antiquite
Régine Pernoud: La religion et les druides chez les peuples celtiques
C'est la religion, en effet, qui, selon l'expression d'Henri Hubert "fait du groupe des peuples celtiques un peuple cohérent". D'un bout à l'autre du monde celtique, depuis l'Irlande jusqu'à la vallée du Danube, jusque chez les Galates d'Asie Mineure, ce sont les mêmes dieux, les mêmes croyances en l'immortalité de l'âme, les mêmes mythes de l'au-delà qui préoccupaient les peuples celtes et créent en eux un lien obscur, mais profond; ils se traduisent par des rites semblables, exaltant la vie que symbolisent les sources, les arbres, le gui toujours vert sur les chênes sacrés. Rites et croyances qui se sont propagés par les druides, à la fois homme de science et hommes de la divinité dont le rôle est multiforme: éducation de la jeunesse, offrande des sacrifices, arbitrages entre les peuples ou tribus, ils sont les devins, les poètes, les magiciens, les prêtres, car religion et poésie ne font qu'un pour eux.
Quel rôle jouent au juste chez eux ces prêtres-poètes que leur peuple honore autant que les Romains leurs rhéteurs, leurs avocats, leurs politiciens ? Impuissant à le définir, César a pu seulement pressentir que leur pouvoir était immense parmi les Gaulois, "les plus religieux des hommes".
Régine Pernoud, "Le conquérant des Gaules", préface aux Commentaires de César sur la Guerre des Gaules, 1961.
Le bassin de Gundestrup, souvent dit « chaudron de Gundestrup », est un récipient datant du Ier siècle av. J.-C.1 retrouvé en 1891 dans une tourbière du Jutland au Danemark. Il est constitué de l'assemblage de 13 plaques d'argent (12 richement décorées par martelage et une concave constituant le socle et le fond), et mesure 42 cm. de haut pour un diamètre de 69 cm. Musée du Danemark à Copenhague.
Etymologie et réalité vivante [de l'ascèse et de l'autarcie], par Julius Evola
Etymologie et réalité vivante par Julius Evola
extrait de « La Stampa », 1943
Source : rigenerazionevola.it / Traduction : Pierre-Antoine Plaquevent pour Strategika
https://strategika.fr/2022/02/05/pour-un-style-de-vie-ascetique-et-autarcique-julius-evola/
Voici un article important de l’écrivain Julius Evola (Giulio Cesare Andrea Evola 1898-1974) publié en Italie dans le journal La Stampa en 1943. De nos jours La Stampa est un organe subventionné du type Le Monde ou Le Figaro d’orientation libérale-centriste-globaliste, organe de référence de la bourgeoisie vaccinale italienne. Dans cet article, paru avec le titre original d’Étymologie et réalité vivante, Julius Evola, dans une période extrêmement particulière, au cœur de la seconde guerre mondiale, rappelle l’étymologie du terme « ascèse » et, corrélativement, du terme « autarcie ». Ici dans son sens classique et non plus strictement économique comme celui qui, dans ces années-là, s’était imposé aussi bien en Italie qu’en Allemagne. Evola propose dans ce texte écrit pour la grande presse de l’époque, une orientation fondamentale de vie et de comportement : discipline intérieure, fortification de la personnalité, calme et clarté d’esprit, contrôle de soi et de ses instincts, de son côté irrationnel et passionnel, refus de s’abandonner à l’impatience, à l’agitation, aux réactions déséquilibrées. Les événements de la vie ne sont pas importants en eux-mêmes, car « ce qui est essentiel, c’est l’attitude qu’on adopte à leur égard, le sens, donc, qu’on leur attribue ». L’approche de la vie et de ses événements doit être active, et pas seulement passive : c’est la conduite de celui qui ne se laisse pas dominer par les événements, mais sait se dresser face à eux comme un homme vraiment « libre », ayant « son propre principe en lui-même, et non dans les autres ou dans l’autre ».
On voit dans ce texte, comment Julius Evola part d’un exemple banal et très concret pour essayer d’élever le grand public à une conception plus haute d’une citoyenneté basée sur la personnalité et l’intériorité. Il a ainsi existé une séquence de temps dans la modernité où de telles considérations purent être portées à la connaissance du grand public, des masses.
A méditer et faire sien en cette période de confusion globale entretenue et de « tout à l’ego » généralisé. Julius Evola nous rappelle qu’il faut toujours chercher à se hisser au-dessus de soi-même et ne pas se laisser aller à subir passivement le cours et le courant des choses. Y compris et surtout en période de guerre. De guerre déclarée comme en 1943 ou de guerre occulte comme aujourd’hui.
P.-A. P.
Le mot « ascétisme » vient du verbe grec askeo, qui signifie « pratiquer », « s’exercer ». Un « ascète », dans son sens étymologique originel, est donc simplement celui qui s’exerce, qui se soumet à une certaine discipline. Sur cette base, on peut concevoir un ascétisme qui n’a pas nécessairement un but religieux ou mystique et qui implique encore moins un renoncement ou un détachement de la vie (NDT : J.Evola était stoïcien et platonicien pas chrétien). L’ascèse peut être toute discipline visant à renforcer la force intérieure de la personnalité, à créer en soi le calme et la clarté, à élaguer autant que possible notre existence de la végétation parasite des réactions erronées, des agitations inutiles, des mouvements irrationnels, de ce qu’Ignace de Loyola appelait inordinatae affectiones. Et la désignation du but du livre principal du créateur de l’Ordre des Jésuites peut aussi se référer à l’ascétisme dans le sens générique maintenant mentionné : « des exercices, afin que l’homme apprenne à se conquérir et à ordonner sa vie, sans se laisser dominer par aucun penchant indiscipliné ».[1]
On peut toutefois se demander pourquoi nous parlons de ces questions dans un journal. C’est que par la force même des choses, pour plus d’un, elles pourraient avoir une valeur actuelle. Aujourd’hui plus que jamais, nous devrions faire nôtre cette maxime de sagesse : les choses et les événements en eux-mêmes ne signifient pas grand-chose, l’essentiel étant l’attitude que nous adoptons à leur égard, le sens que nous leur attribuons. Il existe des cas – plus nombreux qu’on ne le pense – où la force des choses et même de ce qu’on appelle habituellement le destin agit comme ce dompteur qui, bien qu’ayant un cheval qui lui était cher, se trouvait obligé de le fouetter à plusieurs reprises parce que ce dernier ne savait pas encore le comprendre : il exécutait avec diligence toutes les parties d’un exercice, mais s’arrêtait toujours avant la dernière. Ceci alors qu’avec un minimum d’effort, s’il avait compris le langage du dompteur, il aurait pu facilement réaliser la fin de l’exercice. C’est ce qui se passe dans la vie, tant au niveau individuel que collectif : nous recevons des « coups » de toutes parts, sans parvenir finalement à comprendre, à saisir ce sens, qui nous permettrait de surmonter l’épreuve et de la dominer positivement.
Avec cette image, cependant, nous avons peut-être un peu dépassé le domaine que nous entendons traiter. Même la vie quotidienne la plus élémentaire, surtout lorsque les temps ne sont pas faciles, offre de nombreuses opportunités pour une discipline génériquement « ascétique », une fois que l’on a décidé d’être actif, c’est-à-dire de ne pas réagir comme réagissent les choses inanimées, qui dans leur réaction sont en tout point déterminées par les chocs qu’elles reçoivent. Il suffit d’y prêter attention, de se rendre compte du rôle inconcevable et absurde que ces inordinatae affectiones ont dans la vie de chacun, aujourd’hui plus que jamais, au travers des mouvements de l’esprit qui ne servent à rien, qui ne valent que pour user les nerfs et altérer le calme intérieur. C’est par une étrange perversion que l’homme occidental en est venu à considérer ces agitations inutiles comme naturelles et normales, de sorte qu’il ne pense pas le moins du monde à réagir et à les contrer. D’autre part, même à des niveaux plus élevés, en termes de vision du monde, ce qui est exalté par lui comme « action » n’est presque toujours en réalité qu’une agitation désordonnée.
Considérons un cas très banal, mais de nos jours plus fréquent que jamais : le cas de l’impatience. C’est un sentiment aussi « naturel » que vain et irrationnel. En devenant impatients et nerveux, en modifiant notre humeur par de l’irritation et toutes sortes d’imaginations, est-ce que nous faisons en sorte qu’un tram ou un train arrive plus tôt, ou que le nombre de personnes qui attendent avant nous diminue ? Voilà un cas concret pour l’application d’une ascèse simple et quotidienne, pour un dépassement de soi qui doit devenir une habitude. Il faut savoir distinguer clairement les sentiments qui, s’ils sont acceptés, peuvent avoir un effet réel et objectif, des sentiments inutiles qui ne sont que des perturbations irrationnelles, signes d’une âme incapable de résistance intérieure et esclave de ses propres nerfs. Il est certain que si, par une ferme résolution, nous ne nourrissions plus ces impulsions irrationnelles, un certain nombre d’événements fâcheux de la vie d’aujourd’hui changeraient absolument d’aspect et vaudraient pour nous comme autant d’épreuves positives à surmonter. Ces épreuves quotidiennes passeraient non seulement sans avoir empoisonné nos âmes mais bien après lui avoir donné plus de calme et de force.
En Allemagne, une campagne de politesse – Kampf um die Höflichkeit – a récemment été lancée en raison des nombreuses causes d’irritation que présente la vie durant la guerre. Dans les tramways, dans les chemins de fer, dans les magasins, on peut voir des dessins ou des écrits exhortant les gens à être courtois malgré tout. Il s’agit d’un nouveau domaine pour une ascèse simple, pour un subtil dépassement intérieur, dans lequel, on le sait, l’Extrême-Orient est déjà passé maître, parfois jusqu’au paradoxe : le sourire même face à la tragédie extrême et au sacrifice suprême. Cette référence ne doit cependant pas laisser penser que nous n’incitions par-là personne à « s’orientaliser ». Bien au contraire, il suffirait de se référer à l’origine même du terme « courtoisie », qui nous ramène aux cours médiévales et surtout à la chevalerie ; la courtoisie est une vertu du chevalier, de l’homme viril qui, de même qu’il sait se lancer irrésistiblement contre l’adversaire et l’injustice, sait aussi dominer son propre esprit, façonner son propre comportement, réprimer immédiatement tout mouvement désordonné et instinctif.
Être dur avec soi-même, être courtois avec les autres, telle a toujours été la maxime de l’esprit aristocratique, le style de celui qui n’est pas « vulgaire ». Le point important ici serait donc de comprendre qu’il s’agit moins d’une question de considération pour les autres, pour le « prochain », que d’un besoin « ascétique », un besoin de liberté intérieure. L' «autre » pourrait bien être la cause de ma réaction abrupte, mais je ne lui permettrai pas de la provoquer et de me mettre ainsi à sa merci – je serai « courtois » malgré tout. On peut donc pressentir quelle force peut naître d’une telle discipline.
Autarcie : c’est aujourd’hui un mot à la mode et, malheureusement, quelque chose qui naît moins de la vertu que de la nécessité. Ce n’était pas le cas dans le monde antique. Autarcie (autarkeia) signifie étymologiquement : « avoir son propre principe en soi » et ceci, dans l’éthique antique, classique, était une valeur positive. Seul est libre – disaient les anciens – celui qui a son propre principe en lui-même, et non dans les autres ou dans un autre. Au-delà du « Sage », le concept-limite de l’autosuffisance s’incarnait, ainsi, dans la Divinité, comme un « acte pur ». Si l’autarcie aujourd’hui est différente et, comme nous l’avons dit, est avant tout une conséquence de la nécessité, une importante tâche « ascétique » serait précisément celle de transformer cette « nécessité » en « vertu », précisément par un changement d’attitude intérieure. Nous faisons ici référence à l’individu, non aux collectivités et aux États, et surtout au régime des restrictions et des privations en temps de guerre. Un principe très important est le suivant : le poids d’une privation disparaît presque quand elle peut être conçue comme voulue, et non comme imposée.
On pourrait répondre : voulez-vous revenir à la fable du renard qui dit que les raisins qu’il ne peut atteindre ne sont pas mûrs ? Cela dépend. Il faut distinguer entre la jouissance passive des animaux (et de ceux qui se sont réduits à l’état d’animaux) et la jouissance active de ceux qui se maintiennent maîtres d’eux-mêmes. Mais la jouissance active a une clause précise : jouissez de ces choses, dont vous vous êtes prouvé que vous pouvez aussi vous en passer. Tout se réduirait alors à voir dans quelle mesure on a la force de considérer des limitations et des privations survenues dans des circonstances exceptionnelles, et qui ne dureront certainement pas indéfiniment, précisément comme des épreuves : comme des occasions de montrer à soi-même que l’on peut aussi s’en passer. De confirmer, donc, une liberté fondamentale. Une liberté qui se réaffirmera demain dans des limites plus larges encore.
Pour certaines choses – pour certaines conceptions artificielles qui sont devenues les habitudes d’êtres à moitié névrosés – cela devrait être facile. Que l’homme d’aujourd’hui souffre, par exemple, du manque de café ou de tabac, c’est-à-dire de choses que l’humanité entière ignorait jusqu’à il y a quelques siècles, est, si l’on y réfléchit bien, ridicule. Dans d’autres cas, l’épreuve sera plus difficile. Mais la force dont on disposera pour la surmonter sera d’autant plus précieuse. Dans un article précédent, nous avons parlé des traditions selon lesquelles l’expérience même de la guerre peut se transformer en une ascèse au sens supérieur et transfigurant, dès lors qu’une certaine attitude intérieure est présente[2]. Bien que beaucoup plus modestes, des transformations similaires sont également possibles sur le front domestique. Il s’agit de se « mobiliser » intérieurement, de rejeter une habitude de passivité et d’irrationalité. Alors, ce qui apparaîtra à certains comme de l’ennui, des privations et de l’angoisse, sera pour d’autres – les meilleurs – une incitation à se secouer et à se relever.
Julius Evola
[1] Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Traduction du texte espagnol par le Père Pierre Jennesseaux de la Compagnie de Jésus. Numérisation de l’édition de 1913 par le Frère Jérôme, novice de la même Compagnie.
Namur, 2005. http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Exercices_Ignace/exercices.html
[2] Métaphysique de la Guerre, Julius EVOLA https://theatrum-belli.com/metaphysique-de-la-guerre-par-julius-evola/
Anaxagore
Anaxagore
Il était célèbre par sa race et sa richesse, plus encore par sa grandeur d'âme. La preuve en est qu'il fit don de son héritage aux siens. ils lui reprochaient de négliger ses biens; il leur répliqua: "Occupez-vous en donc vous-mêmes." Et il s'en détacha finalement pour s'adonner seulement à l'étude de la nature, sans aucun souci de la politique. Un jour on lui disait: "Tu ne t'intéresses-donc pas à ta patrie ?" Il répondit en montrant le ciel: "Ne blasphème pas, j'ai le plus grand souci de ma patrie."
Diogène Laërce
Anaxagore (/ˌænækˈsæɡərəs/ ; grec : Ἀναξαγόρας, Anaxagóras, « seigneur de l'assemblée » ; vers 500 - vers 428 av. J.-C.) était un philosophe grec présocratique. Né à Clazomènes à une époque où l'Asie mineure était sous le contrôle de l'Empire perse, Anaxagore vint à Athènes. Plus tard, il fut accusé d'impiété et s'exila à Lampsacus.
Le chef, pour Xénophon
(...) A l’Apologie de Socrate et au Banquet s’opposent l’Apologie et le Banquet de Xénophon, au communisme de la République, la vie familiale de l’Économique, à la peinture du tyran dans la République, l’opuscule d’Hiéron, et en général aux dialogues de Platon les Mémorables et beaucoup de passages disséminés dans les œuvres de Xénophon. Mais il n’y a pas d’ouvrage où cette opposition soit plus marquée que dans la Cyropédie. Xénophon et Platon, tous les deux disciples de Socrate, sont comme leur maître, des contempteurs de la démocratie athénienne, qui s’en remet à la fève du choix des magistrats ; mais leur idéal, assez semblable sur certains points, diffère considérablement sur d’autres. Xénophon, attaché à la famille, ne pouvait considérer le communisme de la République que comme une divagation puérile ou perverse, et le gouvernement des philosophes devait d’autant moins lui plaire que cette idée du Bien sur laquelle ils doivent avoir constamment les yeux, Platon ne la définissait point et que, bien qu’il la comparât au soleil, elle restait à l’état de nébuleuse pour ses auditeurs. Cet idéal lui parut certainement trop haut et trop vague, et il essaya d’en proposer un autre qu’il incarna dans la personne du conquérant le plus célèbre qu’on eût vu jusque-là. Il le prend à sa naissance et le conduit jusqu’à sa mort. Nous le voyons agir et l’entendons parler ; sa vie tout entière est un modèle et sa mort même un enseignement. Dès l’enfance il annonce ce qu’il sera plus tard. Les dieux lui ont donné de grandes qualités, la beauté du corps, la bonté de l’âme et l’amour de l’étude et de la gloire au point d’endurer toutes les fatigues et d’affronter tous les dangers pour être loué.
Que ne peut-on attendre d’un enfant ainsi doué ? Il suffit de lui donner une éducation appropriée pour en faire un héros. Xénophon, tout comme Platon, attache à l’éducation une importance capitale. C’est elle, qui, à leurs yeux, décide du destin des individus et des peuples. Or l’éducation qui a paru la meilleure aux yeux de Xénophon est l’éducation spartiate. Cyrus apprend à l’école de ses maîtres à vivre de pain et d’eau et d’une botte de cresson. Il pratique tous les jeux et tous les exercices qui peuvent développer son corps, et il s’applique à devenir, parmi ses camarades, le meilleur coureur, le meilleur cavalier, le meilleur acontiste. Quand il est en âge de commander, convaincu qu’on n’obtient une obéissance volontaire de ses subordonnés qu’en se montrant supérieur à eux, il donne l’exemple de l’endurance, du sang-froid, de la bravoure, il fait voir qu’il connaît à fond la tactique et que, sans commettre lui-même aucune faute, il sait profiter de celles des ennemis. Il est audacieux, mais à bon escient ; il est ménager de ses hommes et ne les expose que lorsqu’il est sûr d’avoir l’avantage. Enfin, et ceci est un trait tout à fait grec, il sait parler et il ne tente aucune opération qu’il n’en ait prouvé l’utilité et montré les chances de succès dans un discours à ses officiers.
La victoire gagnée, il traite les vaincus avec humanité, et, s’il a reconnu en eux des hommes de courage, il sait leur témoigner son admiration et les gagner à son parti. C’est ainsi qu’il s’attache l’armée des Égyptiens, qui seuls s’étaient bravement comportés dans la débâcle de l’armée de Crésus. Admirable dans le commandement, il l’est encore dans toutes les circonstances de la vie par sa tempérance, sa chasteté, sa modération. Il est d’une telle générosité qu’il ne garde rien pour lui ; il aime rendre service et faire plaisir, car il aime être aimé, et il ne néglige rien pour gagner l’affection de ses sujets. Enfin, et ceci prime tout le reste aux yeux de Xénophon, il est pieux, il ne fait rien sans consulter les dieux. Il n’oublie jamais de les prier et de les remercier, persuadé que sans leur aide l’homme est incapable de se conduire et de réussir dans ses entreprises.
Tel est l’idéal du chef tel que le conçoit Xénophon. Cet idéal n’est point fondé, comme celui de Platon, sur les principes d’une métaphysique profonde. Il s’est formé de ses propres expériences dans la Retraite des Dix-Mille et dans la guerre d’Asie où il accompagna Agésilas. Agésilas lui- même lui a fourni beaucoup de traits ; d’autres sont empruntés à Cyrus le Jeune, et d’autres à l’enseignement de Socrate. Quand Cyrus parle et moralise, il n’est que l’interprète des idées morales que Xénophon tient de son maître. Mais les qualités qui ressortent le plus dans l’idéal du chef selon Xénophon sont les qualités du grand capitaine. Le chef de l’État est avant tout un chef d’armée. Dans les cités grecques toujours en guerre, le premier soin de l’homme d’État est d’organiser la défense contre l’ennemi et d’agrandir son propre territoire. C’est à la classe des guerriers que va aussi l’attention de Platon : il consacre à leur formation presque toute la première moitié de son ouvrage. Ce qui distingue ses vues de celles de Xénophon, c’est d’abord qu’il associe les femmes à la guerre, ce que Xénophon se gardera bien de proposer, et c’est ensuite qu’il ne laisse pas le gouvernement entre les mains des guerriers, mais le remet uniquement à ceux d’entre eux qui, véritables philosophes, sont capables d’atteindre par la dialectique jusqu’à l’idée du Bien. Xénophon, homme de guerre plutôt que philosophe, confie au contraire le gouvernement au chef de l’armée qui a la force pour se faire obéir. Le défaut capital de la cité grecque, c’est qu’elle est toujours divisée en deux partis, celui des pauvres et celui des riches. Platon cherche à y ramener l’unité par le communisme des biens, des femmes et des enfants, qui, imposé aux guerriers, doit supprimer toute jalousie à leur égard. Le moyen de Xénophon est plus simple et plus pratique, bien qu’il soit d’une application rare et difficile. C’est la volonté du chef suprême qui établira l’unité. L’État est conçu comme une armée, et tout le talent politique de Cyrus consiste à donner à l’État l’organisation en usage dans l’armée. Quand il voulait mettre ses troupes en mouvement, il faisait connaître ses ordres aux myriarques, qui les faisaient passer aux chiliarques, qui à leur tour les transmettaient aux lochages, qui les faisaient parvenir par les officiers inférieurs dans les rangs des soldats. C’est sur ce modèle que Cyrus, une fois vainqueur des peuples de l’Asie, organise son empire. Les grands de sa cour sont chargés de faire connaître ses volontés ou de gouverner les provinces en son nom. Leur cour est établie sur le modèle de la sienne, et ils se font obéir comme lui, par l’intermédiaire de leurs officiers, des peuples qu’ils ont à gouverner. Pour que ses ordres parviennent plus vite jusqu’aux extrémités de son immense empire, Cyrus institue un service des postes qui fonctionne jour et nuit, et pour s’assurer de l’obéissance exacte des gouverneurs de province, il a des espions de confiance, qu’on appelle les yeux du roi. On le voit, l’idéal de Xénophon, c’est un roi aussi absolu que possible, mais un roi intelligent et bon, supérieur en tout à ceux qu’il commande, et qui ne gouverne que pour le bien de ses sujets. Si élevé que soit cet idéal, il semble plus facile à atteindre que celui de Platon ; il sera même bientôt réalisé en partie par Alexandre, et plus tard par César et par Auguste ; mais la réalisation dure ce que dure le grand homme et périt avec lui. (...)
Pierre Chambry, Notice sur la Cyropédie ou Éducation de Cyrus de Xénophon, traduite par lui.
Épaminondas
"Ce n'est pas la seule perte que nous ayons faite dans les ouvrages de cet historien [Plutarque]. Plusieurs de ses Vies ont été aussi la proie du temps; et dans ce nombre, il y en a deux qu'on ne peut trop regretter: celle d'Aristomène, général des Mésséniens, contre les Spartiates; et celle d'Épaminondas, cet homme extraordinaire, si grand par ses exploits, plus grand encore par ses vertus, qui, au jugement de Cicéron*, fut le premier des Grecs qui suivant le témoignage de Spinthanus mon maître, était l'homme qui savait le plus et qui parlait le moins, plus philosophe encore par sa conduite que par ses principes, qui, ami de la pauvreté par choix, se refusa à tous les moyens qui lui furent offerts de sortit d'un état dont il faisait sa gloire."
Ricard, préface à l'édition de Plutarque, Les Vies des hommes illustres, p. 14.
* Tusculanes, Livre I, chapitre III.