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Le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

La mince frontière humaine entre la victime et le bourreau (Soljénitsyne/L'archipel du goulag)

4 Avril 2014 , Rédigé par Béthune

"L'écrivain pose ensuite une question plus profonde et plus dérangeante : aurait-il pu dans d'autres circonstances devenir lui aussi un de ces bourreaux ? Ces hommes étaient-ils faits différemment des autres hommes pour accomplir une telle tâche ? Soljénitsyne se souvient alors qu'à l'université en 1938, on lui a proposé, ainsi qu'à ses condisciples, d'entrer au NKVD. Mais il refusé à cause d'une répugnance intérieure malgré les privilèges et le salaire plus élevé qu'il pouvait espérer. Pourtant, il reconnaît aussi que tous les étudiants auraient sans doute cédé si on avait exercé sur eux de très fortes pressions.

En outre, il a poursuivi sa formation et est devenu officier dans l'armée, au moment de la bataille de Stalingrad, ce qui lui a permis de connaître les privilèges du pouvoir. Soumis à un entraînement particulièrement rude, « dressé comme un fauve », il se comportera avec arrogance, mépris, jouissant sans scrupule de multiples privilèges matériels alors que les simples soldats crevaient la misère. « Voilà ce que les épaulettes font d'un homme », conclut l'écrivain lucide et critique à son propre endroit.

Un dernier épisode permet à l'écrivain d'analyser de manière très critique sa propre morgue d'officier. Arrêté, il se retrouve dans un groupe de prisonniers, des simples soldats et un civil allemand, emmenés pour une longue marche. Le garde lui fit signe de porter sa valise sous scellés, remplie de ses papiers. Mais un officier, même arrêté, ne devait pas porter un objet aussi encombrant. Aussi interpella-t-il le garde en demandant que l'Allemand, qui ne comprenait rien à ce qui se disait, fasse le porteur. Ce qui fut accordé. L'Allemand peina bientôt, et les soldats se relayèrent pour porter la valise. Mais pas l'officier. Rétrospectivement, Soljénitsyne montre donc comment ses épaulettes l'ont transformé, lui ont donné un sentiment de supériorité tout à fait injustifié, et il se demande alors quelle aurait été son attitude si ses épaulettes avaient été bleues, c'est-à-dire s'il avait appartenu au NKVD. Oui, à cette époque, il était prêt à devenir un bourreau comme ces agents de la Sécurité de l'État.

Pour Soljénitsyne, les choses ne sont donc pas simples : ce ne sont pas des hommes « à l'âme noire » qui ont commis tous ces crimes, et la ligne de partage entre le bien et le mal passe dans le cœur de chaque homme, se déplaçant au gré des circonstances, poussant les hommes tantôt du côté des diables, tantôt du côté des saints.

Enfin, Soljénitsyne s'indigne que ces criminels n'aient pas été jugés. Alors que l'Allemagne de l'Ouest a condamné 86 000 criminels nazis, seules une dizaine de personnes ont été condamnées en URSS. Si l'on respectait les proportions de populations, c'est un quart de million de personnes qui devraient être jugées en URSS. L'écrivain ne parle pas de les enfermer, ni bien sûr de les torturer comme ils l'ont fait, mais seulement « d'obtenir que chacun dise à haute voix : « Oui, je fus un bourreau et un assassin » ».

 

Note : L'Archipel du Goulag a été interdit en URSS jusqu'en 19905. En 2009, la Russie a, au contraire, inclus ce livre dans les programmes d'enseignement des lycées.


Extrait de l'article Wikipedia sur l'ouvrage d'Alexandre Soljénitsyne: L'archipel du Goulag:

http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Archipel_du_Goulag

 

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