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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

La haine des Russes chez les indigènes de Sibérie (Kai Donner)

11 Octobre 2015 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles

La haine des Russes chez les indigènes de Sibérie (Kai Donner)
La haine des Russes chez les indigènes de Sibérie (Kai Donner)
Kai Donner: La Sibérie - Les temps anciens. Traduit du finnois par Léon Froman. NRF Gallimard, Coll. L'espèce humaine, Paris, 1946.

Kai Donner: La Sibérie - Les temps anciens. Traduit du finnois par Léon Froman. NRF Gallimard, Coll. L'espèce humaine, Paris, 1946.

Kai Reinhold Donner (1889-1935)

Au nord, les représentants de la culture arctique extrême-c'est-à-dire les Samoïèdes- mènent une lutte incessante contre les forces naturelles cruelles et impitoyables, alors qu'au sud les champions de la culture occidentale la plus basse- les Russes- avancent victorieusement, détruisant la population qui avait été refoulée là et qui, depuis plus d'un millénaire, consacre toutes ses forces à lutter pour son existence.

Kai Donner: La Sibérie, Gallimard, 1946 (p. 9).

Itiê dort seulement, il n'est pas mort et il reviendra. Et encore aujourd'hui, les Samoïèdes attendent la venue du divin prince Itiê, le prince dormant, le prince qui repose.

Kai Donner, La Sibérie, Gallimard, 1946.

 

"Kai Reinhold Donner est né le 1er avril 1889, en Finlande, d'un père illustre, Otto Donner, et d'une mère qui appartenait à l'aristocratie, la baronne Wilhemina-Sofia-Charlotta Munck.

La lignée des Donner est issue de commerçants allemands venus de Lübeck s'établir en Finlande au début  du XVIIIe siècle. Otto Donner fut le premier savant de la famille; il se distingua par des travaux remarquables sur les langues ouralo-altaïques, fut professeur à l'Université de Helsinki, contribua à fonder la "Société Finno-ougrienne" et participa même au gouvernement de son pays.

Otto Donner avait fait un choix décisif: il avait opté pour la langue finnoise, bien que sa langue maternelle fût la suédoise. Par cette décision, il s'était associé au mouvement qui avait emporté les masses profondes du pays vers la démocratie nationale. car l'avènement de la langue finnoise signifiait l'arrivée au pouvoir d'une couche nouvelle de la population: celle issue du terroir finnois. Ces nouveaux arrivés devaient, par la suite, exclure peu à peu de leurs positions à la tête des pouvoirs publics, les tenants de la bourgeoisie de langue suédoise, héritière de la vieille administration royale de Suède.

Kai Donner fut élevé dans un milieu où ses facultés ne pouvaient manquer de s'épanouir. Rien ne lui faisait défaut, ni les dons de la fortune ni ceux de la nature. Grand, robuste, intelligent, il avait appris de bonne heure plusieurs langues étrangères. Après avoir terminé ses études à Helsinki, il avait pu les compléter à Budapest et à Cambridge.

Très tôt, il se destina à l'exploration des peuples sibériens de langue ouralienne, en particulier des Samoyèdes. Il se prépara à sa tâche avec un soin méticuleux. Il alla s'informer auprès du professeur Konrad Nielsen link  link , d'Oslo, le grand connaisseur des Lapons, des conditions dans lesquelles il faut recueillir des matériaux linguistiques et folkloriques. En outre, il s'initia à la médecine et même à l'obstétrique afin de pouvoir assister au besoin les populations parmi lesquelles il serait appelé à vivre.

Ainsi, équipé des connaissances les plus variées, ayant appris le russe, il se rendit en 1911 en Sibérie où il se jeta dans l'étude des Samoyèdes, n'hésitant pas à partager leur existence souffreteuse, en plein hiver, dans la toundra.

Revenu dans sa patrie, il repartit en expédition dès 1914 et se dirigea cette fois sur les monts Sayan où il savait devoir trouver quelques vestiges du dialecte samoyède kamasse ou kamassique. Il réussit à repérer 7 personnes qui parlaient encore cette langue en voie d'extinction et sauva les derniers restes d'un idiome qui a dû disparaître depuis.

La guerre le força à quitter la Russie. En rentrant, il participa au mouvement anti-russe qui soulevait à cette époque une partie de la jeunesse finlandaise. Il se réfugia en Suède, gagna ensuite l'Allemagne, s'engagea dans ce fameux bataillon de "chasseurs" finlandais qui combattit sur le front de l'est contre les Russes.

Les événements de 1917 le firent retourner en Finlande où il prit part, avec les autres "chasseurs", à la guerre dite d'indépendance.

Dans les années qui suivirent, il se mêla à la vie politique de sa patrie. Il était conservateur et nationaliste. Il lutta contra la gauche et l'extrême gauche avec une énergie farouche mais toujours avec une parfaite loyauté. Il fut à la tête du mouvement irrédentiste qui réclamait l'annexion des terres de langue finnoise que la frontière du traité de Dorpat (1920 avait laissées sous la souveraineté de l'U.R.S.S.

Parallèlement, il poursuivait sa carrière universitaire et ses recherches. Il fut nommé successivement "docent" de linguistique ouralienne (1924) et, dix ans plus tard, professeur de phonétique à l'université de Helsinki. Il publiait successivement une belle série de travaux sur la linguistique samoyède (notamment sa thèse "Sur les occlusives et spirantes labiale à l'initiale en samoyède et en ouralien" et sur les problèmes du peuplement en Sibérie. C'est ainsi qu'il apporta la démonstration que la langue ket ou ostiak de l'Iénisséï doit être considérée comme une langue sino-thibétaine égarée au fond de la Sibérie.

C'est en 1932 qu'il publiera l'ouvrage dont on trouvera ci-après la traduction. Son titre finnois est Siperia.

Cet ouvrage est le seul existant actuellement sur la Sibérie Occidentale. C'est la première étude d'ensemble où se trouvent examinées à la fois toutes les questions concernant les langues, les races, les peuples, les croyances, les us et coutumes de cette vaste région de notre continent eurasiatique. Il est écrit avec un enthousiasme, une conviction qui ne pourront pas ne pas frapper le lecteur. Kai Donner y expose des connaissances qu'il a acquises directement sur place et qu'il a vérifiées par des études prolongées où il n'a négligé ni les expériences de ses devanciers, ni les recherches de ses contemporains, en particulier celles de son compatriote et émule Lehtisalo.

Une pareille étude pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Mais le savant fait souvent avancer la science plus sûrement en posant les problèmes qu'en leur apportant des solutions prématurées.

Kai Donner était parti de cette hypothèse que les Samoyèdes, venus tardivement d'Europe dans leur habitat actuel, ne pouvaient rien avoir en commun avec les populations situées en Sibérie à date plus ancienne. Il était convaincu que les Tongous et les Turks ne parlaient pas des langues apparentées au groupe ouralien. A cet égard, il avait délibérément rompu avec les vues de son propre père et celles de son illustre prédécesseur, le grand explorateur finlandais Castrén, qui croyaient l'un et l'autre que les langues finno-ougriennes, samoyèdes, turkes, mongoles et toungouses doivent être rapprochées.

C'est peut-être sous l'influence de cette hypothèse que Kai Donner a cru que les territoires de Sibérie occidentale parcourus par les tribus samoyèdes étaient inhabités quand celles-ci avaient fait leur apparition à l'est de l'Oural, après s'être séparées des Finno-Ougriens. Mais les recherches poursuivies depuis lors ont fait apparaître des faits troublants qui contredisent pareille supposition. Dès 1926, le savant russe Bogosaz nous faisait connaître qu'il estimait que l'actuel habitat samoyède avait dû être fréquenté par les ancêtres des Youkaguirs que l'on retrouve présentement en Sibérie orientale. Les travaux du linguiste suédois Björn Collinder et du savant allemand Karl Bouda ont révélé, ces dernières années, que les langues samoyèdes et même les langues finno-ougriennes, ont dû avoir des contacts avec le youkaguir, sans qu'il soit possible de préciser pour l'instant la nature ni le lieu et encore moins la date de ces contacts.

De ces quelques indications, il résulte que l'image de l'ancienne Sibérie occidentale, que l'on trouvera esquissée dans le livre de notre auteur, ne répond plus tout à fait à ce que nous savons dans l'état actuel de la science. Et des observations analogues seraient à faire également sur d'autres points.

Mais ces retouches nécessaires n'enlèvent rien à la valeur de ce magnifique ouvrage où l'explorateur a mis la somme de son expérience humaine et scientifique de la Sibérie. Tous ceux qui s'intéressent au présent et au passé de cette région du globe dont l'importance ira croissant, devront le lire et le méditer.

Kai Donner est mort prématurément le 12 février 1935, des suites d'une douloureuse maladie des reins qu'il avait contractée au cours de sa dernière expédition en Sibérie. Il laisse une imposante quantité de documents inédits dont l'ampleur a été évaluée par lui-même à plus de 2500 pages in-8°. Trop de préoccupations étrangères à la science l'avaient distrait de ses travaux durant les années qui ont suivi son retour d'Asie. Qu'il soit permis d'exprimer ici le regret que cet admirable savant n'ait pas pu vivre plus longtemps ni consacré davantage sa vie précieuse à démêler pour la postérité tant de problèmes qu'il étéit probablement le seul à pouvoir résoudre de son temps.

Je manquerais à un devoir de reconnaissance si je ne disais tout ce que je lui dois personnellement. J'ai eu l'avantage de le rencontrer à plusieurs reprises et de profiter de sa conversation à la fois si gaie, si spirituelle et si instructive. Il savait dispenser son savoir sans compter et je ne puis songer sans émotion aux longues causeries au cours desquelles il me confiait ses vues et me faisait part de ce qu'il avait appris."

Aurélien Sauvageot

Professeur de langues finno-ougriennes à l'Ecole Nationale des Langues Orientales

 

Kai Reinhold Donner (1889-1935) et le Maréchal Mannerheim:

http://pocombelles.over-blog.com/article-kai-reinhold-donner-1889-1935-par-aurelien-sauvageot-85345885.html

Tente samoiède peau de rennes in Kai Donner La Sibérie

Tente samoyède en peaux de rennes. In: Kai Donner, La Sibérie (1946) 

A travers la neige épaisse. L'homme en raquettes, devant,  ouvre un chemin à  travers la neige avec son renne. Illustration extraite du récit de Kai Donner: "Among the Samoyeds".

"When Kai Donner was born in 1888, Finland was an agricultural country in the process of industrialization and a Grand Duchy of the Russian Empire. The rise of national romanticism in Finland included an emphasis on the past of the nation and the significance of the Finnish language. It was known that languages related to Finnish were spoken in Russia as far as Siberia, which became a focus of research in both the humanities and natural sciences.

To help the research, the Finno-Ugrian Society was founded in 1883. The new learned society was an initiative of Kai Donner's father, Senator Otto Donner, Professor of Sanskrit and comparative linguistics. With the authorization from the Finno-Ugrian Society, the 23-year-old graduate Kai Donner was sent in 1911 to study Eastern Samoyed languages, Selkup, Kamass, Enets and Ket.

"The memory of my father, and his work and goals have been good support for me, and M. A. Castrén's [linguist M. A. Castrén (1813‒1852)] endeavours in research, rich in troubles and setbacks, have encouraged me to do my best."
- preface of the book of Donner's travels

Donner was actively involved also in the Jaeger movement and in matters of politics and society as a figure trusted by General C. G. Mannerheim. After the Finnish Civil War of 1918, he was commandant of the Finnish-Russian border region throughout 1918. Donner returned to political activism in 1930, serving in the central leadership of the right-wing Lapua Movement.

Donner served as a supernumerary amanuensis (curator) of the Library of the Alexander University (present-day University of Helsinki) from 1900 to 1918 and defended his doctoral dissertation in 1923. In 1924 he was appointed docent (adjunct professor) Uralic languages at the University of Helsinki. He became acting professor of phonetics in 1934."

Adventures in Siberia. Photographs by Kai Donner 1911‒1914- Exhibition at the National Museum of Finland, from 10 October 2014 to 1 February 2015

http://www.kansallismuseo.fi/en/nationalmuseum/press-service/archive

 Bataille entre les indigènes et les Russes près du lac Tobol (conquête de la Sibérie par Yermak). Huile sur toile par Vassili Sourikov (1895). Musée russe (Saint Petersbourg).  Les Russes (à gauche) fusillent sans pitié avec leurs armes à feu, au nom du Christ dont les bannières flottent au-dessus, les indigènes qui se défendent avec des arcs et des flèches.  "Ermak Timofeïévitch (en russe : Ермак Тимофеевич ; vers 1540-1585), cosaque du Don et l'un des premiers Russes à explorer la Sibérie occidentale, a permis à Ivan le Terrible de commencer la conquête de cette région et de reculer la frontière de la Russie de l'Oural à l'Irtych.(...) Pour les Russes, Ermak est devenu une légende, le symbole du nouveau pouvoir occidental sur les Sibériens. Il est l'explorateur et le conquérant ayant ouvert la voie vers l'Est." (Wikipedia)

Bataille entre les indigènes et les Russes près du lac Tobol (conquête de la Sibérie par Yermak). Huile sur toile par Vassili Sourikov (1895). Musée russe (Saint Petersbourg). Les Russes (à gauche) fusillent sans pitié avec leurs armes à feu, au nom du Christ dont les bannières flottent au-dessus, les indigènes qui se défendent avec des arcs et des flèches. "Ermak Timofeïévitch (en russe : Ермак Тимофеевич ; vers 1540-1585), cosaque du Don et l'un des premiers Russes à explorer la Sibérie occidentale, a permis à Ivan le Terrible de commencer la conquête de cette région et de reculer la frontière de la Russie de l'Oural à l'Irtych.(...) Pour les Russes, Ermak est devenu une légende, le symbole du nouveau pouvoir occidental sur les Sibériens. Il est l'explorateur et le conquérant ayant ouvert la voie vers l'Est." (Wikipedia)

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