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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

Ezra Pound: Avec l'usure

27 Mars 2010 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles

Ezra Pound lit son Canto XLV: "Avec l'usure".  Sous-titrage en espagnol.

http://www.youtube.com/watch?v=Aba1dVLVSFg

 


ep.jpg

Ezra Pound
par Kerry Bolton

http://library.flawlesslogic.com/pound_fr.htm


Ezra Pound était né dans une ville frontière de l'Idaho, en 1885, fils d'un fonctionnaire de l'Hôtel de la Monnaie et petit-fils d'un membre du Congrès. On pourrait dire qu'il avait l'économie et la politique dans le sang. Il s'inscrivit à l'Université de Pennsylvanie en 1901. Pound était un lecteur avide de littérature anglo-saxonne, classique, et médiévale. En 1906, il obtint sa maîtrise en Arts et avait déjà commencé à travailler sur son œuvre la plus importante, les Cantos. Après son diplôme il continua à travailler sur les poètes-musiciens, les troubadours provençaux, ce qui accrut son désir de se rendre en Europe.
En 1908, Pound partit pour Venise. Là il paya 8 dollars pour l'impression de son premier volume de poésie, A Lume Spento [Avec des cierges éteints]. Pound alla ensuite en Angleterre pour rencontrer W.B. Yeats. Il devint rapidement une célébrité littéraire à Londres. L'année suivante il rencontra Yeats et devint la figure dominante des soirées du lundi de Yeats.

Pound entra aussi en contact avec la English Review qui publiait les œuvres de nouveaux talents comme D.H. Lawrence, et l'écrivain, peintre et critique Wyndham Lewis. En 1911 Pound lança sa campagne pour l'écriture innovante dans le New Age, publié par le réformateur monétaire A.R. Orage. Pour Pound la nouvelle poésie du siècle serait «austère, directe, libérée de tout penchant émotionnel».

L'année suivante, Pound fonda le mouvement imagiste dans la littérature. A cette époque il aidait déjà à lancer les carrières de William Carlos Williams, T.S. Eliot, Hemingway et James Joyce. Il était aussi devenu le mentor de Yeats, l'aîné de vingt ans de Pound, et déjà mondialement célèbre.

En 1914, Pound lança un autre mouvement plus sérieux qui devait avoir une influence durable sur la culture anglaise, le mouvement vorticiste. L'impulsion vint d'abord d'un jeune sculpteur d'avant-garde, Henri Gaudier-Brzeska. Avec Wyndham Lewis et d'autres, ils lancèrent «Blast», le journal du mouvement. Par fatalité, ce fut aussi l'année de la 1ère Guerre Mondiale qui préleva son tribut sur de nombreux vorticistes.

Le vorticisme fut pour Pound la première grande expérience de propagande révolutionnaire, et la première cause qui le plaçait en dehors des limites de l'orthodoxie. Pound voyait le vorticisme comme mettant «les arts à leur juste place en tant que guide reconnu et phare de la civilisation». De cette façon, les arts étaient soudés à la politique dans une union mystique, d'une manière déjà envisagée par Yeats. [Image: "Before Antwerp," couverture de Blast no. 2, réalisée par Wyndham Lewis.]

Pound voyait le «commercialisme» comme la force empêchant la réalisation de son idéal artistique-politique. En 1918 il rencontra le major C.H. Douglas, le fondateur du Crédit Social dont la théorie de réforme monétaire expliquait que dès que l'argent devenait une commodité au lieu d'une mesure de productivité et de créativité alors une nation et sa culture seraient sacrifiées à la poursuite d'intérêts commerciaux.

L'OCCULTISME

Pound embrassa la théorie du Crédit Social avec enthousiasme. Là se trouvait le moyen par lequel le Pouvoir de l'Argent, qui corrompait la culture, pouvait être renversé. Pendant les années 30 et 40, Pound écrivit une série de brochures sur l'économie et la politique, incluant son premier «Le Crédit Social: un choc» (1935), puis «Une carte de visite» (1942), et en 1944 «L'Or et le Travail», et «L'Amérique, Roosevelt, et les causes de la présente guerre», les trois derniers étant publiés par l'Italie fasciste.

La manière dont Pound arriva à ses doctrines politiques et économiques fut le même chemin ésotérique que Yeats. En 1913, Pound était devenu le secrétaire de Yeats. Pound s'était intéressé aux religions orientales, au yoga, à la théosophie et à l'astrologie depuis au moins 1905. Quand Pound fut présenté à Yeats il rejoignit un petit groupe où Yeats était impliqué et qui était de nature gnostique. Avant cela Pound avait écrit sur sa croyance en un type de réincarnation des âmes créatrices avec des termes similaires à ceux utilisés dans la poésie de Yeats.

Pound considérait le sexe comme un sacrement et comme une tradition ésotérique qui avait été préservée en Occident par les troubadours. Il considérait que la seule vraie religion était «la révélation faite dans les arts». Rejetant le christianisme, il le décrivait comme «une foi bâtarde conçue pour transformer de bons citoyens romains en esclaves, et qui est totalement différente de celle prêchée en Palestine. Dans ce sens le Christ est complètement mort». Pound trouvait les Eglises inacceptables pour avoir gagné des subsides qui auraient dû aller aux artistes, aux philosophes et aux scientifiques.

Pound était inspiré par le «culte d'amour» des troubadours, qui avait été supprimé par l'Eglise, et par les religions à mystère de l'Antiquité. Il considérait les enseignements de Confucius qui enseignait une religion civique assignant à chacun un devoir social, de l'empereur au paysan, comme un moyen de parvenir à un Etat équilibré. Il vit plus tard dans l'Italie fasciste la réalisation d'un tel Etat.

Comme pour Yeats, les concepts de Pound sur l'ésotérisme et la culture l'amenèrent à s'opposer aux doctrines libérale et démocratique. Pound vit dans le fascisme la réalisation de la politique monétaire du Crédit Social qui briserait la puissance de la ploutocratie. Il considérait que les artistes formaient une élite sociale «née pour diriger» mais pas par un mandat démocratique. «Les artistes sont les antennes de la race mais les têtes-rondes n'apprendront jamais à faire confiance à leurs grands artistes».

Dès 1914 Pound avait écrit que l'artiste «a eu assez de bon sens pour savoir que l'humanité était insupportablement stupide. Mais il a aussi essayé de la diriger et de la persuader, de la sauver d'elle-même». Il écrivit en 1922 que les masses sont malléables et que ce sont les arts qui forment les moules pour les modeler.

LE FASCISME

Pour Pound, le fascisme était le point culminant d'une ancienne tradition, continuée dans les personnalités de Mussolini, Hitler, et du fasciste britannique Sir Oswald Mosley.

Pound avait déjà étudié les doctrines de l'ethnologue Frobenius pendant les années 20 et donnait une interprétation mystique de la race. Les cultures étaient les produits des races, et chacune avait son âme propre, ou «paideuma», dont l'artiste était le gardien.

En Mussolini, Pound voyait non seulement un homme d'Etat qui avait renversé la ploutocratie, mais quelqu'un qui avait fait de la politique une forme d'art. Pound déclara: «Mussolini a dit à son peuple que la poésie est une nécessité de l'Etat, et en cela il a exprimé à Rome un niveau de civilisation plus élevé qu'à Londres ou Washington».
 

Quelques citations d'Ezra Pound
«L'usure est le cancer du monde que seul le scalpel du
fascisme peut extraire de la vie des nations.»

«Les soixante Juifs qui ont commencé cette guerre devraient
être expédiés à Sainte-Hélène par mesure prophylactique.»
(émission à la radio fasciste italienne, 30 avril 1942)

«Le capitalisme pue.»
(10 décembre 1943)

«Tout simplement, je veux une nouvelle civilisation.»

***

Vorticisme

C'est Pound qui inventa le nom "vorticisme" pour désigner l'action vitale, violente et plutôt mystique. En termes artistiques, les buts du mouvements sont difficiles à définir. Son programme fut largement conçu par [Wyndham] Lewis, qui le premier avait peint à la manière cubiste et s'était ensuite converti au futurisme. Il dénonça ce qu'il considérait comme la qualité statique des œuvres des cubistes comme Picasso et rejeta le naturalisme et la sentimentalité qu'il trouvait dans l'art futuriste. La peinture, disait-il, doit être propre, dure, et plastique; elle doit exprimer l'esprit du temps d'une manière anti-réaliste, rigidement géométrique. 

La plupart des peintures produites sous la bannière du vorticisme furent des compositions géométriques abstraites, avec l'accent mis sur les contrastes et les tensions dynamiques. En dépit du rejet officiel du futurisme, la plupart des peintures sont essentiellement futuristes par leur conception, suggérant une appréciation positive sur les machines et la nouvelle ère technologique. 

Extrait de l'Encyclopedia of Art (New York: Greystone Press, 1971), article "Vorticisme".
 

Ecrivant dans son livre de 1935 «Jefferson et/ou Mussolini», Pound expliqua: «Je ne crois pas qu'un jugement sur Mussolini puisse être valable s'il ne part pas de sa passion de bâtisseur. Traitez-le comme un ARTISTE et tous les détails trouvent leur place ... La révolution fasciste était POUR la préservation de certaines libertés et POUR le maintien d'un certain niveau de culture, de certaines règles de vie ...»

Pound et sa femme Dorothy s'installèrent en Italie en 1924. En 1933 il eut une rencontre avec Mussolini, où il exposa ses idées pour une réforme monétaire.

Il devint aussi un collaborateur régulier des périodiques de la «British Union of Fascists» de Mosley, rencontra Mosley en 1936 et continua à correspondre avec lui jusqu'à 1959.

A partir de la fin des années 30 il commença à regarder de plus en plus vers les politiques économiques de Hitler et considérait l'Axe Berlin-Rome comme «la première attaque sérieuse contre l'usurocratie depuis l'époque de Lincoln».

En 1940, après être revenu en Italie suite à une tournée aux USA pendant laquelle il tenta de s'opposer au mouvement vers la guerre contre l'Axe, Pound offrit ses services comme chroniqueur radio. Les émissions, appelées «L'heure américaine», commencèrent en janvier 1941. Pound se considérait comme un Américain patriote. Après l'attaque japonaise sur Pearl Harbour il tenta de retourner aux USA, mais l'ambassade américaine lui refusa l'entrée. Sans moyen de subsistance, Pound reprit ses émissions, attaquant l'Administration Roosevelt et l'usure dans un style folklorique américain, avec un mélange de criticisme culturel.

En 1943, Pound fut inculpé de trahison aux USA. Hemingway, inquiet du sort de son vieux mentor après la guerre, suggéra la possibilité de plaider la «folie» et l'idée fut retenue parmi certains des amis littéraires de Pound et d'Hemingway qui avaient décroché des postes dans le gouvernement américain. D'autres intérêts appelaient à la peine de mort pour la figure culturelle la plus éminente de l'Amérique.

Deux jours après le meurtre de Mussolini, Pound fut capturé dans sa maison par les partisans italiens après qu'il ait tenté sans succès de se rendre aux forces américaines. Après avoir mis un livre sur Confucius dans sa poche il partit avec les partisans, s'attendant à être exécuté. Au lieu de cela il finit dans un camp américain à Pise construit pour les prisonniers de guerre les plus brutaux. Pound fut enfermé dans une simple cage de fer au plancher en béton, dans la chaleur brûlante, éclairé en permanence pendant la nuit. Pound eut un effondrement physique et fut transféré dans un centre médical, où il obtint de pouvoir travailler sur les «Pisan Cantos».

En novembre, il fut envoyé à Washington et emprisonné. Il fut déclaré fou et envoyé dans une institution pour fous criminels à St. Elizabeth. Là sa production littéraire continua, et il traduisit 300 poèmes chinois traditionnels qui furent publiés à Harvard en 1954.

Parmi ses nombreux visiteurs, il devint le mentor de John Kasper, un jeune intellectuel fougueux qui parcourait le Sud pour faire campagne en faveur de la ségrégation raciale, provoquant le rappel de la Garde Nationale dans le Tennessee.

En 1953, Pound n'avait pas encore fait l'objet d'un diagnostic formel. Des enquêtes par le Ministère de la Justice reconnurent que Pound avait tout au plus des «troubles de la personnalité». Au milieu des années 50 diverses figures et magazines influents firent campagne pour la libération de Pound. Après 13 années d'enfermement, l'inculpation de Pound pour trahison fut abandonnée le 18 avril 1958.

Le 30 juin il partit pour l'Italie, faisant le salut fasciste aux journalistes en arrivant à Naples, et déclarant «toute l'Amérique est un asile de fous». Il continua avec les «Cantos» et resta en contact avec des personnalités politiques comme Kasper et Mosley. Il continua à s'opposer avec défi au système américain dans des interviews à des magazines en dépit des plaintes des diplomates américains. A cause de son engagement politique, Pound ne reçut pas les honneurs qui lui étaient dus après sa mort le 1er novembre 1972.
 

 

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