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Le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

Un chemin de mille lieues commence par un pas (He Andao/Sanyuang.org)

8 Janvier 2013 , Rédigé par Béthune

Un jour, vous avez croisé le mot Tao. Vos yeux se sont posés sur le symbole du yinyang. Ou votre professeur de taiji a prononcé quelques paroles sur une vieille sagesse chinoise remontant à la nuit des temps. Vous vous êtes demandé : " Le taoïsme, qu'est-ce que c'est ? ". C'est pour apporter un début de réponse à cette question que le site Sanyuan a vu le jour. Si vous craignez d'être entraînés sur des rivages neufs, passablement mystérieux , libres et exigeants, capables de secouer vos certitudes, alors ne lisez pas davantage…

Après la Bible, le Tao Te King -Daodejing , en pinyin - est le texte le plus traduit du monde. Si vous l'avez feuilleté, une sentence - pertinente, profonde, énigmatique - a pu retenir votre attention. Peut-être avez-vous été frappé par l'extrême concision de ces vers qui tiennent de la berceuse et par la pluralité des domaines auxquels ils semblent s'appliquer. Les sinologues estiment que leur auteur Lao Tseu - Laozi, en pinyin - a vécu au 4ème siècle avant notre ère. Mais une bonne partie du texte est beaucoup beaucoup plus ancienne.

 

La Voie dont on parle

 

Comment situer le taoïsme à l'aide de nos catégories ? Est-ce une philosophie? Certains de ses thèmes sont nettement philosophiques. Mais la réponse est négative si l'on entend par philosophie une doctrine fondée sur la raison. Une religion ? Les vieux textes se réfèrent au monde des esprits et à des voyages mystiques. Et lorsque le bouddhisme s'est installé en Chine au premier siècle, des communautés taoïstes, des écritures sacrées, une organisation ecclésiastique et des rituels se sont mis en place. Cependant appellerons-nous religion une doctrine qui ne pose ni Dieu personnel, ni foi, ni credo, ni dogmes et qui a toujours fui le prosélytisme? Pouvons-nous concevoir qu'une religion ait contribué a faire naître la connaissance scientifique ? Joseph Needham a montré la somme impressionnante des apports du taoïsme à la science. Réciproquement, nombre de savants ont fait des déclarations qui " sonnent " taoïstes. Galilée: " Le grand livre de l'univers est constamment ouvert devant nos regards admiratifs et étonnés ". Einstein : " Il me suffit de contempler le mystère de la vie consciente se perpétuant de toute éternité ; de méditer sur la merveilleuse structure de l'univers telle que nous pouvons confusément la percevoir, et d'essayer humblement de comprendre ne fût-ce qu'une infime partie de l'intelligence qui se manifeste dans la nature ". Cette phrase est remarquable : elle semble taoïste non seulement dans son expression générale mais jusque dans le choix des mots! Les taoïstes partagent le même émerveillement, le même éveil, la même humilité devant le mystère cosmique et manifeste le même enthousiasme à déchiffrer ses lois. Dirons-nous alors que le taoïsme est une sagesse ? Il est vrai que Laozi ressemble à Héraclite, Parménide, Empédocle… les " sages " d'avant Socrate . Mais c'est tout autant un art de vivre total.

" Me voilà bien avancé ! ", direz-vous. " Si le taoïsme est si difficile à cerner, qu'en est-il du Tao ou de la Voie? ". Réponse classique : le début du Daodejing: " La Voie dont on parle n'est pas la Voie. Les noms qu'on lui donne ne sont pas son nom. " Mais rassurez-vous, Laozi a ajouté cinq mille mots à sa déclaration liminaire ! Et des millions de personnes ont mis leur pas dans les siens… bien qu'il ait écrit : " Qui marche bien ne laisse pas de traces ". Et en Chine, le taoïsme a imprégné les arts martiaux la poésie, la calligraphie et la peinture, les rites et la cuisine, la médecine, les pratiques de santé et de longévité, le jardinage… (Exercice : que signifie la maxime citée dans chacun de ces domaines ?)

Notre souhait est de rendre compte des différentes courants dans leur diversité et leur originalité, leurs pratiques et leurs expériences, leur plus ou moins grand syncrétisme avec le bouddhisme et le confucianisme. Nous souhaitons rassembler chercheurs et passionnés pour ouvrir un dialogue avec eux en dehors des cénacles académiques. Nous avons aussi le projet – utopique? - de ne pas rester seulement virtuels.

 

Etat des lieux

 

Vous déambulez place d'Italie. Un Chinois, vieux comme Lu Dongbin, avec une barbichette couleur de neige, pose sa main ridée sur votre épaule et vous susurre à l'oreille: " Quand le disciple est prêt, le maître apparaît… " Stop ! Réveillez-vous! Vous rêviez ! Les maîtres taoïstes, cœur en paix, gestes parfaits, ne courent pas les rues parisiennes. Aucun ne passe au journal de TF1 ni même sur Arte.

En Chine, battu en brèche depuis des siècles et surtout depuis l'instauration de la République, le taoïsme a été persécuté durement. Ses communautés et ses temples ont été presque totalement détruits. La palme de l'oppression iconoclaste revient, bien sûr, à la " révolution culturelle " : pendant dix ans, destruction systématique des lieux de culte, des écrits, de la mémoire de tout un peuple. Et d'envoyer moines et nonnes, ces paresseux exploiteurs de la crédulité populaire, dans les campagnes à fumer les champs. Certains ont fui à Taiwan, à Hong-Kong… Aujourd'hui, les dirigeants ont compris que la Chine ne peut pas briser totalement avec son passé. Les touristes et les dollars resteraient chez eux. Certains temples sont restaurés, les religieux, taoïstes ou bouddhistes, sont tolérés – surtout s'ils ajoutent à la couleur locale et servent de guides. Pour sa restauration, le bouddhisme trouve des aides précieuses hors de Chine. Il est préoccupant que le taoïsme ne reçoive l'aide que d'une seule association extérieure. Cependant le renouveau est indéniable. Mais les maîtres sont rares et âgés. Les nouveaux adeptes auront-ils assez de temps pour assimiler les enseignements dont la chaîne ne s'était jamais rompue? Rien ne peut remplacer l'expression directe de bouche à oreille et l'expérience. Pour les taoïstes, les livres sont essentiels mais le langage est un instrument qui ne peut tout transmettre. Heureusement, les maîtres vivent vieux.

 

Si j'avais un grain de sagesse

 

Beaucoup de gens ont une vague connaissance du taoïsme. Un sympathisant tel l'écrivain Laurence Durrell, dans Le Sourire du Tao, livre d'une lecture par ailleurs très aimable, situe ses origines… en Inde ! Pour nous, amateurs éclairés, les livres fournissent à présent, en français et en anglais, une mine d'approches intellectuelle, technique, sapientielle, ethnologique, imaginative... John Blofeld, Peter Goullart, Jean-François Billeter, Deng Ming-Dao et d'autres auteurs comblent nos attentes. Nous lisons les classiques – Laozi, Zhuangzi, Liezi – et des études d'ensemble - Isabelle Robinet, Kristoffer Schipper, ou Eva Wong (voir bibliographie) - les polars de Van Gulik, des BDs et la traduction des textes essentiels par des philologues ou des fervents.

 

Celui qui pratique l'Art n'essaie point d'être comble

 

Un peu plus loin sur le chemin, nous potasserons le mandarin. Nous surferons – tâche improbable ! – à la recherche d'ermites taoïstes sur leurs montagnes. Nous rêverons sur les photographies de Patrice Fava parues dans John Lagerwey, Le Continent des Esprits, La Chine dans le miroir du taoïsme. Dans notre société de " mondialisation " où domine l'argent fou, la pléthore des uns et la disette des autres, la compétitivité, le chacun pour soi, le quart d'heure de célébrité, l'emballage et le spectacle, nous rêvons d'une vie qui viserait à la simplicité, la quiétude et l'harmonie. Pourrions-nous nous réconcilier avec la nature – pas seulement la nature extérieure, mais celle qui est en nous ? Vivre frugalement et joyeusement selon les rythmes des saisons ? Reprendre cette aventure que nous avons abandonnée avec l'enfance : retrouver la source de notre nature propre et la réaliser, restaurer notre spontanéité et notre créativité ? Bref, nourrir la vie en nous. Pouvons-nous réaliser cela aujourd'hui ? Pour tenter l'aventure, nous apprenons de nouveaux concepts et de nouvelles images: le jeûne du cœur, wuwei, le retournement dynamique, ziran, la création sans créateur, le bloc de bois brut, la soie grège, le Vide, Ciel-et-Terre, les trois joyaux, les immortels, Connais le blanc garde le noir, l'alchimie intérieure, la femelle mystérieuse... Nous découvrons – scandale ! – que Laozi appelle le Tao " la mère ". A l'évidence, il est trop tôt pour que notre siècle soit disposé à accepter l'importance du féminin dans le taoïsme ! Nous apprenons aussi que celui-ci n'est pas la panacée, qu'il n'a pas réponse à tout, qu'il a été le réservoir où s'est déversé tout ce que les courants officiels refusaient et contient donc le meilleur et… tout un bataclan de dieux (voir Panthéon), de pratiques magiques et de talismans. Mais, sur place, cela ne semble faire problème à personne. N'attendez pas des taoïstes qu'ils s'étripent en des guerres de religion pour savoir si, dans l'hostie, la présence du divin est réelle ou symbolique !

 

Comment parler de la mer à la grenouille du puits ?


Et puis, un jour, les paradoxes de Laozi et les paraboles de Maître Zhuang nous parlent davantage, paraissent moins opaques et fournissent plus de couches de sens que nous n'imaginions… Nous saisissons que tradition et originalité renvoient l'une à l'autre. Par la méditation - si nous méditons ! - nous acquérons une nouvelle sérénité, une plus grande clarté d'esprit, une réceptivité qui débouche sur le sentiment d'une présence intime auquel tout est relié : obscur, infime, évanescent, le Tao n'est pas loin : il est en toi. Et une nouvelle envie nous prend : aller jusqu'au bout de l'étude du Tao et donc aller là-bas où vivent les maîtres… Mais ceci est une autre histoire.

 

He Andao

 

http://www.sanyuan.org/

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