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Le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

En Europe et dans le monde modernes, les livres ont remplacé la culture orale (Mircea Eliade)

18 Mars 2014 , Rédigé par Béthune

Seidas, pierres sacrées des Saami (Lapons) sur l'île Nemetsky Kusov au bord de la Mer Blanche, en Karélie. Photo Mihail Dankov.  Source: http://heninen.net/seid/english.htm

 

"Moi, je crois que nous - qui sommes les produits du monde moderne-, nous sommes "condamnés" à recevoir toute une révélation à travers la culture. C'est à travers les formes et structures culturelles qu'on peut retrouver les sources. Nous sommes "condamnés" à apprendre et à nous réveiller à la vie de l'esprit par les livres. En Europe moderne, il n'y a plus d'enseignement oral ni de créativité folklorique. C'est pour cela que je crois que le livre a une énorme importance, non seulement culturelle, mais aussi religieuse, spirituelle."

Mircea Eliade. L'épreuve du labyrinthe. Entretiens avec Claude-Henri Rocquet. Editions du Rocher, 2006.

 

Il y a environ 2000 ans, la romanisation puis la christianisation ont entraîné la disparition de la religion, de la langue et de la culture gauloises transmises oralement par les druides. Cette culture orale et païenne, en partie ésotérique, plongeait ses racines dans la nuit des temps, reliant les hommes à leurs ancêtres les plus lointains et à la nature.

L'écriture et le livre nous ont entraînés vers d'autres mondes et d'autres sources: Rome, la Grèce, l'Egypte, le bassin méditerranéen où la révolution néolithique avait transformé les hommes et les paysages par l'agriculture, l'urbanisation et la comptabilité.

Aujourd'hui, en 2014 après J.-C., le numérique remplace progressivement le livre. Les jeunes ne lisent plus, les classiques ne sont plus au programme des écoles, la culture générale n'est plus valorisée, bien des bibliothèques, par manque de place, sont systématiquement purgées de tout ce qui est ancien. C'est l'effacement de trois mille ans de civilisation moderne.

Mais que sont ces trois mille ans en regard des dizaines, des centaines de milliers, des millions d'années qu'a duré la culture orale ? Pas grand-chose. Le livre, pourtant, avait tâché de véhiculer une partie de la culture orale, notamment par les travaux des voyageurs-naturalistes, des ethnographes et des linguistes européens à partir du XVIIIe siècle. Une partie importante de l'oeuvre de Mircea Eliade est consacrée au shamanisme, d'origine préhistorique. Le Kalevala d'Elias Lonröt est la transcription de la tradition orale ancestrale de la Carélie, dont les seidas sont les symboles de pierre.

A l'aube du troisième millénaire, quand on voit l'ensemble du patrimoine intellectuel de l'humanité en cours de numérisation, sous forme de données uniquement lisibles à partir de machines et de programmes informatiques en perpétuelle mutation et manipulables par quelques initiés, on ne peut que s'inquiéter. Je peux lire mon Plutarque du XVIe siècle dans l'édition in-folio d'Estienne à Lyon, mais plus mes disquettes d'ordinateur d'il y a dix ans.

Les livres disparus, il suffira d'appuyer sur une simple touche ou de modifier tel programme de lecture pour effacer la mémoire de l'humanité.

Les seidas resteront, muettes pour les générations futures. Comme la pointe de flèche indienne de Thoreau qui poursuit immuable sa course à travers le temps.

Pierre-Olivier Combelles

 

Henry David Thoreau: La tête de flèche indienne:

http://pocombelles.over-blog.com/article-la-tete-de-fleche-indienne-thoreau-104765271.html

 

 

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