Agriculture et industrie (Henri Eschbach, 1992)
18 Février 2010 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles
Nous reproduisons ici, avec son autorisation, un texte de Henri Eschbach, rédigé en 1992 mais qui reste d’une grande actualité.
Âgé aujourd'hui de 88 ans, Henri Eschbach a été pendant longtemps Président de la Chambre de Commerce du Jura.
Nous avons souvent évoqué l'agriculture sur ce blog, que ce soit à travers des réflexions personnelles ou à travers la pensée d'auteurs comme Bonald.
Nous rappellerons simplement que la politique mondialiste ne se contente pas de vouloir détruire l'agriculture vivrière au profit de l'agriculture industrielle et de l'agriculture
d'exportation, et de chasser les paysans des campagnes qu'ils ont cultivées depuis des millénaires pour amasser les hommes dans de monstrueuses métropoles. Elle veut
aussi éradiquer la race même des paysans, et ceci pour les raisons suivantes:
- Ils ont souvent beaucoup d'enfants.
- Ils cultivent la terre pour se nourrir et pour nourrir les populations locales, selon des méthodes ancestrales.
- Ils ont des traditions.
- Ils savent souvent se passer d'argent dans leurs échanges économiques.
- Ils lisent peu les journaux, regardent peu la télévision (quand ils l'ont) et sont peu influencés par les médias.
- Ils ont du bon sens.
- Ils vivent au contact de la nature et savent se soumettre à elle.
- Ils vivent à l'heure solaire et non à l'heure artificielle des villes
- Leur vie est saine.
- Leur métier est utile et honorable.
- Exerçant leur corps et sachant manier les outils et les armes, ils ont toujours été des soldats en puissance, comme les héroïques Vendéens l'ont montré.
- Ils occupent et connaissent le terrain, s'identifient avec lui et savent donc défendre leur pays.
Toutes choses inadmissibles pour les mondialistes. Mais ce qui éclate surtout dans la politique du "petit peuple", c'est son mépris, sa haine même pour les paysans et pour tous ceux qui
vivent directement de la terre (ou de la mer). Haine meurtrière que l'on a vue dans toutes les révolutions qu'ils ont suscitées, comme l'a parfaitement démontré Igor Chafarévitch dans son
livre "La Russophobie" (1993). Le révolutionnaire est le pire ennemi du paysan.
Béthune
Texte de M. Henri Eschbach (Lettre de la Chambre de Commerce du Jura, Editorial du Président)
"Les racines de la civilisation gréco-romaine dont nous sommes issus, c'est la terre, la société paysanne chantée par Virgile, et chacun sait que la poésie est la mémoire des hommes. Si le
marché industriel est né avec la révolution industrielle du 19e siècle, le marché agricole est une création du Moyen Age qui choyait ses paysans. Il était à l'époque destiné à
l’approvisionnement des villes au moindre coût. L'agriculture vivait en autarcie, assurant ses besoins essentiels et ne vendant que ses surplus (au prix coûtant). Cette société médiévale était
fondée sur le service réciproque.
On a voulu faire de l'agriculture une industrie, en faisant jouer là aussi la concurrence parfaite des économistes, car on considère l'agriculture comme une industrie semblable aux autres, mais liée à l'alimentation, et en lui déniant tout caractère spécifique. Malgré le décuplement de sa productivité, l'agriculture voit son travail le plus mal rétribué de tous, et la technique moderne finit par chasser les hommes de la terre. Le paysan libre et maître de ses terres n’est plus qu'un prolétaire non salarié. Qu'on ne s'étonne donc pas des scènes de désordre que nous connaissons. Le plan Armand-Rueff (1958) a imposé, par volonté politique délibérée, un mécanisme des prix entraînant un niveau de vie sensiblement inférieur. La communauté européenne, qui devait être une protection, est devenue une passoire.
Nous vivons un mécanisme pervers basé sur un marché déséquilibré, dont les dés sont pipés : le marché agricole porte sur des biens primaires, le marché industriel sur des produits manufacturés, le marché agricole est représenté par des produits impersonnels, tels que lait, céréales, porc... alors que le marché industriel présente des produits personnalisés, les automobiles X, les lunettes Y... le marché agricole est loin des débouchés concrets, ses prix sont souvent connus a posteriori. C’est une production aveugle d'une extrême sensibilité. Les prix en industrie connaissent une remarquable stabilité : le cacao peut chuter de 70 %, la tablette de chocolat ne perd pas un centime. Dans l'industrie, la machine travaille toute l'année, dans l'agriculture quelques jours par an. Et l'on peut continuer le parallèle.
La volonté de notre Chambre (commerce-industrie, métiers de l’agriculture) c'est de représenter un corps vivant, dont les différentes composantes se vivifient l'une l'autre. On ne peut faire cohabiter des parties vivantes et des parties moribondes. La terre est faite pour nourrir les gens du pays avec les produits du pays, c'est à dire pour assurer l'autosuffisance alimentaire. Un gel généralisé serait suicidaire. Et l'insolvabilité de l'agriculture ne peut qu'ébranler toute l'économie. Si l'on ne veut plus que notre société fabrique des exclus, il faut revenir à la ferme de polyculture qui entretenait naturellement l’environnement par l'assolement et l'association culture-élevage, petite entreprise familiale qui crée plus d'emplois que la grande. C'est vraiment un comble de voir l’agriculture devenir une nuisance. Les solutions ne peuvent être que multiples et variées. Selon les régions et les latitudes, il faut encourager les productions sous contrat, les productions liées à la clientèle de proximité, l'agriculture biologique, etc.
Nos pays se prêtent bien aussi à l'alternance des tâches par un travail mi agricole, mi industriel, où nos PME et nos artisans peuvent jouer un rôle essentiel de relais sans déracinement. Si nous voulons défendre la préférence communautaire contre un mondialisme qui est une idée fausse, il faut conserver à l'Europe ses originalités, ses particularismes, ses " pays ", avec leur incomparable qualité de vie. Une civilisation est aussi la rencontre entre un peuplement et un territoire. En face d'une trop grande concentration urbaine, nous avons besoin d'une meilleure irrigation géographique. Alors, l'économie, de maîtresse, deviendra servante. Nos Capétiens n'étaient-ils pas des paysans rassembleurs de terres et faiseurs d'enfants ? "
Henri Eschbach
Lettre n° 111 de la Chambre de commerce du Jura – 2e trimestre 1992.
Ce texte a été publié dans le numéro 308 du Bulletin de l'Action Familiale et Scolaire (janvier-février 2010)
(illustration tirée de Henri Servien: Histoire de France)
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