Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

Des Grecs au non-droit (Eric Delcroix)

17 Décembre 2010 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles

"De fait, la tradition grecque antique primordiale était à l’abri de cette chasse aux intentions subjectives, dont on croyait avoir été libéré au moins par le droit post-révolutionnaire. Elle se refusait à demander compte de leurs idées et sentiments à ses contemporains, là même où l’empire des dieux était pour elle incertain et, de toute façon, hors de portée des juges. Georges Sorel rappelait que les Grecs, pour leur bien :

 

n’avaient aucune idée d’un tribunal interrogeant un homme sur ses théories, ses actes intimes, les jugeant et prononçant une peine en raison de l’hérésie ou du péché39.

 

Heureux temps de la sagesse antique, où le totalitarisme était tout simplement inconcevable, où l’Athénien était jugé sur sa seule conduite tangible, sur la conduite requise socialement, sur le Sollen. Les « actes intimes », le mobile subjectif induit, le for intérieur, la conscience individuelle, demeuraient l’apanage de l’arbitraire du sujet, le tréfonds secret et foncièrement libre de l’être. Pour les Grecs anciens, le crime ou délit peccamineux n’était pas du domaine du pensable. Il est vrai qu’ils étaient en deçà d’une culture imprégnée de la problématique du péché. La mauvaise conscience n’existait pas, pas même dans le confinement religieux.

Et l’honnêteté veut que soient crédités d’une volonté de retour à une telle conception pragmatique du droit nombre de révolutionnaires et surtout à leur suite Napoléon. Ils étaient fermement opposés au viol des consciences et à l’obligation d’introspection pénitentielle, sachant quels avaient été les abus effroyables de la justice théocratique de [60] l’Ancien Régime à cet égard. Il fallut Napoléon pour mettre en application cette révolution, les révolutionnaires ayant sombré dans les passions sanguinaires moralisantes et cannibales que l’on sait. Preuve, dans la mesure où ils n’ont pas été tués prématurément par la Révolution elle-même, qu’ils ne surent ou ne purent pas s’affranchir du fanatisme. Ils étaient intoxiqués par l’utopie délétère des chimères, nuées et universaux révolutionnaires.

Bien entendu, le système nouveau, dont les bases renouent avec les abus du droit de l’Ancien Régime et de l'« exécrable Inquisition » (selon le mot du catholique et monarchiste Léon Daudet), ne peut pas manquer d’entraîner des conséquences inopportunes flagrantes. Aussi le législateur a-t-il amendé ce système empiriquement, par des exceptions, très précises et rares, certaines « discriminations » devant encore être admises40. C’est qu’en définitive, sans « discriminations » (ou libre et arbitraire discernements, ou distinctions, ou encore libre arbitre subjectif) il n’y a plus guère de droit possible, le droit étant avant tout classifications d’entre les choses et… discriminations d’entre les personnes !"

 

Eric Delcroix, Le Théâtre de Satan


39 Le Procès de Socrate, par Georges Sorel, 1889, cité par Gérald Hervé dans Le Mensonge de Socrate, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1984.

40 Voir art. 225-3 du nouveau Code pénal, notamment pour parfois l’« état de santé »

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :