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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

L'indépendance alimentaire de la Suisse (Hansjörg Walter/Union Suisse des Paysans)

6 Janvier 2010 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles

 

http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=1941

 

 

Horizons et débats > 2009 > N°49, 21 decembre 2009 
 

"A mon avis, le Cycle de Doha a échoué"

 

 

Interview de Hansjörg Walter, conseiller national et président de l’Union suisse des paysans



Horizons et débats: Que pensez-vous des résultats de la session extraordinaire du Parlement sur l’agriculture?


Hansjörg Walter: Il y avait plusieurs interventions, plus de 40, dont 26 seulement ont été soumises au vote. Le Conseil fédéral les ayant toutes refusées, il en est resté pourtant 15 que le Parlement a acceptées. C’est là un vote de méfiance à l’adresse du gouvernement. Le libre-échange avec l’UE se heurte à une certaine opposition au sein du Conseil national, comme le montrent les nombreux votes négatifs.

On a l’impression que différents points adoptés par le Conseil national constituent des mesures d’accompagnement de l’accord sur le libre-échange. Est-ce suffisant? Ne faudrait-il pas quelque chose de plus fondamental?
 

Les votes visant à exclure le domaine de l’alimentation à l’OMC ont passé. Il faut rester réaliste, la Suisse ne dispose au sein de l’OMC que d’une faible voix. Et pourtant il s’agit là d’un signal assez clair montrant qu’en Suisse, la souveraineté et l’autosuffisance alimentaires sont primordiales. Et une majorité est d’avis que la sécurité alimentaire des pays en développement a une grande importance.

 

Quels seront les contours de l’agriculture de demain?

   

Il importe que l’agriculture produise pour les marchés régionaux et nationaux. Les exportations de denrées qui ne sont pas néces­saires sont absurdes. Bien sûr qu’il faut maintenir un certain commerce agricole mais il n’est pas acceptable que les agriculteurs soient perdants, au profit des grands groupes agroalimentaires mondiaux.

 

Vous venez de dire que les paysans ne doivent pas être les perdants, mais on constate chez eux, un recul des revenus. Comment y remédier?

   

En Suisse, on constate une baisse nominale par rapport aux autres secteurs de la population active. Sinon les revenus sont restés relativement stables. Mais l’écart par rapport aux revenus provenant d’un travail comparable s’accentue. Les paysans, entrepreneurs indépendants, se voient obligés d’élargir leur potentiel de production et d’optimiser leur organisation du travail. La formation permanente est inévitable.


Quels sont les effets de l’accord avec l’OMC et celui de libre-échange avec l’UE sur l’agriculture suisse?


Du point de vue des chiffres, un accord avec l’OMC, dans les conditions actuelles, serait plus dommageable que celui sur le libre-échange avec l’UE. Mais cela dépend naturellement aussi de l’évolution des prix sur le marché mondial. De plus, lors du dernier cycle (Cycle de l’Uruguay), la pression des importations n’était pas aussi forte qu’on le craignait au début. L’accord de libre-échange avec l’UE implique une ouverture complète des frontières, c’est-à-dire la disparition de toute frontière et il est évident que la Suisse souffrirait énormément des excédents agricoles de l’UE. Avec son pouvoir d’achat, la Suisse serait un débouché pour ces excédents. Notre agriculture serait ruinée, comme celle de l’UE.

Par rapport aux autres pays, nos coûts de production resteront élevés à l’avenir puisque le niveau des salaires est élevé lui aussi et que personne n’a intérêt à ce qu’il baisse. A l’OMC, il faut lutter pour que les négociations du dossier agricole aboutissent à traiter à part les produits sensibles comme le lait, la viande, les légumes et les fruits. Et il n’est pas question de toucher à notre indépendance alimentaire. Il faut accorder à chaque pays le droit de mener sa propre politique agricole et de respecter ainsi les besoins particuliers de chaque population.

 

Dites-nous brièvement vos impressions sur le Cycle de l’Uruguay. Quelles décisions y ont été prises?

 

Il s’est terminé à la fin des années 90. C’est la première fois qu’on intégrait l’agriculture, et cela par la réduction des droits de douane et des subventions destinées à soutenir le marché.

 

Le rapport mondial sur l’agriculture montre que les petites exploitations régionales peuvent garantir l’alimentation de l’humanité. N’est-ce pas ce que la Suisse pratique depuis toujours?

 

Il s’agit là, comme vous venez de le dire, moins du problème suisse que de celui des pays en développement puisque là, ce sont les grands groupes agroalimentaires qui dominent l’agriculture avec une masse de travailleurs agricoles. Au niveau mondial, il y a peu de petites exploitations familiales telles que nous les connaissons en Suisse et partiellement ailleurs en Europe. Les grands groupes industriels réduisent le nombre des personnes travaillant dans le secteur agricole, ce qui entraîne l’exode rural. Aujourd’hui déjà, plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes et les agglomérations, ce qui entraîne d’énormes coûts sociaux.

 

Doris Leuthard prône le renforcement des petites exploitations familiales et cherche à imposer en même temps l’ouverture au libre-échange. L’Union suisse des paysans a relevé cette contradiction. Mais la conseillère fédérale ne semble pas s’en rendre compte ou ne veut pas la prendre en considération. Ne faudrait-il pas s’opposer catégoriquement au libre-échange en matière agricole?

 

Par libre-échange nous entendons l’ouverture via l’OMC et le libre-échange agricole avec l’UE. Il faut savoir qu’en Suisse les structures sont différentes. Nous avons des superficies réduites, un mitage du territoire, une topographie et des conditions climatiques particulières. Face à cela, il serait bon de nous rappeler nos atouts et de ne pratiquer l’ouverture mutuelle que là où nous avons suffisamment de chances. C’est ce qui a été fait dans le cadre des accords bilatéraux I en ce qui concerne le fromage. Cet accord n’est pas si mauvais. Nous vendons vraisemblablement davantage de fromage que sans l’accord, mais la pression des importations est énorme. Nous nous défendons pourtant tant bien que mal sur le marché. L’Union suisse des paysans estime que nous devrions renoncer à un accord global avec l’UE et nous concentrer sur la "clause évolutive"1 des Accords bilatéraux I en nous ouvrant mutuellement là où c’est judicieux: en matière de produits laitiers, de viande transformée, de charcuterie et d’autres aliments transformés. L’ouverture totale aboutirait à d’importantes pertes de revenu chez les paysans et à des suppressions d’emplois dans l’industrie alimentaire, ce qu’il faut éviter.

 

L’A.E.L.E., qui a exclu du libre-échange les domaines sensibles, ne serait-elle pas une alternative envisageable?

 

Les accords bilatéraux de libre-échange en dehors de l’OMC sont pratiqués par la Suisse et d’autres pays également, notamment les Etats-Unis. Mais là aussi, en matière agricole, nous devons faire constamment des concessions, notamment dans le cadre des contingents douaniers de l’OMC. Cela entraîne une pression énorme de la part de l’OMC en vue d’augmenter les contingents douaniers. Il est faux d’accorder des concessions aux importations qui ne peuvent pas être réalisées, comme c’est le cas des pommes de terre précoces provenant des pays méditerranéens.

 

Comment voyez-vous l’avenir en ce qui concerne l’OMC. Ne faudrait-il pas une alternative?

 

A mon avis, le Cycle de Doha a échoué. Il avait commencé en 2001, au Qatar. Or nous voilà arrivés en 2010, ce qui fait 10 ans d’échec. Des discussions ont certes eu lieu, mais elles n’ont pas abouti à des accords. Quant à la baisse des subventions à l’exportation, la Suisse peut y participer, mais nous considérons comme déraisonnable une réduction des droits de douane aussi forte que celle qui est prévue. Il s’agit d’intégrer la production agricole dans les régions pour les faire participer à la croissance économique régionale afin d’éviter que la pauvreté ne s’installe dans les zones rurales.

 

Et comment voyez-vous l’avenir de l’agriculture suisse?

 

L’agriculture suisse a un avenir. Nous avons des consommateurs critiques qui désirent des produits de qualité. Nous avons un degré très bas d’autosuffisance agricole, soit 60%, ce qui nous offre davantage de chances de vendre nos produits. Nos consommateurs disposent d’un pouvoir d’achat élevé, en comparaison des autres pays. Nous devons nous positionner solidement sur le marché national. Les exportations sont surtout possibles dans le domaine des spécialités, là est notre force. Mais il importe de ne pas oublier notre marché national et d’y mettre l’accent. •

 

 1 "Les Parties s’engagent à poursuivre leurs efforts pour parvenir progressivement à une plus grande libéralisation des échanges agricoles entre elles. […]"

 

 

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