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Le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

La "civilisation" selon Henry Miller

11 Juillet 2012 , Rédigé par Béthune

 

« Chaque fois que j’entends parler de la catastrophe de Smyrne, de la grotesque castration morale dont furent l’objet les représentants des forces armées des grandes puissances, qui se conformèrent sans broncher aux ordres stricts de non-intervention de leurs chefs, tandis que des millions d’innocents, hommes, femmes et enfants, étaient contraints de se jeter à l’eau comme du bétail, mitraillés, mutilés, brûlés vifs et qu’on leur tranchait les mains quand ils essayaient de se hisser à bord d’un navire étranger, je pense à cet avertissement préliminaire que j’ai toujours vu sur l’écran des cinémas français et que l’on devait projeter sans doute aussi dans toutes les langues du monde, sauf l’allemand, l’italien et le japonais, en toute occasion où les actualités montraient le bombardement d’une ville chinoise*.

Si je me rappelle ce détail, c’est pour la raison très particulière que, pour la première fois où l’on montrait la destruction de Changhai, avec ses rues jonchées de corps mutilés qu’on enlevait hâtivement à la pelle, dans des charrettes, comme des ordures, il y eut dans ce cinéma français un tapage comme je n’en avais jamais entendu auparavant. Le public français était révolté. Et pourtant, de façon pathétique et assez humaine, il était divisé dans son indignation. La fureur des vertueux couvrait de ses cris la colère des justes. Les vertueux, chose plutôt curieuse, trouvaient scandaleux que l’on osât étaler des scènes aussi barbares et inhumaines aux yeux des gens bien élevés, respectueux des lois et amis de la paix qu’ils s’imaginaient être. Ils auraient voulu qu’on les protégeât contre l’angoisse d’avoir à endurer pareil spectacle, fût-ce bienheureusement à trois ou quatre mille kilomètres de distance. Ils avaient payé, ils étaient venus pour voir un drame d’amour dans de bons fauteuils, et voilà que, par un manque de tact monstrueux et absolument inexcusable, on leur fourrait sous le nez cette tranche de vie nauséabonde, on leur gâchait virtuellement leur paisible soirée de loisir. Telle était l’Europe avant la débâcle actuelle. Telle est aujourd’hui l’Amérique. Telle elle sera demain, une fois dissipée la fumée. Tant que des êtres humains pourront rester assis là, à regarder, les bras croisés, pendant que l’on torture et égorge leurs semblables, la civilisation ne sera que creuse dérision, fantôme verbeux suspendu comme un mirage au-dessus d’une énorme marée montante de carcasses et de carnages .


*L’avertissement en question disait à peu près ceci : Le public est instamment prié de s’abstenir de toute manifestation déplacée, à la présentation de telles atrocités. On aurait pu tout aussi bien ajouter : rappelez-vous que ce ne sont là que des Chinois, pas des Français ».


Henry Miller. Le Colosse de Maroussi. Traduction de Georges Belmont. Société Nouvelle des Editions du Chêne, 1958.

 

 

 

« L'incendie de Smyrne, que les Grecs appellent la Catastrophe de Smyrne (en grec moderne : Καταστροφή της Σμύρνης), est un événement de la Deuxième Guerre gréco-turque. Il détruisit la majeure partie de la cité portuaire de Smyrne, aujourd'hui Izmir, le 14 septembre 1922, et causa la mort de milliers de chrétiens anatoliens.

Selon les témoins oculaires, l'incendie éclata quatre jours après la reconquête de Smyrne par les nationalistes turcs, le 13 septembre 19221. Le feu, qui ravagea les quartiers chrétiens mais épargna les quartiers juifs et musulmans, s'accompagna de massacres. D'après les historiens, 100 000 Grecs et Arméniens périrent dans ces événements.

La destruction des quartiers chrétiens chassa par ailleurs de chez eux 400 000 autres Micrasiates, qui durent trouver refuge, dans des conditions très dures, sur la côte durant deux semaines. C'est en effet seulement le 24 septembre que des navires de la flotte hellénique commencènt à secourir les survivants et à les rapatrier en Grèce. »

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