La critique d'un général russe à la retraite pourrait être le signe d'un problème plus important pour Poutine, par Paul Roderick Gregory (2 novembre 2022)
La critique d'un général russe à la retraite pourrait être le signe d'un problème plus important pour Poutine.
par Paul Roderick Gregory , opinion contributor - 02/11/22 1:00 PM ET
Le colonel-général russe à la retraite Leonid Ivashov, chef de l'Assemblée des officiers russes*, a rendu publique une déclaration appelant le président russe Vladimir Poutine à démissionner en raison de la confrontation avec l'Ukraine**. Pour dissiper tout doute quant à son message, M. Ivashov, 78 ans, a fait suivre sa déclaration publique d'une interview accordée à un média russe libéral, Echo Moskvy, insistant sur le fait qu'il s'exprimait au nom de l'Assemblée des officiers russes à la retraite et réservistes qu'il dirige.
La déclaration collective a été mise au point lors de discussions internes, a déclaré M. Ivashov, certains militaires à la retraite préconisant une ligne plus souple à l'égard de M. Poutine , tandis que d'autres exigeaient des mots encore plus durs. S'exprimant dans un langage mesuré, M. Ivashov a expliqué que les officiers d'active n'étaient pas libres de dire ce qu'ils pensaient, ce qui est compréhensible, et il a souligné le fait qu'il s'adressait au petit auditoire d'Echo-Moskvy.
Ivashov n'est pas un critique de Poutine ou un dissident russe comme Boris Nemtsov ou Alexei Navalny. En l'absence d'un maréchal de l'armée en activité - comme le maréchal Georgy Zhukov, le célèbre général de l'Armée rouge de la Seconde Guerre mondiale - un colonel-général serait le deuxième grade le plus élevé de l'armée russe. Avant l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, M. Ivashov a été conseiller principal du ministre de la défense et chef des affaires générales du ministère ; il a ensuite occupé d'autres postes et commandements militaires de haut niveau avant de prendre sa retraite - ou, selon certains, d'être limogé par M. Poutine - en 2001***.
Il a notamment mené de nombreuses négociations avec l'OTAN et l'armée américaine.
Depuis lors, il a beaucoup écrit sur les questions militaires et géopolitiques russes, du point de vue d'un nationaliste pro-soviétique et intransigeant. Il a même tenté, sans succès, de se porter candidat à la présidence en 2011. Il a fréquemment critiqué M. Poutine et l'a appelé à plusieurs reprises au fil des ans à démissionner.
S'il est le seul militaire à s'exprimer publiquement contre les actions de Poutine en Ukraine, sa voix n'en est pas moins importante. Comme l'a tweeté Michael McFaul, ancien ambassadeur des États-Unis en Russie: « C'est une affaire importante. Il fut un temps où le général Ivashov était l'un des dirigeants les plus respectés (et les plus faucons) du [ministère de la défense] russe. Les généraux russes n'ont pas l'habitude de s'impliquer dans les débats de politique publique, en particulier ceux comme Ivashov ».
Pour être clair, M. Ivashov pense que l'OTAN est une puissance hostile, mais son expérience lui a appris que la menace OTAN/États-Unis est sous contrôle et qu'aucune menace extérieure n'est imminente de la part des puissances occidentales. Le renforcement massif des troupes russes aux frontières de l'Ukraine et du Belarus n'a donc pas pour but de faire face à une menace occidentale. Il s'agit plutôt de détourner l'attention de la santé intérieure, des défis démographiques, de l'effondrement du niveau de vie et de la corruption généralisée dont souffrent les citoyens russes sous la mauvaise gestion d'un régime Poutine incompétent.
M. Ivashov souligne que le modèle Poutine n'a nullement démontré sa supériorité à l'égard de l'Ukraine, de la Crimée, des deux républiques ukrainiennes « séparatistes » ou de qui que ce soit d'autre. Sous Poutine, la Russie est devenue un « paria » international. L'annexion de la Crimée n'est pas reconnue par les nations crédibles et la Russie est largement considérée comme un État voyou en raison de la « politique criminelle de provocation de la guerre » de M. Poutine.
M. Ivashov fait la distinction entre les rangs des officiers professionnels russes hautement qualifiés et l'« élite » militaire du Kremlin, dirigée par ce qu'il considère comme des incompétents. Si la politique de Poutine, qui ne vise qu'à consolider son pouvoir interne, entraîne effectivement la Russie dans une « guerre catastrophique », ajoute-t-il, ce ne seront pas les soldats du Kremlin qui en paieront le prix, mais plutôt les officiers professionnels et les dizaines de milliers de jeunes conscrits russes qui seront tués ou estropiés au cours des combats.
En outre, Ivashov craint que la Turquie ne s'allie à l'Ukraine dans le cadre d'une alliance militaire si la guerre éclate. Il s'agirait là, bien entendu, d'une toute autre affaire à laquelle les Russes devraient faire face.
La solution d'Ivashov : Renvoyer Poutine s'il n'est pas contraint de démissionner et, si nécessaire, le mettre en prison pour sa « politique criminelle de provocation de la guerre ».
Bien entendu, il est très peu probable que tout cela se produise.
Et pourtant, selon le récit d'Ivashov, il parle au nom d'une partie importante de l'armée professionnelle russe, l'institution en laquelle le peuple russe a le plus confiance. Si son affirmation est vraie, ces militaires, qu'ils soient à la retraite ou encore en uniforme, doivent avoir des sentiments très forts, sinon ils seraient restés confortablement tranquilles, profitant de leurs pensions et de leurs privilèges, plutôt que d'encourir la colère et l'inévitable punition de Poutine.
Poutine trouvera sans aucun doute un moyen de punir Ivashov pour ses critiques franches, et peut-être aussi d'autres membres de l'Assemblée des officiers russes. Mais il ne peut pas éliminer tous ceux qui croient aux propos d'Ivashov. Il ne peut pas non plus se permettre de s'aliéner ses militaires professionnels.
Il se peut qu'avec tous ses coups de sabre et ses manœuvres sur l'Ukraine, Poutine ait créé une opposition qu'il ne pourra pas faire taire aussi facilement.
Paul Roderick Gregory est professeur émérite d'économie à l'université de Houston, chercheur à la Hoover Institution de l'université de Stanford et chercheur à l'Institut allemand de recherche économique. Suivez-le sur Twitter @PaulR_Gregory.
Traduit de l'américain par Le Fil d'Ariane
NDLR
* Le colonel (GRU) Vladimir Vassilievitch Kvachkov a succédé depuis au colonel-général Ivashov à la présidence de l'Assemblée pan-russe des officiers (de réserve). Accusé de critiques contre l'autorité militaire russe au sujet de l'"Opération militaire spéciale" en Ukraine, le colonel Kvachkov a été placé sous surveillance policière et le site internet de l'Assemblée pan-russe des Officiers a été fermé. Le compte Youtube de l'Assemblée, qui diffusait de nombreuses vidéos de déclarations et d'entretiens, très populaires, a été lui aussi clôturé.
https://pocombelles.over-blog.com/tag/colonel%20v.v.%20kvachkov/1
Le colonel Kvachkov s'est exprimé aussi publiquement de manière très critique au sujet de l'opération Covid:
** Colonel-Général Leonid Ivashov: Appel de l'Assemblée Panrusse des Officiers au Président et aux citoyens de la Fédération de Russie (28 janvier 2022)
*** Le colonel-général Leonid Ivashov avait pris en effet une position très critique au sujet de la version officielle des attentats du 11 septembre 2001, participant notamment à la projection du film "Zero" de Giulietto Chiesa à la télévision russe le vendredi 12 septembre 2008, à l'heure d'écoute maximale. Projection et débat organisés avec le comité Axis for Peace, en présence de Giulietto Chiesa et de Thierry Meyssan venus spécialement en Russie à cette occasion.
https://bibliotecapleyades.net/sociopolitica/esp_sociopol_911_78.htm
Consulter aussi, sur ce blog:
Message du colonel général Leonid Grigorievich Ivashov, président de l'Académie des problèmes géopolitiques, à tous les citoyens de Russie.
De qui Poutine est-il surtout le Président ? réponses implicites de Shamil Sultanov et de Leonid Ivashov.
Colonel-général Leonid Ivashov: Jour de l'équinoxe de printemps (23 mars 2021)
En-tête de l'Assemblée pan-russe des Officiers, avant la fermeture de son site internet par le pouvoir.