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Le Fil d'Ariane

Une rencontre avec François Mayu

9 Novembre 2017 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles

Une rencontre avec François Mayu
Une rencontre avec François Mayu
Une rencontre avec François Mayu
Les Trois du Poteau d'Ailles. Sculpture à la mémoire de trois soldats français dont François Mayu a retrouvé les restes et une plaque avec un numéro qui a permis de les identifier. Ils avaient été portés disparus. Une cérémonie d'inhumation a eu lieu plus tard, sur place.

Les Trois du Poteau d'Ailles. Sculpture à la mémoire de trois soldats français dont François Mayu a retrouvé les restes et une plaque avec un numéro qui a permis de les identifier. Ils avaient été portés disparus. Une cérémonie d'inhumation a eu lieu plus tard, sur place.

Une rencontre avec François Mayu

J'ai rencontré François Mayu un lumineux dimanche matin d'octobre, à Auffargis, le village où j'habite dans la forêt de Rambouillet. Je revenais de la boulangerie à vélo, mes baguettes sous le bras pour le petit-déjeuner, lorsque j'ai fait un crochet pour laisser un message au Manoir des Arts, à côté de l'église. Je suis entré das la salle d'exposition. J'étais le seul visiteur. Deux personnes dans une pièce derrière, un homme et une femme. C'est là que j'ai fait la connaissance de François Mayu, qui exposait ses étranges sculptures de métal rouillé. Je les avais aperçues quelques semaines auparavant, mais je n'y avais pas fait très attention. 

"Le hasard est un des noms innombrables de Celui qui n'a qu'un nom". Cette phrase de René Barjavel, que m'avait apprise une visitrice des hôpitaux, résonnait encore dans mon esprit.

http://pocombelles.over-blog.com/2017/10/le-hasard.html

Quelques jours auparavant, en effet, je m'étais retrouvé dans un hopital de la région parisienne à la suite d'un AVC transitoire, totalement imprévu, qui heureusement n'avait laissé ni trace ni séquelle, mais m'avait montré le mince fil qui nous sépare, nous vivants, de la mort.

François Mayu était là. Je lui ai posé des questions sur ses sculptures. Il m'a répondu et de fil en aiguille, il m'a raconté toute leur histoire et nous nous sommes embarqués dans une conversation qui a bien duré deux heures. Entre temps, j'étais allé chercher mon appareil photo à la maison pour prendre quelques images que vous voyez ici. 

Il m'a raconté que depuis des années, il avait abandonné son métier dans une agence de communication pour se consacrer uniquement à recueillir, au Chemin des Dames, des morceaux d'éclats d'obus et de schrapnels de la première Guerre mondiale, pour les assembler ensuite chez lui sous forme de sculptures. Il y va chaque année. Il connaît la région par coeur, et tout le monde. Il parcourt systématiquement les champs et les bois, ramassant les éclats qu'il met dans sa besace qui finit par peser des dizaines de kilos à la fin de la journée. Son regard est devenu un regard d'aigle, de buse, de héron. Rien ne lui échappe. Et son coeur s'imprègne de l'histoire de tous ces hommes, de ces soldats français et allemands qui se sont battus là, ont vécu, ont souffert, sont morts ou ont survécu. 

Dans son atelier, à Paris, il nettoie, découpe, assemble, soude les morceaux pour en faire ces étranges compositions qui ressemblent à des colonnes vertébrales, à des squelettes. Ce sont plus que des sculptures, ce sont des mémoriaux.

Mille images et souvenirs me revenaient à la mémoire en conversant avec lui: Théodore Monod, le grand naturaliste et spécialiste du désert, mon voisin dans les années 1990 au Laboratoire d'Ethnobiologie du Muséum d'Histoire naturelle, rue Cuvier, qui arpentait le Sahara à la recherche de fossiles d'animaux disparus, d'outils préhistoriques, de météorites. 

Me revenaient à l'esprit mes pérégrinations dans les Hautes Andes où j'apportais, comme des milliers de voyageurs avant moi depuis des milliers d'années, mes offrandes; pierre, feuilles de coca et prières aux apachetas, cairns votifs sur les cols, entre 4000 et 5000 m d'altitude. 

https://www.siteany78.org/spip.php?article555

Je me souvenais des silex taillés du Mésolithique, petits, rougeâtres, aux délicates ciselures, trouvés après la pluie dans les champs des clairières de la forêt de Rambouillet; les pointes de flèches d'obsidienne, noires, fascinantes, que je trouvais par terre dans la vallée de notre domaine "Pitunilla" d'Ayacucho, dans les Andes péruviennes.

http://pocombelles.over-blog.com/2017/10/grattoir-mesolithique-visage-enigmatique.html

Je me souvenais des incroyables gisements d'outillage de pierre taillée et d'ossements d'animaux, certains d'espèces disparues, au pied des pitons rocheux de la pampa de Junin, dans les Andes centrales du Pérou, à plus de 4000 m d'altitude, lorsque je faisais mes recherches sur la maca sauvage. Et de cette empreinte de fougère du Carbonifère, vieille de 350 millions d'années,  trouvée un jour sur le sol de la puna, en marchant.

http://www.thefossilforum.com/index.php?/topic/72054-fossil-fern-in-the-high-andes-of-peru/

Chaque fois mon coeur vibrait, j'entrais comme avec une clé magique dans une époque et un monde secrets, révolus, mais qui se mettaient à exister à nouveau pour moi.

Je me souvenais des gravures mystérieuses des grottes mésolithiques dans la forêt de Rambouillet, où ma main et mes doigts dans les rainures et les cupules essayaient de découvrir le coeur des hommes, mes très lointains ancêtres, qui avaient fait cela...

http://pocombelles.over-blog.com/2017/10/samain-31-octobre.html

J'essayais de me souvenir ou de réfléchir à ce que signifiait la guerre de 1914-18 pour moi. Quelques connaissances et images d'histoire. Je n'ai pas connu mon arrière grand-père et mon grand-père maternels qui s'y sont battus et y ont été blessés. Croix de guerre tous les deux. Une lettre ou deux de mon arrière grand-père, le Cdt Emile Steinmetz, écrite du front, sans noms de lieux comme c'est le réglement, trouvées en explorant le grenier de la maison de famille quand j'étais enfant. Le sabre de mon arrière grand-père, dont j'ai hérité, et que j'entretiens scrupuleusement.

Notre conversation, qui a bien duré deux heures, et au cours de laquelle personne n'est venu nous déranger, était devenue fascinante.

J'étais profondément ému par cet homme qui chaque année, revient en pèlerinage au Chemin des Dames, inlassablement, pour parcourir les champs, recueillir ces fragments de métal mortels, parfois des bombes, parfois des ossements humains, et partager, et faire partager les peines et le sacrifice de ces hommes inconnus et transfigurer cela dans ses étranges sculptures de métal oxydé. Des oeuvres religieuses, assurément.

Pierre-Olivier Combelles (novembre 2017)

Photos de l'auteur.

Site internet de François Mayu: http://www.francoismayu.com/

Manoir des Arts d'Auffargis: http://www.manoirdesarts.fr/

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