait le Christ. C'est peut-être la règle fondamentale de la voie que montre le Christ. Ce n'est que par ce comportement que l'on peut vraiment supporter le mal (...)

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