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Le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

Louis Brauquier: L'Arménien

23 Juillet 2017 , Rédigé par POC

L'Arménien 

 

J'aime le vieil Arménien dans l'échoppe sombre 
Où, seul, dès le matin, il allume la lampe, 
Jusqu'au soir ranimant sur des tapis rongés 
Par d'innombrables pas et tant de balayages, 
La rose de Chiraz que le temps a pâlie, 
La gloire perse, le lion des Sassanides 
Et la vivacité des cavaliers turquoise. 

Parfois un homme de son âge entre et s'assied,  
Prenant soin de ne pas lui masquer la lumière ;  
Et comme il fait une visite d'amitié 
Il garde son feutre un peu sale sur la tête. 
Il parle en souriant ; sérieux l'autre écoute 
Sans cesser d'assortir ses brins à ses couleurs, 
Les yeux près de la trame et l'esprit envolé. 
En passant, je les vois  à travers la vitrine. 

Ils parlent. De quoi parlent-ils ? d'enfants malades, 
Puis en allés, d'énormes femmes qui vieillissent, 
Du temps dehors, du fisc et des bruits de la rue. 
Mais ils savent, c'est un langage convenu. 

En vérité, pour eux, il s'agit d'un village 
Près d'Erzeroum, si loin à cause des montagnes, 
D'un olivier ébranché par une colombe, 
D'évêques barbus et chanteurs, des anciens Turcs,  
D'histoires avant le déluge, et de massacres. 

Le visiteur s'en va ; et lui attend la nuit 
Pour fermer sa boutique où, dans l'ombre, s'endorment 
Les roses, les lions et les guerriers de laine. 


Feux d'épaves, éd. Gallimard, 1970 
Œuvres complètes, pages 363-364.
Je connais des îles lointaines, éd de La Table Ronde.

 

Source: http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=248:soirs-de-vie-aux-vigneaux-saint-john-perse-et-louis-brauquier&catid=3&Itemid=131

 

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