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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

Igor Chafarevitch: Le peuple et l'homme

 

Igor Shafarevich

 

La plupart du temps, un homme naît et meurt parmi son peuple. C’est pourquoi il appréhende son entourage comme quelque chose d’absolument naturel et qui ne suscite aucune question. En fait, un peuple constitue l’une des énigmes les plus extraordinaires de la Terre. D’où proviennent chez tant d’individus ces traits communs ? Quelle puissance les maintient pendant des siècles voire des millénaires ? Jusqu’ici toutes les tentatives pour répondre à ces questions ont manqué leur but, et nous ne pouvons nous défendre de penser que nous sommes en face d’un phénomène auquel les recettes standard de l’« explication» scientifique moderne ne sont absolument plus applicables. Il est infiniment plus aisé de montrer pourquoi les individus ont besoin des peuples. Le fait d’appartenir à son peuple fait de nous une partie de l’Histoire et de ses énigmes passées et futures. Nous ne sommes plus alors une infime particule de « matière vivante » égarée dans la gigantesque ronde de la Nature. Nous devenons alors capables de ressentir (quoique inconsciemment dans la plupart des cas) le sens et la justification supérieure de notre existence au sein de l’humanité.

Par analogie au « milieu biologique », le peuple constitue notre « milieu social », et c’est une merveilleuse création, formée et maintenue grâce à nos actions, mais non d’après l’idée que nous pouvons nous en faire. Cette création surpasse parfois de loin les possibilités de notre propre entendement mais souvent aussi elle se montre absolument désarmée devant notre intervention insensée. On peut regarder l’histoire comme un processus à double sens d’interaction entre l’homme et son « milieu social », le peuple. Ce que celui-ci donne à un individu, nous le savons déjà. Cependant c’est l’individu qui crée les forces nécessaires pour souder un peuple et garantir sa survie : ce sont la langue, le folklore, l’art, la conscience de son destin historique. Lorsque ce processus à double sens s’interrompt, il se passe la même chose que dans la nature : le milieu se transforme en un désert sans vie et avec lui périt aussi l’individu. Pour parler plus concrètement, Quand l’individu perd tout intérêt pour le travail et les destinées de son pays, la vie devient un poids dénué de sens, la jeunesse cherche une issue à travers des flambées de violence irrationnelle, les hommes deviennent alcooliques ou drogués, les femmes cessent d’engendrer et le peuple se décime…

Telle est l’issue vers laquelle nous entraîne le " Petit Peuple ", qui travaille sans relâche à détruire tout ce qui sert à maintenir l’existence du " Grand Peuple ". C’est pourquoi la création d’une armure spirituelle protectrice est une question de survie nationale. Une telle tâche est à la mesure d’un peuple. Mais il y a une tâche bien plus modeste, et que nous ne pouvons mener à bien qu’individuellement : elle consiste à DIRE LA VERITE, proférer à haute et intelligible voix ce que d’autres ont voulu taire craintivement. "

Igor Chafarévitch*, La Russophobie, traduit du russe par Alexandre Volsky, Editions Chapitre Douze SER, 1993.

 

 

* Mathématicien russe, né en 1923 à Zhitomir. De l'Académie des Sciences de Russie, de l'Académie des Sciences et des Arts des USA, de l'Académie Nationale Américaine des Sciences, de l'Académie Léopoldine d'Allemagne, de l'Académie Nationale Italienne du Lynx, de la British Royal Society of London, ancien rapporteur au Comité des Droits de l'Homme en URSS, Lauréat du Prix Lénine, Lauréat du Prix Heineman.

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