Nicolás Gómez Dávila (1913-1994)
L’écrivain réactionnaire doit se résigner à une célébrité discrète, puisqu’il ne peut plaire aux imbéciles.
Nicolás Gómez Dávila
par Pierre-Olivier Combelles et avec le concours d'un internaute inconnu: article Wikipedia
Nicolás Gómez Dávila (Cajicá, Colombie, le 18 mai 1913 - Bogotá, le 17 mai 1994) était un moraliste colombien.
Biographie
Né dans une famille des élites colombiennes, il passe une partie de sa jeunesse à Paris. Pendant son enfance, en raison d'une grave pneumonie, il doit rester alité pendant deux ans, période pendant laquelle il suit les cours de précepteurs et se prend de passion pour la littérature classique. Plus tard, un accident de polo lui brise les hanches.
De retour en Colombie dans les années 1930, il ne retourne jamais en Europe par la suite, à l'exception d'un séjour de six mois en 1948, en compagnie de son épouse. N'ayant jamais fréquenté l'université, il passe dès lors la plupart de son temps chez lui, où il accumule plus de 30 000 livres dans une impressionnante bibliothèque.
En 1954, un premier ouvrage est publié par son frère : Notas I, une compilation de remarques et d'aphorismes qui resta très largement ignorée dans la mesure où cent exemplaires seulement en avaient été tirés - ils étaient destinés à être offerts à des proches.
Gómez Dávila rédige un petit recueil d'essais, Textos I, qui est publié en 1959 (comme pour Notas I, le deuxième volume n'est jamais paru). Il y développe les concepts de base de son anthropologie philosophique et de sa philosophie de l'histoire, dans un registre de langue très recherché, où abondent les métaphores. C'est dans cet ouvrage qu'il exprime pour la première fois son intention de créer un " mélange réactionnaire ", un système philosophique ne pouvant selon lui rendre compte de la réalité. En 1958, il se voit offrir le poste de premier conseiller du président colombien, mais refuse ; quand on lui propose en 1974 de devenir ambassadeur à Londres, il refuse également. Même s'il appuie le président Alberto Lleras pour avoir renversé la dictature de Rojas Pinilla, il n'exerce jamais aucune fonction politique.
De fait, il critique aussi bien la gauche que la droite politique et les conservateurs, même s'il partage en grande partie le point de vue de ces derniers en raison de ses principes réactionnaires. Il défend une anthropologie sceptique, fondée sur une étude approfondie de Thucydide et de Jacob Burckhardt, ainsi que les structures hiérarchiques qui doivent ordonner la société, l'Église et l'État. Il critique vigoureusement le concept de souveraineté du peuple, qui est pour lui une divinisation de l'homme dénuée de toute légitimité et un rejet de la souveraineté de Dieu. Dans le même ordre d'idées, Gómez Dávila voit dans le concile Vatican II une adaption très problématique de l'Église au monde. Il déplore tout particulièrement la quasi-disparition du rite de saint Pie V célébré en latin, dans la foulée du concile. Comme Juan Donoso Cortés, Gómez Dávila pense que toutes les erreurs politiques résultent en dernier lieu d'erreurs théologiques. C'est précisément pour cette raison que sa pensée peut être considérée comme une forme de théologie politique.
Le libéralisme, la démocratie et le socialisme, sont les principales cibles de la critique acerbe de Gómez Dávila ; il estime en effet que c'est en raison de l'influence de ces idéologies contemporaines que le monde est décadent et corrompu.
Gómez Dávila s'est intéressé à un grand nombre de sujets, principalement des questions d'ordre philosophique ou théologique, mais également littéraire, artistique ou historique. Son style se caractérise par l'emploi de phrases brèves, ou scolies, dans lesquelles il commente le monde qui l'entoure, en particulier dans les cinq volumes de Escolios a un texto implícito (publiés successivement en 1977, 1986, et 1992). Son style se rapproche de celui des moralistes français comme La Rochefoucauld, Pascal, La Bruyère et Rivarol. Il a d'une certaine manière créé une figure littéraire du " réactionnaire ", au travers de laquelle il pense le monde moderne. Dans ses derniers ouvrages, il tente de définir de manière positive ce " réactionnaire " auquel il s'identifie ; il le place au-delà de l'opposition entre droite et gauche politique. Se fondant sur un catholicisme traditionnel influencé, entre autres, par la probité intellectuelle de Nietzsche, Gómez Dávila critique la modernité, son œuvre demeurant pour lui une défense d'une " vérité qui ne périra jamais ".
Il ne s'est jamais montré particulièrement intéressé par la renommée que pouvait acquérir son œuvre. De fait, sa réputation n'a commencé à croître véritablement qu'au début des années 1980, par le biais de traductions en allemand, puis en français et en italien ; les premiers à reconnaître l'intérêt de son œuvre ont été, entre autres, Robert Spaemann, Martin Mosebach, Botho Strauß, Reinhart Maurer, Ernst Jünger, Erik von Kuehnelt-Leddihn, Rolf Schilling, Heiner Müller, Franco Volpi, Asfa-Wossen Asserate, Jean Raspail et Richard Dubreuil.
Note importante: L'ennemie politique de Nicolas Gomez Davila était la démocratie. Le lecteur substituera sans dommage ce terme par celui de "démagogie" ou encore mieux par celui de "ploutocratie". Car réellement, ce XXIe siècle est le règne du Veau d'Or.
Choix de « scolies » par P.O. Combelles
- Les statistiques sont l’instrument de celui qui renonce à comprendre pour manipuler.
- L’intelligence est une race à laquelle n’appartiennent pas toutes les intelligences.
- L’intelligence ne consiste pas à manier des idées intelligentes, mais à manier intelligemment n’importe quelle idée.
- La ferveur du culte que le démocrate rend à l’humanité n’a d’égale que la froideur par laquelle il manifeste son manque de respect pour l’individu. Le réactionnaire, lui, dédaigne l’homme, sans trouver aucun individu méprisable.
- L’absence de vie contemplative fait de la vie active d’une société un grouillement de rats pestilentiels.
- Plus seront complexes les fonctions assumées par l’Etat, plus le sort du citoyen dépendra de fonctionnaires chaque fois plus subalternes.
- L’unique régime politique qui n’incline pas spontanément au despotisme, c’est la féodalité.
- Rien n’attendrit plus le bourgeois que le révolutionnaire d’un pays étranger.
- Le christianisme dépasse toute éthique, parce qu’il ne demande pas d’être sans péchés, mais avides de pardon.
- L’indépendance intellectuelle est aujourd’hui inaccessible à qui choisit une profession libérale. La société moderne déprave l’intelligence qui se donne à elle, fût-ce en location.
- L’historien authentique est un érudit qui écoute la rumeur de l’histoire avec l’imagination d’un enfant.
- La phrase doit émerger de son habillement verbal, pulpeuse, limpide et fraîche, comme une adolescente qui se met nue.
- La ferveur d'une âme noble peut se tromper d'objet sans se tromper de direction.
- Sans latin ni grec, il est possible d'éduquer les mouvements de l'intelligence, mais pas l'intelligence elle-même.
- Comment maintenir une tradition ? - En n'en parlant pas.
- Il n'est pas de vérité que nous n'ayons le droit d'étouffer si elle doit blesser quelqu'un que nous aimons.
- Il n'est jamais trop tard pour rien de vraiment important.
- Le degré de civilisation d'une société se mesure au nombre de gestes usuels de politesse dans la vie quotidienne.
- On est venu à bout des analphabètes, pour multiplier les illettrés.
- Les conservateurs actuels ne sont que des libéraux malmenés par la démocratie
- "La société libre n'est pas celle qui a le droit d'élire ceux qui la gouvernent, mais celle qui élit ceux qui ont le droit de la gouverner."
- "Être aristocrate, c'est se refuser à croire que tout dépend de la volonté."
- Sympathie et antipathie sont les antennes de l'intelligence. L'intelligence étudie les raisons de ce qui la repousse ou l'attire.
- Les pronostics de Marx se sont révélés erronés, ceux de Burke véridique. C'est pourquoi fort peu de gens lisent Burke, et que la plupart des gens vénèrent Marx.
- Prier est le seul acte dont l'efficacité m'inspire une totale confiance.
- La prose de César est la voix même du patriciat: dure, simple, lucide. L'aristocratie n'est pas un ramassis de titres clinquants, mais une voix coupante.
- L'ordre paralyse. Le désordre convulsionne. Inclure un désordre institué dans un ordre qui l'englobe, voilà ce que fut le miracle de la féodalité.
- La modernité tente d'élaborer avec la luxure, la violence et l'infamie l'innocence d'un paradis infernal.
- Le gauchiste ne vilipende que des simulacres de pouvoir.
- Le gauchiste évite avec un tact méticuleux de marcher sur les pieds des véritables puissants.
- Le gauchisme est la bannière sous laquelle la mentalité bourgeoise du XIXe maintient son pouvoir au XXe.
- L'anarchie menaçant une société qui s'avilit n'est pas un châtiment, mais un remède.
- La gauche et la droite ont signé, contre le réactionnaire, un pacte secret d'agression perpétuelle.
- L'église a pu évangéliser la société médiévale parce que c'était une société de pécheurs, mais son avenir n'est pas prometteur dans la société moderne où tous se croient innocents.
- Le suffrage universel ne reconnaît finalement à l'individu qu'un seul droit: celui d'être alternativement oppresseur et opprimé.
- L'Etat moderne réalisera son essence lorsque la police, comme Dieu, sera témoin de tous les actes des hommes.
- Celui qui se respecte ne peut vivre aujourd'hui que dans les interstices de la société.
- Ne pas sentir la putréfaction du monde moderne est un indice de contamination.
- La société libre n'est pas celle qui a le droit d'élire ceux qui la gouvernent, mais celle qui élit ceux qui ont le droit de la gouverner.
- Le bourgeois est à gauche par nature et à droite par pure lâcheté.
- Éduquer les jeunes gens ne consiste pas à les familiariser avec leur époque, mais à faire en sorte qu’ils l’ignorent le plus longtemps possible.
- Chez le contemplatif, et chez lui seul, l'âme ne meurt pas avant le corps.
- L'authentique grandeur, au XXe siècle, est si radicalement individuelle que nous devons nous méfier de ceux qui laissent des successeurs.
- La charité, pour un égalitariste, est un vice féodal.
- Les deux ailes de l’intelligence sont l’érudition et l’amour.
- Le triangle : bourg, château, monastère n’est pas une miniature médiévale, mais un paradigme éternel.
- L’intelligence littéraire est l’intelligence du concret.
- Le génie d’un La Rochefoucauld ou d’un Saint-Simon annule le caractère représentatif de leurs œuvres. Celles d’autres écrivains, en revanche, comme sir William Temple, par exemple, doivent leur intérêt à la classe sociale de leur auteur. Des textes délicieux comme seul en produit un certain style de vie, et dont la pompe discrète éveille la nostalgie d’une existence aisée, noble, silencieuse, fine et ordonnée.
- La postérité n’est pas l‘ensemble des générations futures. C’est un petit groupe d’hommes de goût, bien élevés, érudits, dans chaque génération.
- L’intelligence est spontanément aristocratique, car c’est la faculté de distinguer les différences et de fixer les rangs.
- Les concessions sont les marches de l’échafaud.
- Nous ne devons pas émigrer mais conspirer.
- Le peuple n’est pas nécessairement vulgaire. Pas même dans une démocratie. Par contre, les classes supérieures d’une démocratie le sont nécessairement, parce que si ses membres ne l’étaient pas, ils ne se seraient pas élevés dans une démocratie.
- Les riches ne sont inoffensifs que là où ils sont exposés au dédain d’une aristocratie.
- Tout ce qui peut interrompre une tradition oblige à repartir de l’origine. Et toute origine est sanglante.
- Est cultivé l’homme qui ne fait pas de la culture une profession.
- Le rôle du christianisme dans le monde est la plus grande préoccupation du nouveau théologien. Singulière préoccupation, attendu que le christianisme enseigne que le chrétien n’a pas de rôle à jouer dans le monde.
- Qu’est la philosophie pour le catholique sinon la manière dont son intelligence vit sa foi ?
- La poésie n’a pas de place dans le monde. C’est un flamboiement qui s’infiltre par ses failles.
- Respecter les gens qui nous sont supérieurs est d’abord une preuve de bon goût.
- Le raciste s’exaspère, parce qu’il soupçonne en secret que les races sont égales ; l’anti-raciste aussi, parce qu’en secret, il soupçonne qu’elles ne le sont pas.
- Les journalistes sont les courtisans de la plèbe.
- La concussion démocratique est inexcusable parce qu'elle est hypocrite, sournoise, honteuse. J'aime mieux Vaux-le-Vicomte que les comptes bancaires en Suisse des ministres démocratiques.
- Les guerres intellectuelles ne sont pas gagnées par les armées régulières mais par des francs-tireurs.
- L'individu obéissant à une vocation authentique est réactionnaire. Quelles que soient les opinions qu'il nourrit. Est démocrate celui qui attend du monde la définition de ses objectifs.
- Nous ne blâmons pas le capitalisme parce qu'il fomente l'inégalité, mais pour favoriser l'ascension de types humains inférieurs.
- La féodalité a été fondée sur des sentiments nobles : loyauté, protection, service. Les autres systèmes politiques se fondent sur des sentiments méprisables : égoïsme, convoitise, jalousie, lâcheté.
- La vérité n'est pas relative. Ce sont les opinions sur la vérité qui sont relatives.
- Le pourcentage d’électeurs qui s’abstiennent de voter mesure le degré de liberté concrète dans une démocratie. Là où la liberté est fictive, là où elle est menacée, ce pourcentage tend vers zéro.
- La courtoisie nous donne la faculté de respecter nos interlocuteurs sans avoir besoin de croire à leur importance.
- La décadence d'une littérature commence quand ses lecteurs ne savent pas écrire.
- Toute rébellion contre l'ordre de l'homme est noble, tant qu'elle ne masque pas une rébellion contre l'ordre du monde.
- L’Introduction à la vie dévote de saint François de Sales et les Chroniques de Froissart nous ouvrent à des façons de vivre étrangères à notre époque : la vie comme " dévotion ", la vie comme " prouesse ". Deux façons de sentir la vie comme une exaltation virile et délicieuse, comme un claquement d’oriflammes dans l’aurore.
- Les idéologies ont été inventées pour que celui qui ne pense pas puisse donner son opinion.
- L'opinion publique n'est pas aujourd'hui une somme d'opinions personnelles. Les opinions personnelles sont au contraire l'écho de l'opinion publique.
- Les activités supérieures de l’esprit paraissent toujours parasitaires aux yeux du sot. Le degré de civilisation d’une société se mesure au nombre de parasites qu’elle tolère.
- Quand la patrie n’est pas le territoire des temples et des tombes, mais une simple somme d’intérêts, le patriotisme est déshonorant.
- Au lieu de la noblesse héréditaire, d'abord la ploutocratie bourgeoise, puis la police socialiste. L'histoire nous sert des plats peu ragoûtants, quand nous commandons des réalités à la place des vieilles fictions.
- La plus grande faute du monde moderne n'est pas d'avoir incendié les châteaux, mais d'avoir rasé les chaumières. Ce qu'on voit s'effacer, au fil du XIXe siècle, c'est la dignité des humbles.
- Les musées sont l'invention d'une humanité qui n'a pas de place pour les œuvres d'art, ni dans ses maisons, ni dans sa vie.
- Le Progrès se réduit finalement à voler à l’homme ce qui l’ennoblit, pour lui vendre au rabais ce qui l’avilit.
- Aussi longtemps qu’on ne le prend pas au sérieux, celui qui dit la vérité peut survivre dans une démocratie.
- L’égalitariste considère que la courtoisie est un aveu d’infériorité. Entre égalitaristes, c’est la grossièreté qui marque le rang.
- Le communiste hait le capitalisme par complexe d’Œdipe. Le réactionnaire le considère simplement avec xénophobie.
- Ce que le moderne déteste dans l’Église catholique, c’est son triple héritage : chrétien, romain et hellénique.
- Celui qui réclame l’égalité des chances finit par exiger que l’on pénalise celui qui est doué.
- Si l’on aspire seulement à doter d’un nombre croissant de biens un nombre croissant d’êtres, sans se soucier de la qualité des êtres ni de celle des biens, alors le capitalisme est la solution parfaite.
- Dans les époques aristocratiques, ce qui a de la valeur n’a pas de prix. Dans les époques démocratiques, ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur.
- L’homme ne communique avec son semblable que quand l’un écrit dans sa solitude, et que l’autre le lit dans la sienne. Les conversations sont divertissement, escroquerie, ou escrime.
- Après avoir discrédité la vertu, ce siècle est parvenu à discréditer les vices. Les perversions sont devenues des parcs suburbains que fréquentent en famille les foules dominicales.
- La paresse de l’intellect est bien souvent le seul contrepoids à la démence humaine.
- Notre société tient à avoir des dirigeants élus pour que le hasard de la naissance ou le caprice du monarque ne viennent pas tout à coup livrer le pouvoir à un homme intelligent.
- La démocratie n'est pas tant l'empire des mots que celui des mensonges.
- Nous pouvons dépeindre la décadence d'une société, mais il est impossible de la définir. Comme la folie qui grandit dans un regard.
- Devant les esprits vraiment grands, nous ne nous sentons pas humiliés, mais mystérieusement en accord.
- La littérature ne périt pas parce que personne n’écrit, mais quand tout le monde écrit.
- Les phrases sont des petits cailloux que jette l’écrivain dans l’âme du lecteur. Le diamètre des ondes concentriques dépend des dimensions du bassin.
- La science nous trompe de trois manières : en transformant ses propositions en normes, en divulguant ses résultats plutôt que ses méthodes, en passant sous silence ses limitations épistémologiques.
- Dans la société médiévale la société est l’Etat ; dans la société bourgeoise Etat et société s’affrontent ; dans la société communiste l’Etat est la société.
- Il n’est pas vrai que la valeur des choses soit due à l’importance de la vie. Au contraire, la vie est importante parce que les choses ont une valeur.
- La vérité, c’est le bonheur de l’intelligence.
- Dans une certaine prose française la sécheresse et la passion se combinent en une déflagration admirable.
- La vie de l’intelligence est un dialogue entre la personnalité de l’esprit et l’impersonnalité de la raison.
- Mépriser ou être méprisé, c’est l’alternative plébéienne des relations humaines.
- Penser comme nos contemporains, c’est la recette de la prospérité et de la bêtise.
- La culture n’occupera jamais les loisirs des travailleurs, parce qu’elle est le travail exclusif de l’homme de loisir.
- Eduquer est aujourd’hui une tâche spécialisée et ardue. En revanche, une société hiérarchisée éduque spontanément.
- Les vertus de pauvreté ne fleurissent guère que chez le riche qui se dépouille de ses biens.
- Ecrire serait facile si la même phrase ne paraissait alternativement, selon le jour et l’heure, médiocre ou excellente.
- Entre adversaires intelligents il existe une secrète sympathie, car nous devons tous notre intelligence et nos qualités aux qualités et à l’intelligence de notre ennemi.
- La mort de Dieu est une nouvelle annoncée par le diable, lequel mieux que quiconque sait qu’elle est fausse.
- Seules les éducations austères forment des âmes fines et délicates.
- La tyrannie d’un individu est préférable au despotisme de la loi, parce que le tyran est vulnérable et la loi incorporelle.
- Ce qui était populaire est devenu vulgaire quand le peuple a renoncé à copier naïvement la culture aristocratique pour acheter la culture " populaire " que lui fabrique la bourgeoisie.
- Les jugements injustes d’un homme intelligent sont le plus souvent des vérités drapées dans la mauvaise humeur.
- La loi est l’embryon de la terreur.
- Les préjugés ont ceci de bon, qu’ils préservent des idées stupides.
- Le goût littéraire de la classe dominante ne domina pas parce que la classe et dominante, mais parce que dominer permet de choisir ce qu’il y a de mieux.
- Les hommes se répartissent en deux groupes : ceux qui croient au péché originel et les crétins.
- Sceptique ou catholique : tout le reste se décompose avec le temps.
- Seul est un catholique accompli celui qui élève la cathédrale de son âme sur des cryptes païennes.
- L’historien démocratique enseigne que la démocratie ne tue que parce que ses victimes l’obligent à les tuer.
- L’orgueil nous suffit pour pardonner à qui nous injurie, mais la la charité elle-même n’est pas suffisante pour que nous pardonnions à qui injurie ceux que nous aimons.
- Je ne connais pas de péché qui ne soit, pour une âme noble, son propre châtiment.
(Escolios a un texto implícito, traduit de l'espagnol par Michel Bibard, Anatolia-Editions du Rocher)
2002. Le cynisme n'est pas une marque de subtilité, mais d'impuissance.
2017.L'équivoque de la Révolution française n'est pas l'exception à la règle.
Les révolutionnaires sont seulement les troupes légères qui dégagent le terrain, la bourgeoisie est l'infanterie de ligne qui l'occupe.
On appelle bourgeoisie toute classe révolutionnaire possédante.
1883. Devant les esprits vraiment grands nous ne nous sentons jamais humiliés, mais mystérieusement en accord.
1878. L'homme croit que quelque chose peut durer, parce que, enfant, il voit tout durer.
1862. Un pays industrialisé est un pays où les rivières ne noient pas, mais empoisonnent, celui qui s'y baigne.
1827. Dans quelque société qu'il naisse, l'écrivain est toujours un étranger.
La propriété des instruments de production est la seule garantie de la liberté. Disons, même si c’est excessif : qui n’a pas de terre, n’a pas de liberté (traduction: Philippe Billé)
(107) Prêche-t-on les vérités dans lesquelles on croit, ou les vérités dans lesquelles on croit que l’on doit croire ?
(221) Le premier pas de la sagesse consiste à admettre, avec bonne humeur, que nos idées peuvent très bien n’intéresser personne.
(230) En ce siècle de foules transhumantes qui profanent tout lieu illustre, le seul hommage qu’un pèlerin respectueux puisse rendre à un sanctuaire vénérable est de ne pas le visiter.
(237) Dénigrer le progrès est trop facile. J’aspire à la chaire d’arriération méthodique.
(258) La résistance est inutile quand tout se conjure dans le monde pour détruire ce que nous admirons.
Il nous reste toujours, cependant, une âme intègre pour contempler, pour juger, et pour mépriser.
(352) Une société aristocratique est celle où le désir de la perfection personnelle est l’âme des institutions sociales.
(408) Le journalisme consiste à écrire exclusivement pour les autres.
(432) La civilisation moderne : cette invention d’ingénieur blanc pour roi nègre.
(444) La messe peut être célébrée dans des palais, ou des chaumières, mais pas dans des quartiers résidentiels.
(p 65) La propriété des instruments de production est la seule garantie de la liberté. Disons, même si c’est excessif : qui n’a pas de terre, n’a pas de liberté.
(p 101) L’adolescence obtient sans avoir désiré, la jeunesse désire et obtient, la vieillesse commence par désirer sans obtenir et finit par désirer désirer.
(p 169-170) Ceux qui croient trouver des arguments contre le catholicisme, et contre la religion en général, dans tous ces récits de vies de saints, évidemment malades et proches de certaines formes lugubres de démence, méconnaissent que rien ne justifie mieux la religion que ce singulier pouvoir de faire fructifier ces existences misérables, au lieu de les livrer à la triste stérilité d’un traitement scientifique dans une clinique aseptisée.
(p 172) Percevoir, contempler et connaître sont les degrés du plaisir.
La campagne française
(p 185-186) La campagne française comble de joie l’économiste impénitent. Richesse de la terre, incomparable fécondité du sol, et surtout admirable et minutieuse culture du terrain, qui ne laisse pas se perdre le plus petit recoin.
Ce spectacle m’accable. Malgré la beauté et la diversité dont la nature a doté ces paysages, l’homme a su leur imposer une monotonie énervante.
Les rectangles implacables des différentes cultures se succèdent docilement et s’étendent jusqu’à l’horizon. Les arbres alignés se cachent les uns derrière les autres, à égale distance, et font défiler leurs rangs au passage de l’automobile, avec un geste précis et mécanique de gymnaste. Si, tout à coup, nous trouvons un petit bois, il n’est pas difficile de deviner quel rôle pratique remplit cet apparent morceau de liberté oublié sur un sol soumis. Et les vignobles, les vignobles aux mystiques sarments, qui ont fini par envahir le paysage de leur sévérité industrielle.
Bientôt nous éprouvons le désir d’une pièce de terre stérile et libre, d’une terre préservée du labeur humain.
Cette campagne française fait pitié. Terre soumise et servile.
Nature que l’homme a asservie. Sol dompté, incapable de se révolter, plus semblable à une usine alimentaire qu’à la campagne rustique et sacrée que l’homme habitait jadis.
La richesse de la Pomone mythique se transforme en un immense entrepôt de grains et de légumes. La campagne de France n’est pas un jardin, c’est un potager.
Devant ce gigantesque déploiement d’aliments, je ne rêve que de landes stériles, de pitons glacés, de la tiède forêt de mes rivières andines.
Je ne sais d’où me vient cette répulsion. Sobriété innée, goût d’une certaine austérité janséniste, ou modération inévitable d’un ressortissant de pays pauvre? Ah! vieux terrains marécageux de Port-Royal, friches de Castille, ah! mes âpres collines.
Ce que la campagne française met en évidence, c’est la victoire définitive du paysan.
La tâche entreprise le 4 août 1789 et qu’illuminent de leurs feux symboliques les archives féodales incendiées, est enfin accomplie.
Terre entièrement cultivée, dans ses vallées et sur ses coteaux, sur les rives de ses fleuves, dans les étroits jardins de ses maisons comme dans ses vastes plaines, terre sur laquelle veille un immense amour paysan pour le sol qui le nourrit et le fait vivre. Ces lourdes moissons, ces feuillages lustrés, ces pampres qui préparent les grossesses de l’automne, sont l’effort implacable de millions de vies avides et laborieuses. Des vies qui, du matin au soir, travaillent sans relâche le sol qui enfin leur appartient et que plus rien ne protège de leur convoitise séculaire.
Un immense peuple d’insectes s’est répandu sur le sol de la France. Sa sueur le féconde et l’enrichit.
Ces champs exhalent comme la vapeur de la sueur paysanne.
Sur ces terres lumineuses, sur ces horizons doux et purs, sur la lente et molle courbe de ses collines, sur ce paysage d’intelligence et de grâce, de discrétion et de lucidité, règne une démocratie paysanne.
(209) L’écrivain réactionnaire doit se résigner à une célébrité discrète, puisqu’il ne peut plaire aux imbéciles.
(115) Le barbare ne fait que détruire ; le touriste profane.
(99) Dépeupler et reboiser – première mesure civilisatrice.
(72) Depuis l’invention de la radio, même l’analphabétisme ne protège plus le peuple contre l’invasion des idéaux bourgeois.
(71) Il y a de fausses théologies, mais il n’y a pas de fausses religions.
La piété païenne d’un Xénophon, par exemple, brûle un encens acceptable au vrai Dieu.
(50) La révolution est une possibilité historique permanente.
La révolution n’a pas de causes, mais des occasions dont elle profite.
(46) Ce que l’on a appelé droite, en ce siècle, n’a été qu’un cynisme opposé à l’hypocrisie de la gauche.
(183) La magnificence de la cathédrale gothique cherche à honorer Dieu, la pompe du baroque jésuitique à attirer le public.
(103) Le catholicisme, même pour le non-catholique, est plus qu’une secte chrétienne.
Le catholicisme est la civilisation du christianisme.
(31) Ce que dit le réactionnaire n’intéresse jamais personne.
Ni quand il le dit, car cela semble absurde ; ni au bout de quelques années, car cela semble évident.
(25) Dans les époques aristocratiques, ce qui a de la valeur n’a pas de prix ; dans les époques démocratiques, ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur.
(12) Mourir en exil est la garantie que l’on n’a pas été tout à fait médiocre.
(19) La lecture est une drogue inégalable car elle nous permet d’échapper, plus qu’à la médiocrité de nos vies, à la médiocrité de nos âmes.
Nicolás Gómez Dávila, Extraits de Notas (1954) et de Escolios I (1977) et des tomes 2 et 1 de Nuevos Escolios (1986). Traduction : Philippe Billé.
Source : http://davila.canalblog.com/