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Le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

La victoire sur la crainte de la mort (Ernst Jünger, Traité du rebelle ou le recours aux forêts)

29 Novembre 2011 , Rédigé par Béthune

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« La victoire sur la crainte de la mort est donc, en même temps, le triomphe sur toute autre terreur ; elles n’ont toutes de sens que par rapport à cette question première. Aussi le recours aux forêts est-il, avant tout, marche vers la mort. Elle mène tout près d’elle- et, s’il le faut, à travers elle. La forêt, asile de la vie, dévoile ses richesses surréelles quand l’homme a réussi à passer la ligne. Elle tient en elle tout le surcroît du monde.
C’est à cette vérité que se réfère toute vraie direction de conscience : elle sait amener l’homme au point de discerner la réalité. On le voit surtout lorsque s’unissent la doctrine net l’exemple : quand le triomphateur de la crainte entre dans l’empire des morts, comme le montre le Christ, fondateur suprême. Le grain de froment n’a pas, en mourant, porté mille fois, mais infiniment plus de fruits. Il a puisé ainsi dans le surcroît du monde auquel se réfère toute génération : symbole temporel, mais en même temps acte où le temps est vaincu. Il n’a pas eu pour cortège que ces martyrs qui dépassaient en force le stoïcisme, et César et ces centaines de milliers d’hommes qui les enfermaient dans l’arène. Sa suite, ce furent ces milliards d’êtres, morts dans une ferme espérance. Elle agit, de nos jours encore, avec bien plus d’efficace qu’il ne nous semble à première vue. Quand même les cathédrales s’écroulent : il subsiste dans les cœurs l’héritage d’un savoir qui mine, comme feraient les catacombes, les palais de la tyrannie. Cette seule raison suffirait à nous assurer que la violence pure, exercée à l’image de l’antique, ne peut à la longue gagner la partie. Ce sang a imprégné l’histoire de sa substance : aussi le Christ est-il encore, à bon droit, le repère de nos dates, le point de flexion du temps. Il règne en lui la pleine fécondité des théogonies, un pouvoir mythique de génération. Le sacrifice se répète sur d’innombrables autels.
Hölderlin saisit dans le poème du Christ comme exaltation du pouvoir d’Héraclès et de Dionysios*. Héraclès est le prince des premiers âges, que les dieux mêmes doivent appeler à la rescousse dans leur lutte contre les Titans. Il assèche les marais, creuse des canaux et rend habitables les terres stériles en abattant les monstres et les fantômes. Il est le premier des héros sur les tombeaux desquels s’édifie la cité et dont le culte la conserve. Toute nation a  son Héraclès, et les tombeaux demeurent les foyers dont l’Etat tire une splendeur sacrée.
Dionysos est le seigneur des fêtes, le guide des cortèges solennels. Quand Hölderlin le nomme esprit de communion, il faut comprendre que les mots appartiennent à la communauté, et plus que les autres. D’où la lumière dont s’enveloppe la fête dionysiaque, la source la plus secrète de sérénité. Les portes du royaume des morts s’ouvrent toutes grandes, et tout l’or dont il regorge en jaillit. Tel est le sens de la vigne, en laquelle se marient les forces du Soleil et celles de la terre, et le sens des masques du grand changement et du grand retour. »

 

Ernst Jünger. Traité du rebelle ou le recours aux forêts. Traduit de l’allemand par Henri Plard. Points Seuil/ Christian Bourgois, [1980] 1981.

 

*. « Hercule est tel que les princes. Esprit de communion : Bacchus. Mais Christ est la fin. Certes, il demeure autre nature ; mais accomplit ce qu’il manquait encore de présence céleste chez les autres… » (Der Einzige, seconde version, vers 94.) (N. d. T.)

 

 

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