Ethnocentrisme et Nouveau Monde (Ysengrimus/Les 7 du Québec)
2 Mars 2018 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles
2 mars 2018 Ysengrimus. Amériques, Canada, Civilisation du Nouveau Monde, colonialisme, France, histoire, monde, Multiculturalisme contemporain, nouveau, Nouveau Monde, Nouvelle-Angleterre, Nouvelle-France, Océanie, Québec, sémiologie, symbole, Vie politique ordinaire
Le qualifiant NOUVEAU pour désigner des territoires coloniaux est un petit chef-d’œuvre fin d’ethnocentrisme européen. On sait ça, par principe, mais il faut encore prendre une minute ou deux pour s’imprégner du détail mondial de la chose… Énumérons donc d’abord ladite chose par le menu, avant de prendre la mesure des éléments convergents qui sont, eux, d’une remarquable stabilité. On dénombre donc une bonne vingtaine de vastes territoires (aux noms toujours existants ou disparus) qui, depuis le seizième siècle, furent nommés NOUVEAU ou NOUVELLE QUELQUE CHOSE. Enfin, perso, j’en dénombre une vingtaine. Les voici, en ordre alphabétique (liste non exhaustive, en fait. N’hésitez pas à m’envoyer les vôtres. Noter que les noms de bleds comme Newmarket, New Haven, New Moscow ou La Nouvelle Orléans ne sont pas inclus — on parle ici de territoires coloniaux, pas de villes)
(...)
Alors maintenant, parlons d’abord des phénomènes marginaux ou anecdotiques. Ce sont les cas où le terme NOUVEAU catalogue un territoire limitrophe, auquel il faut faire allusion pour implicitement l’annexer ou s’en démarquer: Nouveau-Mexique, Nouvelle-Providence, Nouveau-Québec. C’est Nouvelle-Providence qui est le plus anecdotique des trois, l’île ayant, en plus, été renommée en se faisant ajouter le qualifiant Nouvelle. D’autre part, la Nouvelle-Guinée est un cas unique aussi, carrément bizarre et incongru, puisque la Papouasie y est littéralement donnée comme une version littéralement nouvelle de la Guinée, pour des raisons dont l’ethnocentrisme est patent. L’état mexicain du Nuevo León se rapproche, quant à lui, du modèle dominant (se nommer d’après un territoire européen dont on revendique l’héritage) mais il est marginal, voire incongru, vu que son désignatif renvoie à un royaume qui était déjà disparu depuis des siècles, au moment de la dénomination initiale. En retirant ces cas marginaux ou anecdotiques, on se rapproche de la fonction symbolique et sémiologique stable du désignatif NOUVEAU ou NOUVELLE QUELQUE CHOSE qui est de nommer d’après un territoire européen contemporain de la dénomination, choisi, dans le terroir du colonisateur, pour sa charge symbolique (générale ou particulière) et ce, en toute ostensible indifférence envers les réalités toponymiques et ethnoculturelles locales.
Arrivons-en alors aux espaces coloniaux mondiaux où a fleuri le NOUVEAU. La démarcation est ici criante. Rien en Afrique, rien en Asie et, évidemment, rien en Europe. Les deux cibles de choix pour ce mode très particulier de toponymie invasive furent quasi exclusivement l’Océanie et les Amériques. Voyons d’abord la première (je ne parle plus des cas atypiques déjà mentionnés au paragraphe précédent). L’Océanie hérite de: Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Galles-du-Sud, Nouvelles-Hébrides, Nouvelle-Hollande, Nouvelle-Irlande, Nouvelle-Zélande. Mazette, le beau cas! On a ici que des noms de provinces, de régions, ou de sous-régions. Aucune grande entité nationale colonialiste d’époque ne semble avoir souhaité se renouveler en Océanie.
Et nous atterrissons finalement devant le terrain de jeu privilégié du NOUVEAU: le ci-devant Nouveau Monde. Alors donc, dans les Amériques, on retrouve, en pagaille, comme pour l’Océanie, des noms de provinces, de comtés, de région, ou de sous-régions: Nouvelle-Bretagne, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, New–Hampshire, Nouvelle-Hollande, New-Jersey, New-York. Il s’agit encore, massivement, de dénommer selon le terroir anecdotique d’origine de telle ou telle figure coloniale.
Mais finalement, on va constater que les six grands occupants euro-américains ont tous été prêts à ouvertement (et souvent fort anciennement) engager le nom prestigieux de leur espace national strict dans une dénomination Nouveau-quelquechosesque désignant (exclusivement ou non, principalement en tout cas) leurs possessions américaines. Cette toponymie sciemment néonationale concernera donc, par ordre croissant de puissance: les Suédois (Nouvelle-Suède), les Néerlandais (Nouvelle-Néerlande), les Français (Nouvelle-France), les Portugais (Nouvelle-Lusitanie), les Espagnols (Nouvelle-Espagne), les Anglais (Nouvelle-Angleterre). Six occupants euro-américains sur six ont donc choisi de porter ce coup toponymique aussi hasardeux que majeur et fumant, avec le nom de leur cher pays. Il n’est pas spécialement évident qu’ils se soient singés entre eux, en plus, mais allez savoir… En tout cas, sur cette question dénominative, tout le monde est logé à la même enseigne. Voilà un autre indice, si nécessaire, du fait que le colonialisme euro-américain, c’est ôte toi de là que je m’y mette, kif-kif bourricot, du pareil au même et que passer d’une nation à l’autre, en ces matières, c’est jamais que chipoter dans les nuances du crime. Il est quand même passablement spectaculaire de mater ce fait incroyablement stable et cela oblige à finalement regarder en face la fonction sémiologique radicalement effective de cette dénomination de Nouveau Monde: nier explicitement qu’il y ait eu quelqu’un d’autre qui vivait là avant.
Cette propension effaceuse et négatrice (le fin du fin de l’ethnocentrisme, vous ne me direz pas) va tapageusement se perpétuer quand les puissances coloniales vont, en plus, se mettre à se trucider entre elles. Éliminée la Nouvelle-Suède, plus rien de nouveau ne subsiste. Éliminée la Nouvelle-Néerlande, on troque New-Amsterdam pour New York et on continue. Dépecée la Nouvelle-Espagne et Mexique, Californie, Arizona, Texas etc prennent leur place, chacun dans son coin. Dépecée la Nouvelle-France et l’Acadie se trouve submergée de Nouveau-Brunswick et de Nouvelle-Écosse (toujours pour nier qu’il y avait quelqu’un là avant). Reste finalement au sommet du tas, la Nouvelle-Angleterre, ni plus fine ni moins fine que tous les autres, seul nouveau colonisateur disposant encore du lieu-dit néonational le désignant dans les Amériques. Parlant.
On mentionnera en conclusion, crucialement, les manifestations de résistances culturelles qui commencent solidement à pointer face à tout ce faux nouveau. Des territoires plus anciens recouvrent leur nom d’origine ou le revendiquent: Acadie (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse auxquels s’ajoute l’Île-du-Prince-Édouard), Aotearoa (Nouvelle-Zélande), Kanaky (Nouvelle-Calédonie), Nunavik (Nouvelle-Bretagne, Nouveau-Québec), Papouasie (Nouvelle-Guinée), Vanuatu (Nouvelles-Hébrides). Que dire de plus?…
Lisez ici l'article complet: http://www.les7duquebec.com/7-au-front/ethnocentrisme-et-nouveau-monde/
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