Remarques à Eduardo Kohn et à Philippe Descola à propos du livre d'E. Kohn: "How forest think"
14 Août 2017 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles
L'EHESS a publié dans la rubrique "Tessitures" de son site internet le résumé d'un séminaire (2016) consacré à l'analyse du livre d'Eduardo Kohn "How forests think".
http://ehess.tessitures.org/controverses/archives-2016-2017/le-tournant-ontologique/eduardo-kohn/
Philippe Descola, ethnologue qui a fait son terrain parmi les Amérindiens d'Amazonie et qui anime maintenant la chaire d'Anthropologie de la Nature au Collège de France, a donné son avis, que nous reproduisons ici, extrait de la présentation de "Tessitures".
Descola adresse à Kohn dans Hau une critique d'une tout autre pertinence. Kohn, dit-il, définit la vie de façon paradoxalement trop extensive, et de ce fait il limite beaucoup le champ d'expansion d'une Anthropology beyond the Human. Beaucoup de choses et de processus, pour Kohn, sont vivants, non pas parce qu'ils évoluent (not because they are in flux) mais parce qu'ils “produisent quelque chose” dans le monde (but because they eventually ‘do things’ in the world), manifestant ainsi une intention. Kohn trace donc une ligne de démarcation entre les non-humains qui sont vivants et qui pensent et ceux qui ne sont pas vivants parce qu'ils ne pensent pas et ne produisent rien. How Forests Think, p.100: “life thinks, stones don't.” Mais, objecte Descola, les pierres sur lesquelles je bute et j'achoppe produisent quelque chose dans le monde, comme c'est le cas d'une image de la Vierge, de la radioactivité, d'un cadran solaire, et bien d'autres objets dépourvus de vie et de pensée:
Conflating, as Kohn does, agency, thought, and semiosis thus leaves a great many nonhumans unaccounted for and expelled beyond the limits of an anthropology-beyond-the-human— which perhaps should better be rechristened then as a "biosemiology." This is unfortunate.
Kohn expulse donc de la forêt, c'est-à-dire de la scène ontologique qu'il étudie, une partie des acteurs non-humains qui la peuplent, et cette exclusion appauvrit la vie des autres.
Manifestement, la thèse de Kohn part de la formule célèbre de Descartes: "Je pense, donc je suis", attribuée dans le monde occidental moderne exclusivement à l'homme Homo sapiens sapiens, qui s'arroge le privilège d'être la seule espèce parmi toutes les autres à posséder la connaissance et la pensée. Bref, d'avoir un "esprit" ou une "intelligence"*. Kohn renverse ce dogme et l'applique au reste de la nature, ce qui semble une bonne intention.
Philippe Descola objecte à Kohn, à juste titre, de conditionner la pensée à la production, établissant de facto une séparation entre le vivant et le non-vivant.
Ni Kohn ni Descola - qui ne sont pas des poètes et des philosophes- n'ont pensé au fait qu'en dehors de l'homme qui s'est longtemps qualifié d'Homo faber, "l'homme qui fait, qui fabrique", tous les êtres vivants et non-vivants dans la Nature simplement sont. Le seul but, la seule raison de leur existence est d'être. La reproduction des êtres vivants a le même but, la même raison: perpétuer l'espèce. Chaque être vivant est un maillon dans une chaîne. Même les individus qui ne se reproduisent pas jouent leur rôle, ont leur utilité. Des millions de glands d'un chêne produit dans sa longue existence (plus de cinq cents ans au moins, si on ne l'abat pas), quelques-uns seulement deviendront un jour des arbres, peut-être, le reste sera mangé par les animaux.
L'homme, lui (et surtout l'homme moderne et occidental), a besoin de se distinguer de tout le reste de la nature par le faire ou le produire. Même un ethnologue, un anthropologue universitaires comme Eduardo Kohn et Philippe Descola ont besoin, dans le système qui les nourrit et les honore, de produire des enseignements, des articles, des livres.
... sauf, toujours et partout, quelques poètes, philosophes, religieux et sages qui ont choisi de se retirer du monde, toujours dans la nature, pour ne pas faire, mais simplement être.
Être comme dans tout ce qui constitue la nature: terre, air, eau, feu et les plantes et les animaux à la surface.
Être est la plus grande finalité que l'homme puisse se donner. Ce choix condamne beaucoup de choses. Cet accomplissement exige des sacrifices. Précisément le faire.
Être est plus grand que faire.
N'est-ce pas pour cela qu'un philosophe antique a dit qu'il faut moins juger un homme par ce qu'il a fait que par ce qu'il n'a pas voulu faire ?
Pierre-Olivier Combelles
* Sur l'intelligence des plantes, voir les travaux remarquables de Francis Hallé et de Stefano Mancuso. L'intelligence semble être d'abord l'aptitude à résoudre des problèmes. Elle est générale dans la Nature et commune à tous les êtres.
Comme l'homme fait partie de la nature, l'esprit de l'homme fait partie de l'Esprit de la Nature.
由于人是性质的一部分,人的精神是性质之灵的一部分
Yóuyú rén shì Xìngzhì de yībùfèn, rén de jīngshén shì Xìngzhì zhī líng de yībùfèn
Pierre-Olivier Combelles
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