Aucune planification dans la crise des réfugiés? (Hermann Ploppa/Horizons et Débats)
Aucune planification dans la crise des réfugiés?
par Hermann Ploppa*
La prétendue «crise» des réfugiés est une catastrophe humanitaire sans égal dans l’histoire de l’humanité. Soixante millions de personnes ont été chassées de leur milieu naturel. La plupart d’entre elles végètent dans des immenses camps de tentes sans nourriture suffisante et vêtements appropriés. Souvent, ils végètent jusqu’à la fin de leur vie dans ces camps, sans liberté alors même qu’ils n’ont jamais commis un délit quelconque. Environ deux millions de ces personnes déracinées ont suffisamment de force, d’argent et de relations vers l’extérieur pour tenter l’asile dans d’autres pays. Chaque jour cette armée de déracinés croît du nombre incroyable de 43'000 personnes. Leur nombre s’est quadruplé depuis 2010. Et cette croissance n’a rien perdu de son essor.
La plupart de ces réfugiés restent dans leur pays d’origine, mais souvent dans une autre province. La plupart de ceux qui doivent fuir dans un autre pays sont accueillis dans des pays pauvres dont les structures sont souvent fragiles. Le champion de l’accueil de réfugiés est la Turquie avec environ 1,6 millions. Alors que la Turquie jouit d’une économie en pleine expansion et peut donc au cours du temps intégrer les réfugiés dans la société, la Jordanie et le Liban sont des pays sans grandes perspectives d’avenir du fait d’un manque de ressources. Le Liban compte environ quatre millions et demi d’habitants et s’occupe de plus d’un million de réfugiés. On ne peut guère comprendre comment ce petit pays, ravagé par des guerres civiles, pourra assurer cette charge énorme sans aide extérieure.
Seule une faible portion de ces déracinés trouve son chemin vers l’Europe. Il s’agit généralement de jeunes personnes capables de supporter, physiquement et psychiquement, des charges considérables, et dotées de moyens financiers. Ce sont donc les privilégiés parmi ces populations malheureuses privées de biens et de droits. Alors que le Liban, l’Ouganda, le Tchad ou la Jordanie doivent s’en tirer avec des millions de réfugiés, la riche Europe est, elle, confrontée à plusieurs centaines de milliers d’exilés. En principe, ce serait supportable – si l’Europe ne s’était pas, actuellement, rendue incapable d’agir suite à une série de facteurs:
La classe politique européenne sans idées
Premièrement, la classe politique européenne n’a pas l’ombre d’une idée comment réagir à cet exode. Certains pays mettent en place des murs, d’autres laissent passer en pleine anarchie ces flux de réfugiés en direction du nord. Quant à l’Allemagne, elle s’est paralysée du fait d’une absence totale de plan migratoire. Ne peuvent entrer dans ce pays de cocagne que celles et ceux qui demandent l’asile et peuvent donc prouver qu’ils sont poursuivis pour une raison ou une autre. Cela signifie que, dans la mesure où la loi est appliquée strictement, seul un petit nombre peut en profiter. Copiant la fameuse «greencard» américaine, l’Allemagne tente d’attirer des gens fort bien formés dans leur pays d’origine, pour lesquels un autre pays, appartenant généralement au Tiers-Monde, a financé leur formation; l’économie allemande espère donc pouvoir en tirer tout le profit gratuitement. Dans ce contexte, le ministère des Affaires étrangères se contente de préciser que «l’Allemagne n’est pas un pays d’immigration classique qui, comme les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie fixent des quotas d’immigration annuels.» Cependant, la politique, les médias et surtout l’économie réagissent à l’afflux migratoire très exactement comme s’il y avait un droit à l’immigration en Allemagne: on lance une litanie comme quoi la population allemande vieillirait dans les prochaines décennies et que, donc, les générations à venir ne pourraient plus financer le système des retraites et que de ce fait l’Allemagne pouvait accueillir sans difficulté quelques millions de réfugiés sur son marché de travail. Et soudain, on découvre tout à coup des logements vides, on pourrait aussi faire revivre les régions désertées en Allemagne de l’Est, comme cela avait été le cas lors de la venue des Huguenots. C’est ce qu’on semble découvrir soudainement.
Une Allemagne sans culture sociale performante du consensus
Des millions d’êtres humains traumatisés, venant de cultures étrangères avec des us et coutumes totalement différents peuvent-ils réellement remplir sans problème les lacunes de la structure démographique allemande? Les spécialistes émettent quelques doutes. Mais peut-être qu’on pourrait surmonter cet obstacle – si l’Allemagne possédait encore une culture sociale opérante du consensus et des rouages bien adaptés les uns aux autres. Donc une Allemagne des années 60 et 70. Mais entretemps, la société a subi des changements considérables – pas toujours à son avantage. La politique de Schröder de l’Agenda 2010, la ruine systématique du budget de l’Etat, le retrait de la politique de toute conception proactive de la société, la paralysie des structures de droit public et des coopératives: tous ces facteurs font en sorte que cet immense travail exigé pour l’intégration de millions de réfugiés n’a guère de chance de réussir. La solidarité harmonieuse des divers groupes de la société a été remplacée par une lutte sans merci pour des ressources s’amenuisant. L’extension impitoyable de la commercialisation du radicalisme de marché existant a poussé des millions de travailleurs dans un isolement prononcé.
De plus, le sociologue Heinz Bude a décrit dans un important article publié récemment, que des millions de personnes végètent avec des emplois à bas salaire en tant que «prolétariat des services», sans aucun espoir d’améliorer leur propre situation financière (en chiffre: 900 à 1100 euros par mois pour un emploi à plein temps). Le verdict est clair: nettoyer des latrines pendant toute leur vie professionnelle, délivrer des paquets, vivre dans des cabines de poids-lourds loin de la famille ou soulever des vieux et des malades hors de leurs lits. S’ajoutent à ces prolétaires des services, en tant qu’alliés potentiels dans une éventuelle guerre des classes futures, des universitaires diplômés qui n’ont pas réussi à s’intégrer dans le monde du travail et à subvenir à leurs besoins. Ainsi la République fédérale allemande s’est fortement rapprochée des Etats-Unis d’Amérique, du point de vue de la constitution sociale. Il suffit de jeter un coup d’œil dans les livres d’histoire pour comprendre à quel point les USA ont subi, depuis le milieu du XIXe siècle, à maintes reprises des vagues migratoires de populations très diverses déstabilisant le monde ouvrier déjà présent. Les migrants menaçaient en tant que concurrents le niveau de vie péniblement conquis de la population locale. Suite aux constantes baisses de leurs salaires dues a l’offre excédentaire de main-d’œuvre. La population réagit régulièrement par des pogroms et des lynchages.
Les médias ont engendré un énorme potentiel de violence
Les dépossédés et exploités du prolétariat des services en Allemagne pourraient bientôt réagir de la même façon. Les médias y ont bien contribué – consciemment ou inconsciemment, cela reste à voir – en formant depuis de longues années, des jeunes gens ayant consommé virtuellement, par la télévision, le film et les jeux vidéo («Egoshooter»), plus de 36'000 meurtres jusqu’à leurs dix-huit ans. Heureusement qu’on trouve encore de temps en temps quelques heures d’instruction sociale dans les écoles, sinon on aurait l’impression, suite aux modèles du monde virtuel transposés dans le monde réel, que la société industrialisée moderne est régie uniquement par la logique de l’âge de pierre.
En outre, la presse de boulevard excite systématiquement l’envie de certains groupes de la population ou de corporations face à d’autres, selon la vieille recette de César «diviser pour mieux régner». Et on en arrive au point où la quantité de violence virtuelle risque de se transformer en une réalité concrète.
Lors de la grève du syndicat des mécaniciens de locomotives, qui toucha fortement les usagers, on put lire dans un message sur Facebook qu’il fallait mettre tous les mécaniciens dans un train et les envoyer dans une chambre à gaz. Ce message de haine fut soutenu par 22'000 «likes», c’est-à-dire qu’un grand nombre d’utilisateurs de Facebook soutinrent cette idée. Lorsqu’à Garzweiler, en Rhénanie du Nord-Westphalie, des militants de la protection de la nature s’élevèrent contre l’extraction de lignite, ils furent bombardés de messages sadiques de haine, selon lesquels ont aurait dû leur passer dessus avec un train, qu’il fallait les anesthésier comme les animaux, etc. On découvrit que ces messages avaient été envoyés par des collaborateurs de la multinationale de l’énergie RWE, impliquée dans cette extraction de lignite. Finalement, lors d’une manifestation anti-islamique de la plate forme Pegida, on dressa deux potences à Dresde: l’un était dédié à la chancelière fédérale Merkel, l’autre à son suppléant Gabriel.
Des provocations ciblées
L’isolement croissant des gens provoque, face aux menaces réelles, des réactions qui se rapprochent de troubles de la personnalité paranoïaque. Le danger est d’autant plus grand et fait l’effet d’une goutte d’huile sur le feu lorsque des réfugiés de guerre traumatisés rencontrent des citoyens déstabilisés. Il s’agit de provocations ciblées lorsqu’on prétend que tous les réfugiés sont des abuseurs, des voleurs à l’étalage notoires, des violeurs ou qu’ils font «d’une manière ou d’une autre» partie de l’Etat islamique (EI). Il ne faut pourtant pas oublier que 99% des victimes de la violence de l’EI sont des musulmans. Mais pour les exploitants du site Internet «Politically Incorrect», il semble clair que les Allemands vont prochainement devoir affronter la terreur de l’EI. Ils pronostiquent pour fin 2016 le scénario suivant:
«Il suffit d’une simple arme à feu pour permettre à un combattant de l’EI entreprenant de tuer dans cette Allemagne naïve 20 à 30 personnes par jour – tout au moins le premier jour, pour autant que l’attaque soit coordonnée et menée par surprise. Avec 250'000 hommes cela signifie 4 à 5 millions de morts en 24 heures, ce qui semble tout à fait possible. Avant même que la Bundeswehr n’ai pu (ou voulu) réagir, il pourrait y avoir en une semaine quelques dix millions de morts – pour autant qu’il y ait assez de munition.»
Le rôle des «anti-allemands»
Mais on ne mobilise pas seulement à droite. Le milieu de la gauche classique a été infiltré depuis environ 15 ans par des forces mystérieuses qui se déclarent «antiallemandes». La gauche traditionnelle a été mise au ban par une équipe fort raffinée et professionnelle des anti-allemands, qui s’en prennent maintenant avec force aux prétendus «conspirationnistes» et aux «populistes de droite». Sont ainsi désignées les personnes qui ont l’audace de critiquer la politique du gouvernement américain ou le gouvernement Netanyahu en Israël. Une des cibles est, par exemple, l’historien suisse Daniele Ganser qui a osé confronter les affirmations officielles du gouvernement Bush concernant les dessous de l’attaque du 11 septembre 2001 avec d’autres tentatives d’explications.
Lorsque récemment l’Université Witten-Herdecke invita l’historien suisse pour une conférence, les anti-allemands, répartis entre les jeunes socialistes, les jeunes Verts, les anti-fascistes et les Pirates, tentèrent d’imposer à l’université l’annulation de cette conférence. La direction de l’université tint bon et ne se laissa pas mettre sous pression. Etant donné les très nombreux auditeurs venus pour cette conférence, les anti-allemands n’osèrent pas s’attaquer à cette réunion.
Les anti-allemands ne bénéficient d’aucun soutien dans la population. C’est pourquoi ils concentrent leurs activités de manière ciblée sur les universités allemandes. On harcèle la jeune génération d’universitaires, qui sera à l’avenir appelée à de hautes fonctions, avec des doctrines de l’ancien testament, rappelant le péché originel: les Allemands n’auraient plus droit à l’existence en tant que nation, du fait de l’assassinat de six millions de Juifs. Dans le langage du seul pouvoir hégémonique restant, on trouve sur les murs en béton gris des universités allemandes des inscriptions telles: «No Border, No Nations» ou plus simplement en allemand: «Que l’Allemagne crève!» et «Ouvrons les frontières de l’UE!».
Stratégie du choc: des expropriateurs défendant le radicalisme du marché à l’œuvre
Le motif de la délégitimation, du déni du droit individuel à l’intégrité et à la dignité, apparaît le plus souvent lors de l’usurpation soudaine des acquis de groupes de la population ou de nations entières. Les musulmans dans leur ensemble sont soupçonnés d’office de participer au terrorisme de l’EI, bien qu’ils soient eux-mêmes dans la plupart des cas les victimes de cette entité islamiste. Les habitants de la RDA étaient aussi collectivement soupçonnés d’avoir été des agents de la Stasi. Sous le choc de cette médisance totalement erronée, les banques occidentales se sont appropriées les entreprises du peuple. La population suisse est tenue responsable du comportement amoral des grandes banques suisses, afin de pouvoir, à longue échéance, s’emparer de l’immense fortune coopérative des Suisses.
Actuellement, on réquisitionne en grande quantité des installations et bâtiments communaux et municipaux ainsi que des centres communautaires au sein des communes allemandes pour y placer des réfugiés. Quiconque s’oppose à ce procédé se voit subitement confronté au reproche d’être xénophobe. L’extrême droite utilise des prétendus «groupes de citoyens» pour leurs actions, afin de dénigrer les réels soucis des citoyens. On ne peut pas s’empêcher de soupçonner qu’on utilise, une fois de plus, la «Stratégie du choc» que Naomi Klein a si bien décrit dans son ouvrage du même nom. Elle y décrit comment les expropriateurs défendant le radicalisme du marché utilisent des catastrophes tels des tsunamis ou des tremblements de terre, pour réutiliser des régions détruites selon leurs plans. On peut observer cela au Sri Lanka, où les pêcheurs avaient été chassés après le tsunami pour pouvoir installer sans entraves sur les plages tropicales de rêve des quantités de lotissements touristiques. Un autre exemple est la Nouvelle-Orléans qui a été complètement reconstruite selon les plans du radicalisme de marché à la suite de l’ouragan Katrina. Selon ce modèle, la crise des réfugiés pourrait également servir à réorganiser la topographie sociale de l’Allemagne, en profitant de l’état de choc généralisé de la population allemande: c’est-à-dire miner le vivre-ensemble de la population par la fermeture de centres communautaires et par la répartition nécessairement assez opaque des prestations sociales.
Voilà, la boucle est bouclée. Il y a une question restante: pourquoi ni la bureaucratie de l’UE ni le gouvernement fédéral allemand ne développent-ils un plan crédible et clair pour le traitement à long terme de ces flux migratoires grossissants? Une immigration de millions de personnes sans loi d’immigration – cela n’a rien à voir avec une bonne gestion de crise.
Un plan Marshall, pour reconstruire les pays détruits
Rien n’est plus urgent qu’une planification à long terme. Nous sommes condamnés à développer un tel plan, si nous ne voulons pas nous enfoncer dans la lutte des cultures préconisée par Samuel Huntington. Une telle planification pourrait avoir la forme suivante (en ayant en main une proposition, il est au moins possible de discuter sur quelque chose!): Dans une première étape, il faut adopter des lois défendant l’exportation d’armements. Là, la balle est dans le camp du gouvernement allemand, car l’Allemagne est le quatrième exportateur d’armes au monde. Dans une deuxième étape, les auteurs des destructions doivent être mis face à leurs responsabilités (dommages-intérêts), à l’instar de l’industrie du tabac dans les années 90 du siècle passé. Puis ces paiements de réparations seront versés sur un compte fiduciaire de la International Development Bank (le pendant du FMI pour les Etats du BRICS). Avec cet argent, il faut financer un plan Marshall pour la reconstruction des pays détruits. Partant de l’idée que la grande majorité des réfugiés seraient heureux de pouvoir un jour rentrer dans leur pays chauds, les pays d’hôte sont tenus de les former de manière sensée pour qu’ils puissent à leur retour participer de manière efficace à la reconstruction de leur patrie. Finalement, le gouvernement fédéral doit faire ses devoirs et mettre en route une législation pour régler l’immigration. Ainsi, on pourrait formuler de manière transparente et honnête, face aux nouveaux concitoyens futurs, les critères nécessaires pour l’obtention du passeport allemand si convoité. Il est évident, qu’une fois ou l’autre le bateau sera plein. Si l’Allemagne et ses voisins d’Europe centrale veulent garantir à longue échéance une vie en dignité à leurs habitants, ils ne doivent pas les soumettre à une lutte darwiniste pour la survie. La chancelière fédérale Merkel sait très bien pourquoi elle avait refusé en 2011 de participer à l’attaque contraire au droit international contre la Libye. Elle savait que la démolition de l’ordre étatique de ce pays allait empêcher toutes possibilités de traiter les flux de réfugiés aux frontières de l’Europe de manière coordonnée. Pourquoi Madame Merkel laisse-t-elle maintenant entrer les réfugiés dans son pays sans aucun contrôle? Quelles sont les pressions exercées sur elle, pour qu’elle agisse ainsi, à l’encontre de la bonne foi? •
(Traduction Horizons et débats)
* Hermann Ploppa, journaliste et écrivain, vit à Marbourg. Il a écrit les deux livres suivants:
«Hitlers amerikanische Lehrer. Die Eliten der USA als Geburtshelfer des Nationalsozialismus» [Les enseignants américains de Hitler. Les élites étatsuniennes, accoucheuses du national-socialisme] (2008, ISBN 978-3-9812703-03) et «Die Macher hinter den Kulissen. Wie transatlantische Netzwerke heimlich die Demokratie unterwandern» [Les responsables dans les coulisses. Comment des réseaux transatlantiques compromettent subrepticement la démocratie] (2014, ISBN 978-3-939816-22-5). Les lecteurs de notre journal connaissent Hermann Ploppa par son interview publiée dans Horizons et débats no 26 du 19/10/15.
Source : http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=4773
Pieds nus sur la terre sacrée
Porcupine (Cheyenne). Photographie par Edward Curtis. Source: http://curtis.library.northwestern.edu/curtis/toc.cgi
Le Lakota était rempli de compassion et d'amour pour la nature. Il aimait la terre et toutes les choses de la terre, et son attachement grandissait avec l'âge. Les vieillards étaient littéralement épris du sol et ne s'asseyaient ni ne se reposaient à même la terre sans le sentiment de s'approcher des forces maternelles. La terre était douce sous la peau et ils aimaient à ôter leurs mocassins et à marcher pieds nus sur la terre sacrée. Leurs tipis s'élevaient sur cette terre dont leurs autels étaient faits. L'oiseau qui volait dans les airs venait s'y reposer et la terre portait, sans défaillance, tout ce qui vivait et poussait. Le sol apaisait, fortifiait, lavait et guérissait.
C'est pourquoi les vieux Indiens se tenaient à même le sol plutôt que de rester séparés des forces de vie. S'asseoir ou s'allonger ainsi leur permettait de penser plus profondément, de sentir plus vivement ; ils contemplaient alors avec une plus grande clarté les mystères de la vie et ils se sentaient plus proches de toutes les forces vivantes qui les entouraient...
Ces relations qu'ils entretenaient avec tous les êtres de la terre, dans le ciel ou au fond des rivières étaient un des traits de leur existence. Ils avaient le sentiment de fraternité envers le monde des oiseaux et des animaux qui leur gardaient leur confiance. La familiarité était si étroite entre certains Lakotas et leurs amis à plume et à fourrure, que, tels des frères, ils parlaient le même langage.
Le vieux Lakota était un sage. Il savait que le cœur de l'homme éloigné de la nature devient dur ; il savait que l'oubli du respect dû à ce qui pousse et à ce qui vit amène également à ne plus respecter l'homme. Aussi maintenait-il les jeunes gens sous la douce influence de la nature.
Chef Luther Standing Bear.
Pieds nus sur la terre sacrée.Textes rassemblés par Teri McLuhan. Photos de Edward S. Curtis. Denoël, Paris, 1974.
Edward S. Curtis: The North American Indian: http://curtis.library.northwestern.edu/curtis/toc.cgi
Pieds nus sur la terre sacrée.Textes rassemblés par Teri McLuhan. Photos de Edward S. Curtis. Denoël, Paris, 1974.
Tente de la famille de Mathieu Mark de La Romaine (Unamen Shipu) et de Pierre-Olivier Combelles au lac Monger (Québec-Labrador) en octobre 1992 lors du rassemblement de protestation des Indiens Montagnais (Innuat) de la Côte-Nord du Québec contre le projet de harnachement du lac Robertson par Hydro-Québec. Photo: Pierre-Olivier Combelles.
Camp de Pierre-Olivier Combelles au havre du Petit Mécatina, dans l'île du Petit-Mécatina, lors d'une expédition de 3 mois en bateau le long de la Basse Côte-Nord du Québec.
"La vie dans un tipi est bien meilleure. Il est toujours propre, chaud en hiver, frais en été, facile à déplacer. L'homme blanc construit une grande maison, qui coûte beaucoup d'argent, ressemble à une grande cage, ne laisse pas entrer le soleil et ne peut être déplacée; elle est toujours malsaine. Les Indiens et les animaux savent mieux vivre que l'homme blanc, personne ne peut être en bonne santé sans avoir en permanence de l'air frais, du soleil, de la bonne eau. Si le Grand Esprit avait voulu que les hommes restassent dans un endroit, il aurait fait le monde immobile; mais il a fait qu'il change toujours, afin que les oiseaux et les animaux puissent se déplacer et trouver toujours de l'herbe verte et des baies mûres; la lumière du soleil permet de travailler et de jouer,la nuit de dormir; l'été, les fleurs s'épanouissent et l'hiver elles dorment; tout est changement; chaque chose amène un bien; il n'est rien qui n'apporte rien.
L'homme blanc n'obéit pas au Grand Esprit. C'est pourquoi les Indiens ne peuvent être d'accord avec lui."
Flying Hawk, chef Sioux du clan des Oglalas
Nobles Tchétchènes
VIII
Il faisait tout à fait sombre quand le vieux Jérochka et les trois Cosaques de service, enveloppés dans leurs bourkas[1] et leurs fusils sur l’épaule, longèrent le Térek pour se rendre au « secret ». Nazarka essaya de refuser de les suivre, mais Lucas l’apostropha si violemment qu’il n’osa pas regimber. Ils firent quelques pas en silence, entrèrent dans un sentier à peine visible parmi les roseaux et s’approchèrent du Térek. Une grosse poutre noire, rejetée par l’eau, était sur le rivage, et les roseaux étaient fraîchement froissés tout autour.
« Est-ce ici ? demanda Nazarka.
— Et où donc, si ce n’est ici ? répondit Lucas. Assieds-toi là, je reviens à l’instant.
— C’est le meilleur point possible, dit Ergouchow ; on ne peut nous voir, et nous voyons tout : restons ici. »
Il se blottit derrière la poutre avec Nazarka ; Lucas et Jérochka allèrent plus loin.
« C’est près d’ici, disait Lucas, marchant légèrement et sans bruit devant le vieux homme ; je t’indiquerai où les bêtes ont passé, moi seul le sais.
— Tu es un brave ourvane, répondit le vieux à voix basse, montre-moi l’endroit. »
Après avoir fait quelques pas, Lucas s’arrêta devant une mare et siffla.
« Vois-tu, dit-il à voix basse, c’est ici qu’ils viennent s’abreuver. » Et il montrait les traces récentes du sanglier.
« Que le Christ te sauve, dit le vieux ; ils viendront ici ; je reste ; et toi, va-t’en. »
Lucas serra sa bourka autour de son corps, et revint sur ses pas, le long de la rive, jetant de rapides regards tantôt vers les roseaux, tantôt vers le Térek, qui grondait sourdement dans ses bords. « Ils nous guettent aussi, se dit-il en pensant aux Abreks ; l’un d’eux se glisse peut-être ici pour nous surprendre. »
Un craquement subit dans les roseaux et un clapotement de l’eau le firent tressaillir ; il saisit sa carabine. La forme noire d’un sanglier, se détachant de la surface miroitante du fleuve, disparaissait dans les roseaux. Lucas visa, mais la bête s’enfuit avant qu’il eût eu le temps de lâcher la détente. Lucas fit un geste de dépit et continua son chemin. En approchant du secret, il siffla ; un sifflet pareil lui répondit, il avança vers ses camarades.
Nazarka dormait enveloppé dans sa bourka ; Ergouchow était assis sur ses pieds repliés ; il fit place à Lucas.
« Il fait bon veiller ici, dit Ergouchow, l’endroit est excellent. As-tu reconduit le vieux ?
— Je l’ai reconduit, répondit Lucas, étendant à terre sa bourka. Quel beau sanglier j’ai fait lever, près de l’eau ! L’as-tu entendu ?
— Oui, dit Ergouchow, j’ai entendu le craquement des joncs et je me suis dit que tu faisais lever une bête. »
Ergouchow s’enveloppa de sa bourka.
« Je m’en vais faire un petit somme, réveille-moi au second chant du coq ; le service l’exige ; puis tu dormiras et je veillerai.
— Merci, je n’ai nullement sommeil », répondit Lucas. La nuit était calme, tiède et sombre. De rares étoiles brillaient d’un côté de l’horizon ; la plus grande partie du ciel était couverte d’un gros nuage noir, qui, se fondant au loin avec les montagnes, avançait lentement et envahissait la partie étoilée du ciel. Le Cosaque avait en face de lui le Térek, par derrière et de côté, un rempart de joncs. De temps en temps, et sans cause apparente, les roseaux commençaient à s*agiter et à se frôler. Vus d’en bas, ces roseaux se détachaient comme une masse d’arbres sur le fond clair du ciel. En face, le fleuve grondait. La masse brune et luisante de l’eau se ridait uniformément autour des bancs de sable et du rivage. Plus loin, l’eau, les rives et le nuage noir se confondaient en d’opaques ténèbres. Des ombres flottantes couraient sur l’eau, et l’œil exercé du Cosaque y reconnaissait des branches sèches arrachées au rivage. De rares éclairs, se reflétant dans l’eau comme dans une glace sombre, dessinaient momentanément la rive opposée.
Le murmure des roseaux, le ronflement des Cosaques, le bourdonnement des insectes, le courant du fleuve, tous les bruits monotones de la nuit étaient troublés de temps à autre par une détonation lointaine, la chute d’un morceau de gravier détaché du rivage, le clapotement d’un grand poisson se jouant dans l’eau ou le craquement d’une bête fauve dans les taillis. Un oiseau de nuit, frappant en cadence ses ailes, volait le long du rivage ; arrivé au-dessus des Cosaques, il tourna vers la forêt, où l’on entendit encore longtemps le froissement de ses plumes dans les branches de la vieille tchinara. À chaque bruit inattendu, le jeune Cosaque prêtait avidement l’oreille, clignait des yeux, et tâtait lentement la détente de son fusil.
La nuit avançait. Le nuage noir courait vers l’Occident ; les déchirures de ses flancs laissaient apercevoir le ciel étoilé et le croissant doré de la lune, éclairant les montagnes de sa pâle lueur. L’air fraîchissait vivement. Nazarka se réveilla, causa un moment et se rendormit. Lucas s’ennuyait de son inaction ; il se leva, tira son couteau et se mit à ratisser la baguette de son fusil. Ses pensées se portèrent vers les Tchétchènes, qui vivent dans les montagnes et, bravant les Cosaques, passent le fleuve. Et s’ils allaient le traverser à un autre endroit ? Lucas tendait le cou, scrutait du regard le fleuve, mais n’apercevait rien, excepté la rive opposée faiblement éclairée par le croissant. Il cessa de songer aux Tchétchènes et attendait impatiemment le moment de réveiller ses camarades et de retourner à la stanitsa.
Dounka, sa douchinka[2], comme les Cosaques appellent leur maîtresse, lui, revint à la mémoire ; il songeait à elle avec dépit. L’approche de l’aube se faisait sentir : un brouillard argenté s’élevait du fond de l’eau ; des aiglons commençaient à siffler d’une voix stridente et à battre des ailes. Le premier chant du coq se fit entendre au loin dans la stanitsa, un second plus prolongé lui répondit, puis d’autres encore.
Il est temps de les réveiller, pensa Lucas, qui sentait ses yeux s’appesantir. Il se tourna vers ses compagnons, tâchant de deviner quelles jambes appartenaient à tel individu, lorsque le léger clapotement d’une vague le frappa ; il jeta les yeux vers les montagnes, qui s’estompaient à l’horizon sous le croissant renversé de la lune, vers le bord opposé du Térek et les branches flottantes… Il lui parut que le rivage se mouvait et que le fleuve était immobile ; mais ce ne fut qu’une illusion d’un instant. Il regarda fixement l’eau, et un tronc noir, surmonté d’une longue branche, le frappa particulièrement. Ce tronc flottait d’une manière étrange, sans tournoyer au milieu du fleuve ; il lui parut même qu’il allait contre le courant et coupait le Térek dans ses bas-fonds. Lucas, le cou tendu, les yeux fixés, le suivait ardemment du regard. Le tronc aborda à l’un des bancs de sable ; cela parut suspect à Lucas ; il lui sembla même qu’une main paraissait derrière le tronc. « Ha ! fit-il en saisissant son fusil Je tuerai à moi seul un Abrek ! »
Il plaça rapidement le support, y appuya le fusil, l’arma en retenant sa respiration et, ne perdant pas de vue l’ennemi, il le visa. « Je l’aurai ! » pensait-il. Cependant son cœur battait si violemment qu*il attendit un instant et prêta l’oreille. Le tronc fit un bruyant plongeon, puis recommença à flotter lentement, fendant l’eau dans la direction de notre rive.
Si j’allais le manquer ? pensait le Cosaque. La lueur incertaine de la lune éclaira faiblement un Tatare près du tronc. Lucas visa la tête : elle paraissait tout près, au bout du canon du fusil ; il leva un peu les yeux. « C’est un Abrek ! » se dit-il avec joie, et, se jetant brusquement à genoux, il mit en joue, visa de nouveau, et, cédant machinalement à une habitude d’enfance, il murmura : « Au nom du Père, du Fils… » et lâcha la détente. Le coup de feu éclaira momentanément l’eau, les roseaux, se répercuta sur le fleuve et alla se perdre au loin en un sourd grondement. Le tronc et la branche ne fendaient plus le fleuve, mais tournoyaient emportés par le courant.
(...)
IX
Il commençait à faire jour. On voyait distinctement le cadavre du Tchétchène ballotté sur les bas-fonds. Des pas se firent tout à coup entendre non loin du Cosaque, — les têtes des roseaux s’inclinèrent. Lucas arma et murmura : « Au nom du Père, du Fils… » Au cliquetis du fusil, les pas s’arrêtèrent
« Holà ! les Cosaques ! n’allez pas tuer le diadia ! dit d’une voix calme et basse Jérochka, écartant les roseaux et approchant de Lucas.
— Vrai Dieu ! j’ai failli tirer » s’écria Lucas.
— Et qu’as-tu tué ? demanda le vieux. Sa voix puissante résonna sur le fleuve et dans le bois et dissipa subitement le silence mystérieux de la nuit qui entourait le jeune Cosaque. Le jour parut plus clair.
— Tu n’as rien vu, toi, dit Lucas en désarmant son fusil avec calme ; et moi, j’ai tué une bête fauve. »
Le vieux avait déjà porté ses regards vers les bas-fonds, et ne quittait pas des yeux la forme humaine qui faisait rider la surface de l’eau.
« Il nageait avec la branche attachée à son dos ; je l’ai aperçu de loin… Vois ! pantalon bleu… — fusil, à ce qu’il paraît… Le vois-tu ?
— Comment ne pas le voir ? dit le vieux d*un ton irrité, et son visage prit une expression solennelle et sévère. C’était un djighite ! ajouta-t-il avec compassion.
— J’étais accroupi là, continua Lucas, lorsque je vois flotter quelque chose de noir sur l’autre bord. Chose étrange ! une branche, une énorme branche, flottait sur l’eau, mais le courant ne la portait pas, elle coupait le fleuve dans sa largeur. Voilà qu’une tête paraît par-dessus la branche ; je ne la distingue pas bien de derrière les roseaux, je me soulève… le coquin l’entend, aborde à un bas-fond et se glisse sur le sable. Attrape ! pensais-je, tu ne m’échapperas pas !… Il reparut en rampant… (quelque chose me gêne dans le gosier…). J’arme et je reste immobile… Il recommence à nager,… la lune donne en plein sur lui et je vois clairement son dos… « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ! » Le coup part… je le vois se débattre à travers la fumée… Il pousse un gémissement — ou bien, ai-je cru entendre… Dieu soit loué ! pensai-je, je l’ai tué ! Il essaye de se soulever, les forces lui manquent, il tressaille et tombe raide… J’ai tout vu distinctement ; il doit être mort. Les Cosaques ont couru au cordon ; pourvu que les autres ne nous échappent pas !
— C’est ainsi que tu l’as surpris,… il est loin maintenant… » Et le vieux branlait tristement la tête.
Les cris bruyants des Cosaques se firent entendre ; ils accouraient, les uns à cheval, les autres à pied.
« Apportez-vous la nacelle ? leur cria Lucas.
— Bravo, Loukachka ! s’écria un des Cosaques, amène-le vers le rivage ! »
Loukachka, sans attendre davantage, se déshabilla sans quitter des yeux sa proie.
« Attends donc, Nazarka, avec la nacelle ! criait Touriadnik.
— Imbécile ! prends ton poignard ! il respire peut-être encore ! criait un autre Cosaque.
— Bêtise ! » répondait Lucas, ôtant son haut-de-chausses. Il se signa et s’élança dans l’eau, la faisant rejaillir de tons côtés ; il plongea, reparut à la surface et nagea vers les bas-fonds, fendant le Térek de ses bras blancs et vigoureux. Les Cosaques restés sur la rive parlaient à haute voix. Trois hommes à cheval étaient allés faire la ronde. Nazarka traînant la nacelle parut au détour du chemin. Lucas se dressa sur le banc de sable et secoua le cadavre. « Il est bien mort ! » cria-t-il d’une voix perçante.
La balle avait frappé à la tête le Tchétchène. Il était vêtu d’un haut-de-chausses bleu foncé, d’une chemise et d’un caftan ; il portait un fusil et un poignard attachés sur son dos, et, par-dessus, cette énorme branche qui avait commencé par induire en erreur Lucas.
« Voilà comme on pêche les carpes ! dit un des Cosaques groupés autour du cadavre, qu’on avait tiré de l’eau et étendu sur l’herbe.
— Qu’il est jaune ! disait quelqu’un.
— Où les nôtres sont-ils allés chercher les Abreks ? dirait un autre ; ils sont probablement de l’autre côté de l’eau ; si celui-ci n’était pas l’éclaireur, pourquoi se serait-il hasardé seul ?
— C’est le plus entreprenant, un véritable djighite ! dit ironiquement Lucas, étanchant l’eau des habits du Tchétchène et frissonnant sans cesse ; sa barbe est peinte et taillée.
— Écoute, Loukachka, dit l’ouriadnik, qui tenait dans ses mains les armes du défunt, prends le caftan et le poignard et laisse-moi le fusil, je t’en donnerai trois pièces de monnaie. Le plomb y est, ajouta-t-il en soufflant dans le canon du fusil, je le garderai comme souvenir. »
Lucas ne répondit rien ; il était vexé de l’avidité du chef, mais il savait devoir lui céder. Il fronça le sourcil et jeta à terre le caftan du Tchétchène.
« Si ce diable avait du moins un habit convenable, dit-il ; mais non, une véritable guenille.
— Elle te servira pour aller couper du bois, dit un Cosaque.
— Mosé ! je m’en vais à la maison, dit Lucas à l’ouriadnik, oubliant son dépit et voulant tirer parti du cadeau qu’il lui faisait.
— C’est bon, va ! Enfants, traînez le corps vers le cordon, dit l’ouriadnik sans cesser d’examiner le fusil, et faites une hutte de branchages pour le garantir de la chaleur ; on viendra peut-être le racheter.
— Il ne fait pas si chaud, observa quelqu’un.
— Non, mais les chacals peuvent le déchirer, répliqua l’un des Cosaques.
— Nous posterons une garde ; on viendra le racheter, et il ne serait pas bon qu’on le trouvât déchiré par les chacals.
— Eh bien ! Lucas, fais comme tu l’entends, mais donne un seau d’eau-de-vie aux camarades, dit l’ouriadnik.
— Certainement ! certainement ! crièrent à l’unisson les Cosaques ; vois quelle chance Dieu te donne : pour ton premier coup tu abats un Abrek !
— Achète le poignard et le caftan, répondit Lucas ; donne-m’en bon prix, et que Dieu te bénisse ! Je vends aussi le haut-de-chausses, je n’y entrerais pas ; ce diable était maigre comme une allumette. »
Un des Cosaques acheta le caftan pour une pièce d’argent ; un autre promit deux seaux d’eau-de-vie pour le poignard.
« Buvez, mes amis, dit Lucas, je vous donne un seau d’eau-de-vie ; je l’apporterai de la stanitsa.
— Et le pantalon ? le donneras-tu aux filles pour qu’elles s’en fassent des mouchoirs ? » dit Nazarka.
Les Cosaques éclatèrent de rire.
« Assez de rires, dit l’ouriadnik, traînez plus loin le corps ; pourquoi l’avez-vous laissé si près de l’izba ?
— À quoi bayez-vous ? cria impérieusement Lucas aux Cosaques, qui hésitaient à tirer le cadavre ; traînez-le par ici ! » Tous obéirent comme si Lucas était le chef. Au bout de quelques pas ils s’arrêtèrent et lâchèrent les jambes du cadavre, qui tombèrent raides et inertes sur le gazon. Nazarka s’approcha et souleva la tête du mort pour voir ses traits et la trace sanglante qu’il avait à la tempe. « Il l’a marqué au front, dit-il, il ne se perdra pas, les siens le reconnaîtront. »
Personne ne répondit : l’ange du silence touchait de son aile tous les Cosaques.
Le soleil était levé, et ses rayons se jouaient dans la rosée ; le Térek grondait en roulant ses eaux à travers la forêt ; les faisans saluaient de leurs cris le réveil de la nature. Les Cosaques entouraient le cadavre, recouvert seulement du haut-de-chausses imbibé d’eau et serré à la taille par une ceinture. C’était un homme beau et bien fait ; ses mains musculeuses pendaient, raidies, le long des flancs ; son front hâlé tranchait vivement avec la blancheur bleuâtre de sa tête rasée ; le sang s’était figé près de la blessure ; les yeux ternes et vitreux étaient ouverts et semblaient regarder au loin ; les lèvres, minces et tendres, semblaient sourire avec bonhomie et finesse sous la moustache rousse ; les doigts crispés étaient couverts de poils aux jointures, et les ongles teints en rouge.
Lucas ne s’était pas encore habillé, son cou était très rouge, ses yeux brillaient plus que d’ordinaire, un mouvement nerveux agitait ses larges pommettes, une vapeur presque imperceptible s’élevait de son corps jeune et robuste, frissonnant à l’air froid du matin.
« C’était un homme ! murmura Lucas, admirant malgré lui la beauté du cadavre.
— Oui-da ! observa un des Cosaques, s’il pouvait te saisir maintenant, il ne te lâcherait pas. »
L’ange du silence s’était envolé. Les Cosaques se remirent en mouvement, et les gais propos recommencèrent. Deux d’entre eux allèrent tailler des branches pour la hutte, d’autres retournèrent au cordon. Lucas et Nazarka coururent se préparer au départ pour la stanitsa.
Une demi-heure plus tard, tous deux traversaient en courant les épais taillis qui séparent le Térek de la stanitsa, et ils ne cessaient de parler entre eux.
« Ne lui dis pas que c’est moi qui t’envoie, disait Lucas d’un ton bref ; sache seulement si le mari est à la maison.
— Et moi, j’irai chez Jamka ; ferons-nous bombance ce soir ? demanda Nazarka, toujours prêt à obéir.
— Certainement ! aujourd’hui ou jamais ! » répondit Lucas.
Arrivés à la stanitsa, les deux Cosaques se rafraîchirent d’un verre d’eau-de-vie, et se jetèrent à terre pour dormir jusqu’au soir.
Comte Léon Tolstoï: Les Cosaques - Souvenirs de Sébastopol. Traduit du russe. Deuxième édition. Paris, Librairie Hachette et Cie, 79, boulevard Saint-Germain, 79, 1886.
https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Tolsto%C3%AF_Les_Cosaques.djvu
Léon Tolstoï: Hadji Mourat
"Hadji Mourat est un chef de clan caucasien renommé auprès de ses adversaires pour son intelligence militaire hors pair, qui a combattu l'Empire Russe au moment de la "Guerre de Pacification du Caucase" menée par le Tsar Nicolas I au XIXe siècle. Au gré des enjeux de pouvoirs, des trahisons entre différents clans et hommes de pouvoirs tchétchènes, il en vient à se retrouver l'adversaire du Cheikh Chamil, imam du clan des Avares, et principal opposant au Tsar, qui tient en otage la famille Hadji Mourat. Ce dernier fait donc le choix d'une alliance contre nature avec les Russes pour sauver les siens...
Cet ouvrage brille tout d'abord par son caractère historique. En effet, Léon Tolstoï, comme le témoignent les notes de l’édition Folio, révèle que, derrière ce récit, se cache en réalité un travail méticuleux de recherches sur le sujet pour coller au plus près à la réalité. Les personnages ainsi cités sont presque tous des personnages historiques. Les conflits de pouvoir entre différents rois (ou Khans) caucasiens, ainsi qu’avec les Russes, y sont très bien présentés. Les horreurs commises par l'armée tsariste, qui laissent penser qu'hier comme aujourd'hui, la terreur a toujours été utilisée par l'Etat russe dans cette région pour affirmer son pouvoir, sont décrites de manière fidèle. L'édition parue à Moscou en 1896 sera pour ces raisons censurée (les passages censurés ont néanmoins pu être conservés grâce à l'édition parue à Berlin). C’est pourquoi Hadji Mourat est une précieuse source d’informations sur la situation politique de la Tchétchénie du milieu du XIXe siècle, aussi bien qu’un puissant éclairage sur la triste situation d’aujourd’hui en plus d’être, bien évidemment, un passionnant roman.
On peut également se réjouir de la qualité de l’édition, qui comporte des notes explicatives très utiles pour comprendre les évènements narrés par l’auteur russe et les relier aux faits historiques, des cartes en annexe du Caucase et de la Tchétchénie et une traduction excellente, qui conserve astucieusement les mots Koumyks (un dialecte tatar très proche du turc) dans leur langue d’origine.
Enfin, on retient surtout de la lecture de cette oeuvre la fierté et l’honneur renommés des Tchétchènes dont Tolstoï fait un éloge vibrant, tout d’abord par la célèbre métaphore du chardon représentant la mort héroïque du chef de clan caucasien Hadji Mourat ainsi que par la présentation de divers aspects des codes de la vie tchétchène – notamment celui de la reconnaissance envers l’hôte ou kounak en Koumyk. Ces détails sur les us et coutumes de ce peuple courageux décuplent le charme de ce voyage oriental à l’époque de la Guerre de Pacification du Caucase."
Carte des régions du Caucase. La République de Tchéchénie (capitale Grozny, dévastée lors de la 1e et de 2e guerre de Tchétchénie) se trouve au centre-est du Grand Caucase. Elle est traversée par le fleuve Terek qui se jette dans la mer Caspienne. Source de l'illustration: http://www.populationdata.net/images/cartes/caucase_region.jpg Gr
08 août 2014
Ramzan Kadyrov : "En République de Tchétchénie il ne doit pas y avoir une seule personne âgée abandonnée"
Le général du ministère de l'intérieur, Chef de la République de Tchétchénie Ramzan Kadyrov, a tenu, le 6 août, une réunion sur le développement du système de protection sociale des personnes âgées, sujet à l'ordre du jour de la réunion du conseil d'Etat du 5 août, à Voronej, sous la présidence du Président de la Fédération de Russie.
Ramzan Kadyrov a exigé de garder particulièrement sous contrôle les problèmes soulevés par Vladimir Poutine (amélioration des conditions de vie des personnes agées et handicapées) et tout faire pour que les personnes âgées puissent se sentir considérées et utiles à la société. Il a souligné que "les cas où les familles se séparent des personnes âgées sont inacceptables".
"Chez les Tchétchènes on est particulièrement respectueux envers les citoyens d'un certain âge. Il en a toujours été ainsi ! Depuis des siècles on considère comme honteux d'abandonner des personnes âgées. Mais, néanmoins, il existe des cas isolés, où ils se retrouvent dans des établissements sociaux, alors que des parents - proches ou lointains sont vivants. Ceci est contraire à notre mentalité et jette une ombre sur l'ensemble du peuple tchétchène", a souligné le Ramzan Kadyrov.
Le chef de l'administration du Chef et du Gouvernement de la République de Tchétchénie Magomed Daoudov a indiqué que la seule institution de tutelle des personnes âgées est le centre républicain de gérontologie. Il y réside 92 personnes. Ce ne sont pas seulement des personnes âgées, mais aussi les personnes handicapées. Selon lui, 27 d'entre elles sont ethniquement des tchétchènes.
Selon Ramzan Kadyrov, il est nécessaire de comprendre les raisons pour lesquelles ces gens ont renoncé à leurs parents âgés, et éliminer tous les problèmes.
"Notre tâche est de résoudre le problème rapidement et efficacement. En République de Tchétchénie il ne doit pas y avoir une seule personne âgée abandonnée".
Sources : http://lemonderusse.canalblog.com/archives/2014/08/08/30377922.html
http://chechnyatoday.com/content/view/279986
LES TCHERKESS: Adyghés Kabardes Circassiens par Georges HAGONDOKOFF http://igor.hagondokoff.perso.sfr.fr/circassien.html
Première guerre de Tchétchénie (Wikipedia): https://en.wikipedia.org/wiki/First_Chechen_War
"In 1944, on the orders of NKVD chief Lavrenti Beria, more than a half million Chechens, the Ingush and several other North Caucasian people were deported to Siberia and to Central Asia."
Seconde guerre de Tchétchénie (Wikipedia): https://fr.wikipedia.org/wiki/Seconde_guerre_de_Tch%C3%A9tch%C3%A9nie
Menaces sur la faune et la flore du Caucase:
The Caucasus region has been inhabited and affected by human communities for tens of thousands of years, with on average nearly half of the land in the region already transformed by human activities. Nevertheless, several pristine areas remain in the hotspot, mostly in remote high-altitude areas and inaccessible gorges. About 27 percent of the area, totaling 145,000 km2, remains as natural habitat; however, only about 12 percent of the original vegetation is considered pristine. Most of the hotspot's intact ecosystems are concentrated in inaccessible high mountain sites, while the plains and the foothills have suffered the most habitat loss. (...)
http://www.eoearth.org/view/article/150637/
En cette veille de Noël, dans ce pays de France gouverné par l'argent et par l'individualisme, où les membres d'une famille sont indifférents au malheur des autres membres de leur famille, les habitants des villes et des villages au malheur des autres habitants, les dirigeants de l'État et les élus au malheur de leurs concitoyens, les Français au malheur des populations civiles des pays lointains que leurs armées écrasent ou laissent écraser sous les bombes, et les hommes aux malheurs de la Nature toute entière qui souffre sous les multiples déprédations de l'homme, saluons la noblesse, la vaillance et l'humanité des Tchétchènes, fiers montagnards du Caucase.
P.O.C.
Sur le même blog et le même sujet: Les Cosaques http://pocombelles.over-blog.com/2015/12/chants-cosaques.html
La longue et sinistre liste des maîtresses de Henri IV
Il ne s'agit pas de défendre le principe de la monogamie ni de reprocher à Henri IV, roi guerrier et vaillant, si populaire parmi les Francais, d'avoir été sensible à tant de beautés. Non, mais lorsqu'on apprend ce que tant de ses conquêtes sont devenues, on ne peut s'empêcher d'avoir un haut-le-coeur devant les conséquences de la "paillardise" du Vert-Galant, comme Maximilien de Béthune, lorsqu'il le reprochait ouvertement au Roi son maître et ami.
Maîtresses de Henri IV
Les Cosaques
XV
« Que te disais-je ? continua Jérochka, rassemblant ses souvenirs. Oui ! voilà quel homme je suis! Je suis chasseur, je n’ai pas mon pareil sous ce rapport parmi les Cosaques. Je trouverai et t’indiquerai toute espèce de bête ou d’oiseau. J’ai des chiens, deux carabines, des filets, et un épervier, et tout ce dont j’ai besoin, Dieu merci. Si tu ne mens pas et que tu sois véritablement amateur de chasse, je te conduirai aux bons endroits. Voilà quel homme je suis, je trouverai la piste de la bête ; je sais où elle se repose, où elle s’abreuve, où elle se vautre. Je m’arrange un affût, et j’y passe la nuit ; pourquoi rester à la maison ? On y est induit en tentation, on s’enivre ; les femmes viennent bavarder, les enfants crient. Quelle différence de se lever avant le jour, d’aller chercher une bonne petite place, d’y aplatir les roseaux et de s’y asseoir au gué en brave garçon. On voit ce qui se passe dans la forêt, on regarde le ciel, on observe les étoiles et l’on devine l’heure. Jette-t-on les yeux autour de soi : on voit la feuillée s’agiter, on s’attend au craquement d’un sanglier qui avance, au sifflement des aiglons, au chant du coq dans la stanitsa ou aux cris des oies. Si l’on entend les oies : preuve qu’il n’est pas minuit. Je connais tout cela. Si un coup de fusil retentit au loin, mille pensées m’assaillent : je me demande qui a tiré. Est-ce un Cosaque comme moi, qui guette une proie ? A-t-il tué la bête ou l’a-t-il seulement blessée ? Et la pauvrette teint inutilement les roseaux de son sang. Oh ! que je n’aime pas cela ! Imbécile ! imbécile, dis-je, pourquoi tourmentes-tu cette bête ? Ou bien je me dis que c’est un Abrek qui a tué un pauvre petit Cosaque. Tout cela me trotte par la tête. Je vis, un jour que j’étais assis sur le rivage, un berceau flotter sur l’eau, un berceau dont le bord seul était un peu cassé ; c’est alors que des pensées m’assaillirent en foule ! D’où vient ce berceau ? Ce sont probablement vos diables de soldats qui se sont emparés de l’aoul, ont emmené les femmes, tué l’enfant… Quelque démon l’aura saisi par les pieds et lui aura cassé la tête. Est-ce que cela ne se fait pas ? Hé ! ces gens-là n’ont pas de cœur ! Tant de pensées me venaient, que j’en étais ému. On a jeté le berceau, me disais-je, et l’on a enlevé la mère, incendié la cabane ; le djighite a pris la carabine et vient commettre ses brigandages de notre côté. Je reste ainsi à songer ; tout à coup j’entends tout dans le fourré !… Je tressaille ! Approchez, petites mères ! Elles me flairent de loin, pensé-je, et je reste immobile, mon cœur bat à me soulever ; doun, doun, doun ! — Ce printemps, toute une portée de laie approchait, une belle portée. — « Au nom du Père, du Fils… » J’allais tirer, lorsque la laie cria subitement à ses petits : « Malheur ! enfants, un homme est là !… » Et toute la portée de se sauver à travers les broussailles. Je l’aurais dévorée de rage.
— Comment la laie a-t-elle expliqué à ses petits qu’un homme les guettait ? demanda Olénine.
— Et que crois-tu donc ? Est-ce que tu t’imagines que la bête est sotte ? Non, elle a plus d’intelligence qu’un homme, bien qu’elle ne soit qu’une laie. Elle sait tout ; l’homme passe devant une piste sans la remarquer, tandis que la laie le voit tout de suite et se sauve, preuve qu’elle a de l’esprit ; elle sent ton odeur, et toi non. Il est vrai que tu cherches à la tuer, et elle ne songe qu’à vivre et à se promener dans la forêt. Tu as ton idée, — elle a la sienne. Elle n’est qu’une truie, mais elle n’est pas pire que toi, et elle est aussi une créature du bon Dieu. Eh ! eh ! que l’homme est bête, bête, bête ! » répéta le vieux, et, baissant la tête, il se perdit dans ses réflexions.
Olénine rêvait aussi ; il descendit le perron et, croisant ses mains derrière le dos, il traversa la cour en silence.
Jérochka revint à lui, leva la tête et se mit à observer une phalène qui tournoyait autour de la lumière et se laissait prendre à la flamme.
« Sotte ! sotte ! disait-il, où vas-tu ? sotte ! sotte ! »
Il se leva et chassa la phalène de ses grosses mains.
« Tu périras, petite sotte ! Viens par ici, l’espace ne te manque pas, » ajouta-t-il d’une voix tendre ; et ses gros doigts essayaient de saisir les petites ailes de la phalène pour la mettre en sûreté. « Tu te perds, et tu me fais pitié. »
(...)
XX
Le lendemain, Olénine alla seul, sans le vieux Cosaque, à l’endroit où ils avaient fait lever le cerf. Au lieu de passer par la porte cochère, il grimpa par la haie vive des prunelliers, à l’instar des Cosaques. Il n’eut même pas le temps de détacher son habit, accroché aux épines, que son chien fit lever deux faisans. À peine était-il entré dans les prunelliers, que les faisans se levaient à chaque pas. Le vieux Cosaque ne lui avait point parlé de cet endroit, le réservant pour lui-même. Sur douze coups, Olénine abattit cinq faisans ; il se fatigua à tel point, en les cherchant dans les arbres, qu’il se mit en nage. Il rappela son chien, désarma son fusil, serra la balle, et, chassant les moucherons avec les longues manches de sa tcherkeska, il s’achemina lentement vers l’endroit où il avait été la veille. Mais il lui fut impossible d’arrêter son chien, et il se laissa entraîner à tuer encore deux faisans ; il était midi quand il reconnut l’endroit qu’il cherchait.
La journée était chaude et calme, le ciel sans nuages. La rosée avait entièrement séché, même dans le bois, et des myriades de moucherons s’abattirent sur le visage, le cou, les mains d’Olénine. Son chien noir paraissait gris, tellement il était couvert de moucherons. Ils piquaient Olénine à travers son habit, devenu gris de même ; il ne savait comment leur échapper et se disait qu’il n’y avait pas moyen de vivre en été à la stanitsa.
Il allait rebrousser chemin quand il se dit que d’autres que lui y vivaient pourtant, et il se décida de s’armer de patience et à se laisser dévorer. Chose étrange ! vers midi cette sensation lui parut presque agréable. Il lui sembla même que, s’il n’était pas enveloppé de cette atmosphère bourdonnante, de cette masse compacte de moucherons qui s’écrasaient sous sa main quand il essuyait la sueur de son visage et qui irritaient sa peau, le bois aurait perdu de son caractère sauvage et de son attrait. Ces myriades d’insectes allaient bien à cette puissante végétation, à cette sombre verdure, à cette foule d’oiseaux et de bêtes qui remplissaient la forêt, à cet air brûlant, à ces filets d’eau échappés au Térek et jaillissant çà et là sous la feuillée, et il finit par trouver du charme à ce qui lui avait paru insoutenable et affreux. Il parcourut l’endroit où le cerf avait été la veille, et, n’y trouvant rien, il songea à se reposer. Les rayons du soleil dardaient perpendiculairement sur les arbres et lui brûlaient le dos quand il traversait une clairière. Sept faisans pendus à sa ceinture pesaient lourdement sur ses reins. Il trouva les traces du cerf, pénétra dans le fourré, sous les broussailles où l’animal avait été blotti, et se coucha dans son gîte. Il promena ses regards sur la sombre verdure qui l’entourait, sur le creux où se voyaient les traces de l’animal, l’empreinte de ses jambes, un morceau de terre noire retournée, et la trace de ses propres pas. Il se sentit à l’aise, au frais ; il ne pensait à rien, ne désirait rien. Il fut saisi tout à coup d’une ineffable sensation de bonheur, d’un indicible amour pour toute la création, et, cédant à une habitude d’enfance, il fit le signe de la croix et murmura une prière…
Une idée subite vint clairement à l’esprit d’Olénine ; il se dit : « Moi, Dmitri Olénine, être privilégié entre tous, me voilà couché seul, Dieu sait où, là où vivait un vieux cerf, un cerf superbe, qui n’a jamais vu d’homme, et dans un creux où jamais personne n’a pénétré, auquel jamais personne n’a songé. Je suis assis, entouré d’arbres jeunes et vieux : l’un d’eux est enlacé de vigne sauvage; les faisans voltigent autour de moi, se pourchassent, sentant peut-être que je viens de tuer leurs frères. » Il palpa ses faisans, les examina et essuya sa main ensanglantée aux pans de sa tcherkeska. « Les chacals mécontents flairent le sang et vont rôder ailleurs ; les moucherons bourdonnent follement au-dessus de ma tête et parmi les feuilles, qui probablement leur paraissent des îles gigantesques ; il y en a un, deux, trois, quatre, cent, mille, des milliards, qui tous ont raison d’être et de bourdonner, et chacun d’eux est un moi distinct, un être à part, comme moi, Dmitri Olénine. » Il crut distinguer clairement ce que pensaient et disaient les moucherons dans leur susurrement continuel : « Ici, mes amis, ici ! en voilà un qu’on peut assiéger, dévorer ! » Et il comprit clairement qu’il n’était nullement un gentilhomme russe, membre de la société moscovite, ami et parent de tel ou tel, mais simplement un être vivant, un cerf, un faisan, un insecte, comme ceux qui tournoyaient autour de lui. — « Comme eux, comme Jérochka, je vivrai peu de jours et je mourrai ; il a raison, l’herbe poussera sur ma tombe, et ce sera tout ! Le grand mal que l’herbe croisse sur ma tombe ! Il n’en faut pas moins croire et tâcher de jouir ; je désire le bonheur, n’importe que je sois insecte ou animal destiné à mourir, ou que je sois un corps qui recèle une parcelle de la divinité : je veux jouir. Mais comment ? Et pourquoi jusqu’à présent n’ai-je pas été heureux ? » Il récapitula sa vie passée et se fit horreur. Il se vit égoïste, au plus haut degré exigeant, tandis qu’au fond il n’avait besoin de rien. Il jetait les yeux autour de lui, sur la feuillée transparente, qui laissait percer le soleil et un pan de ciel bleu, et il se sentait inconsciemment heureux.
« Pourquoi suis-je heureux en ce moment et pourquoi ai-je vécu jusqu’ici ? Comme j’étais exigeant ! Je cherchais midi à quatorze heures, et je ne trouvais que honte et regret. » Une lumière subite se fit en lui. « Le bonheur, se dit-il, le bonheur consiste à vivre pour les autres, c’est clair. L’homme aspire au bonheur ; donc, c’est un désir légitime. S’il tâche d’y parvenir dans un but égoïste, en cherchant l’opulence, la gloire, l’amour, il se peut qu’il ne l’obtienne jamais, et ses désirs resteront inassouvis. Ce sont donc ces aspirations égoïstes qui sont illégitimes, et non le désir d’être heureux. Quels sont les rêves permis qui peuvent se réaliser en dehors des conditions extérieures ?… l’amour et le dévouement. »
Il se leva en sursaut, heureux et agité de la découverte de cette prétendue nouvelle vérité, et il cherchait avec impatience qui aimer, à qui faire du bien, à qui se dévouer. « Je n’ai besoin de rien pour moi-même : pourquoi ne pas vouer aux autres mon existence ? »
Il prit son fusil et quitta le fourré, avec l’intention de retourner à la maison et de bien réfléchir à la manière de faire le bien. Arrivé à une clairière, il se retourna : le soleil était descendu derrière les arbres, l’air avait fraîchi ; le paysage lui sembla tout autre. Le ciel et la forêt avaient changé d’aspect : des nuages assombrissaient l’horizon, le vent s’engouffrait dans les arbres ; on ne voyait que des roseaux et du bois mort. Olénine appela son chien, qui courait à la piste de quelque bête, et sa voix résonna creux dans la solitude. Il eut peur. Les Abreks, les meurtres dont on parlait lui vinrent à l’esprit ; il s’attendait à voir un Tchétchène bondir de derrière un buisson, et à devoir lutter pour sauver sa vie. Il songea à Dieu et à la vie future, comme il y avait longtemps qu’il ne l’avait fait. Tout était sauvage et solitaire, lugubre autour de lui. « Vaut-il la peine de penser à soi, se dit-il, quand d’un moment à l’autre on peut mourir sans que personne le sache et sans avoir rien fait de bon ! »
Il prit le chemin qu’il croyait être celui de la stanitsa. Il ne pensait plus à la chasse, il était harassé et jetait des regards terrifiés à chaque buisson, à chaque arbre, s’attendant à trouver la mort à chaque pas. Il erra longtemps sans savoir où il allait, et parvint à un canal où coulait une eau froide et trouble ; il se décida à en suivre le cours, sans savoir où il aboutirait. Les roseaux craquèrent tout à coup derrière lui ; il tressaillit et saisit son fusil. Il eut honte ; c’était son chien qui, hors d’haleine, avait plongé dans le canal et en buvait avidement l’eau froide.
Olénine se désaltéra aussi et suivit le chien, persuadé qu’il prendrait la bonne direction. Malgré ce fidèle compagnon, les alentours lui paraissaient de plus en plus sinistres. Le bois devenait plus sombre, le vent s’engouffrait de plus en plus dans le creux des vieux arbres ; de grands oiseaux planaient en sifflant au-dessus de leurs nids, la végétation devenait plus rare, les roseaux plus fréquents, et l’on apercevait de plus en plus de petites plaines sablonneuses portant la trace de bêtes fauves. Un bruit monotone et sinistre se mêlait au sifflement du vent. Olénine était morne et sombre. Il compta ses faisans ; il en manquait un, et sa petite tête ensanglantée restait seule accrochée à la ceinture. La terreur s’empara du jeune homme ; il eut peur et se mit à prier. Il craignait avant tout de mourir sans avoir rien fait d’utile ; il désirait ardemment vivre, et vivre pour accomplir quelque grand acte de dévouement.
Comte Léon Tolstoï: Les Cosaques - Souvenirs de Sébastopol. Traduit du russe. Deuxième édition. Paris, Librairie Hachette et Cie, 79, boulevard Saint-Germain, 79, 1886.
https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Tolsto%C3%AF_Les_Cosaques.djvu
Léon Tostoï (1828-1910), photographie par Sergueï Prokoudine-Gorski.
Abd Al Malik: Allogène (j'suis un stremon)
"Je ne suis pas un enfant de la République ? j'suis un stremon" [monstre]
Abd Al Malik
Abd Al Malik interviewé Place de la République à Paris après les attentats de Charlie Hebdo, en 2014: http://www.francetvinfo.fr/france/video-abd-al-malik-c-est-dans-les-mots-que-se-structure-notre-identite_801327.html
"Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu'une forêt qui pousse". Proverbe africain sagement cité par Abd Al Malik au jeune Guillaume Peltier, porte-parole de Philippe de Villiers, sur un plateau de télévision: http://pocombelles.over-blog.com/2015/01/un-arbre-qui-tombe-fait-plus-de-bruit-qu-une-foret-qui-pousse-abd-al-malik-proverbe-africain.html
Jean-Pierre Petit: le sens de la vie
Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.
Jean-Pierre Petit est un astrophysicien de génie et un merveilleux dessinateur, plein d'humour et d'humanité. Beaucoup d'internautes connaissent, sans savoir qui est l'auteur, son dessin des deux cochons qui dialoguent sur le complot:
Son blog est ici:http://www.jp-petit.org/
Je me souviens, il y a quelques années, je conversais à propos des PAN* et de l'Univers avec un diplomate de carrière sud-américain âgé, brillant et cultivé, qui venait de recevoir le Honoris causa de l'université de Koursk (aérospatiale) en Russie. Comme il restait incrédule, j'ai fini par lui dire qu'il était impossible d'imaginer quel sera le monde dans mille ans, dix mille ans, cent mille ans et encore plus les autres mondes ailleurs dans la galaxie ou d'autres galaxies, séparés de nous dans le temps et l'espace par des millions d'années-lumière, tout comme il aurait été impossible à un homme de l'époque de Néanderthal, de Charlemagne ou même de Napoléon, d'imaginer notre monde de 2015 avec les ordinateurs, la communication immédiate à longue distance, les sondes spatiales, l'automobile, les bateaux à moteur et les avions omniprésents, l'énergie nucléaire, les lampes LED, les mégapoles de 20 millions d'habitants, la monnaie dématérialisée, l'usure et la misère généralisées, la destruction frénétique de l'environnement et des peuples traditionnels, les guerres de destruction massive, etc.
Il ne me comprenait pas parce que ce haut fonctionnaire, qui avait le sentiment et la fierté d'appartenir à une élite, croyait que le monde était ce qu'il pensait. Mais non, la réalité est infiniment plus vaste et différente que celle que nous croyons connaître, y compris l'évolution future de la technologie qui est le prolongement humain de la complexification de la vie, comme Jean-Pierre Petit l'explique et le dessine encore mieux.
L'homme, si son bref destin n'est pas clos, n'en est qu'au début de son exploration du monde.
P.O.C.
* Phénomène Aérospatial Non identifié. Syn.: OVNI (Objet Volant Non Identifié), UFO (Unidentified Flying Object)
Dessin de Jean-Pierre Petit
On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde.
Pierre Desproges
Pierre Rabhi et Naomi Klein, lumineux invités de France-Culture (11 décembre 2015)
Le philosophe-paysan Pierre Rabhi, fondateur du mouvement Les Colibris http://www.colibris-lemouvement.org/, était aujourd'hui ce matin vendredi 11 décembre 2015 l'invité de Guillaume Erner sur France-Culture en compagnie de la journaliste canadienne Naomi Klein. D'une voix tranquille et paisible, il dit les choses essentielles sur la vie, sur l'agriculture, sur l'économie et la politique et sur l'homme. Né dans une oasis du Sahara, installé dans sa ferme bio de l'Ardèche depuis 1961, défenseur des petits agriculteurs du Burkina Faso, pionnier de l'agro-écologie, son langage simple et profond s'adresse à tous, et c'est merveille de voir la lumière qui se fait jour, ici et là, dans les fissures du béton armé des grands médias.
Quant à Naomi Klein, l'équipe de France-Culture a été plutôt discrète dans sa présentation en début d'émission, disant seulement qu'elle écrit dans The New Yorker ou The Guardian. Si Pierre Rabhi est désormais célèbre, ou disons populaire, en France, Naomi Klein est presque une inconnue. Et pour cause: si "This changes everything - Capitalism vs the Climate" est son dernier livre, elle aussi est l'auteur subversive de The Shock Doctrine - the Rise of Disaster Capitalism. J'extrais ceci de sa recension par Raymond Deane (membre fondateur de the Ireland Palestine Solidarity Campaign) dans The Electronic Intifada, 10 février 20089:
(...) Many are now familiar with the outlines of Klein’s argument: in the wake of natural and unnatural disasters, neo-liberal economic reform is foisted on stricken societies while their citizens are in a condition of collective disorientation. While the ruling class is quick to avail of these “opportunities,” it doesn’t actually set out to create them, because it doesn’t need to: “An economic system that requires constant growth, while bucking almost all serious attempts at environmental regulation, generates a steady stream of disasters all on its own, whether military, ecological or financial.” After great destruction comes privatized reconstruction to the benefit of multinational corporations and the detriment of ordinary people.
In itself, the thesis that capitalism thrives on disaster isn’t exactly novel. What Klein has done, however, is to draw analytical conclusions from the consistency with which the metaphor of “shock” is employed in this context.
She recounts how in the 1950s the CIA funded electric shock experiments by the US-American psychiatrist Ewen Cameron that entailed “attacking the brain with everything known to interfere with its normal functioning — all at once” in order to reduce it to a tabula rasa upon which, it was mistakenly believed, anything could be written. These experiments inspired the CIA’s MKUltra program designed “to break prisoners suspected of being Communists and double agents.” As a bonus, Cameron’s and the CIA’s procedures laid the groundwork for torture practices from Santiago de Chile to Abu Ghraib.
Next, Klein explores the doctrines of Milton Friedman and his Chicago School disciples, those influential advocates of economic “shock therapy” who also drew up their theories in the heady 1950s. Friedman, according to Klein, was “the other Doctor Shock … Friedman’s mission, like Cameron’s, rested on a dream of reaching back to a state of ‘natural’ health, … before human interferences created distorting patterns. Where Cameron dreamed of returning the human mind to that pristine state, Friedman dreamed of depatterning societies, of returning them to a state of pure capitalism … the only way to reach that prelapsarian state was to deliberately inflict painful shocks … Cameron used electricity to inflict his shocks. Friedman’s tool of choice was … the shock treatment approach he urged on bold politicians for countries in distress.” (...)
Nonetheless, it is within this oppressive climate that the Lebanese people, Sunni and Shiite, trade unionists and Hizballah, have come together to oppose the attempts by the West and its client prime minister Siniora to remake Lebanon, in the wake of Israel’s catastrophic 2006 assault, in the image of New Orleans in the wake of Katrina. Klein is one of the few Western intellectuals to have appreciated the importance of this story, and this is just one of the many virtues of this extraordinary book. Whether or not she is correct in her belief that “the shock is wearing off,” there is an indelible truth in her assertion that “[t]he only prospect that threatens the booming disaster economy on which so much wealth depends … is the possibility of achieving some measure of climatic stability and geopolitical peace.”
https://electronicintifada.net/content/disaster-capitalism-israel-warning/7179
Pierre Rabhi est un cultivateur, qui parle surtout de la campagne et de l'agro-foresterie, c'est-à-dire de l'exploitation raisonnée de la nature.
Mais on peut parler aussi de la nature en naturaliste, comme le faisaient Roger Heim, Jean Dorst ou Théodore Monod, qui considéraient que l'homme est seulement une espèce parmi les millions d'autres de la planète Terre et qu'il doit vivre en harmonie avec elles.
C'est pour cela qu'il faut donner entièrement raison à Naomi Klein et à Jason Box lorsqu'ils écrivent dans leur dernier article du New Yorker cité plus haut:
A climate summit taking place against the backdrop of climate-fuelled violence and migration can only be relevant if its central goal is the creation of conditions for lasting peace. That would mean making legally enforceable commitments to leave the vast majority of known fossil-fuel reserves in the ground. It would also mean delivering real financing to developing countries to cope with the impacts of climate change, and recognizing the full rights of climate migrants to move to safer ground. A strong climate-peace agreement would also include a program to plant vast numbers of native-species trees in the Middle East and the Mediterranean, to draw down atmospheric CO2, reduce desertification, and promote cooler and moister climates. Tree planting alone is not enough to lower CO2 to safe levels, but it could help people stay on their land and protect sustainable livelihoods.
Replanter des forêts naturelles est certainement la tâche la plus urgente et la plus exaltante à laquelle nous pouvons nous livrer aujourd'hui, tout en protégeant celles qui existent encore.
P.O.C.
Pierre Rabhi est l'auteur de plusieurs livres, dont "Vers la sobriété heureuse" (Actes Sud)
http://www.actes-sud.fr/catalogue/economie/vers-la-sobriete-heureuse
Présentation par l'éditeur:
"Pierre Rabhi a en effet vingt ans à la fin des années cinquante, lorsqu’il décide de se soustraire, par un retour à la terre, à la civilisation hors sol qu’ont largement commencé à dessiner sous ses yeux ce que l’on nommera plus tard les Trente Glorieuses.
Après avoir dans son enfance assisté en accéléré, dans le Sud algérien, au vertigineux basculement d’une pauvreté séculaire, mais laissant sa part à la vie, à une misère désespérante, il voit en France, aux champs comme à l’usine, l’homme s’aliéner au travail, à l’argent, invité à accepter une forme d’anéantissement personnel à seule fin que tourne la machine économique, point de dogme intangible. L’économie ? Ce n’est plus depuis longtemps qu’une pseudoéconomie qui, au lieu de gérer et répartir les ressources communes à l’humanité en déployant une vision à long terme, s’est contentée, dans sa recherche de croissance illimitée, d’élever la prédation au rang de science. Le lien filial et viscéral avec la nature est rompu ; elle n’est plus qu’un gisement de ressour ces à exploiter – et à épuiser.
Au fil des expériences de vie qui émaillent ce récit s’est imposée à Pierre Rabhi une évidence : seul le choix de la modération de nos besoins et désirs, le choix d’une sobriété libératrice et volontairement consentie, permettra de rompre avec cet ordre anthropophage appelé “mondialisation”. Ainsi pourronsnous remettre l’humain et la nature au coeur de nos préoccupations, et redonner, enfin, au monde légèreté et saveur."
Hermann Ploppa sur la Stratégie du choc de Naomi Klein:
(...) "Actuellement, on réquisitionne en grande quantité des installations et bâtiments communaux et municipaux ainsi que des centres communautaires au sein des communes allemandes pour y placer des réfugiés. Quiconque s’oppose à ce procédé se voit subitement confronté au reproche d’être xénophobe. L’extrême droite utilise des prétendus «groupes de citoyens» pour leurs actions, afin de dénigrer les réels soucis des citoyens. On ne peut pas s’empêcher de soupçonner qu’on utilise, une fois de plus, la «Stratégie du choc» que Naomi Klein a si bien décrit dans son ouvrage du même nom. Elle y décrit comment les expropriateurs défendant le radicalisme du marché utilisent des catastrophes tels des tsunamis ou des tremblements de terre, pour réutiliser des régions détruites selon leurs plans. On peut observer cela au Sri Lanka, où les pêcheurs avaient été chassés après le tsunami pour pouvoir installer sans entraves sur les plages tropicales de rêve des quantités de lotissements touristiques. Un autre exemple est la Nouvelle-Orléans qui a été complètement reconstruite selon les plans du radicalisme de marché à la suite de l’ouragan Katrina. Selon ce modèle, la crise des réfugiés pourrait également servir à réorganiser la topographie sociale de l’Allemagne, en profitant de l’état de choc généralisé de la population allemande: c’est-à-dire miner le vivre-ensemble de la population par la fermeture de centres communautaires et par la répartition nécessairement assez opaque des prestations sociales." (...)
Source: Aucune planification dans la crise des réfugiés? par Hermann Ploppa http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=4773