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Mélanie Prochasson: Connaissez-vous l'illménite ?
Illménite: j'ai découvert ce minéral: des cristaux brun foncé à l'éclat métallique, en effectuant en canot une exploration en canot dans l'intérieur de la péninsule du Québec-Labrador, "sur la peau du monde", pendant l'été 1992.
Et voici qu'en relisant mon journal de voyage et faisant une recherche sur ce curieux minéral, j'ai fait une autre découverte: ce poème qui m'est allé droit au coeur... et rappelé le spectacle terrifiant des grandes mines à ciel ouvert que j'ai vues plus tard en Amérique du sud. La destruction pour le profit n'a pas de patrie.
P.O.C.
"Le mot sonne un peu mouillé, même assez doux ne trouvez-vous pas ?
En fait il désigne un minerai dont on utilise souvent les dérivés dans notre quotidien et sans le savoir
C’est normal me direz-vous, car on le déguise
Oui
Grâce à l’action philanthropique de quelques sociétés internationales devenues alchimistes des temps modernes
Maîtresses dans l’art de la transmutation des métaux
On en extrait du dioxyde de titane qu’on utilise sous forme de pigments utilisés dans la peinture
le plastique
le papier
les cosmétiques
les crèmes solaires
le dentifrice…
Une des grandes sociétés qui nous rend cet immense service se nomme
Rio Tinto
Ça sonne un peu rivière rouge ne trouvez-vous pas ?
Un peu comme la pierre rouge de Madagascar
Justement Rio Tinto qui aime beaucoup ce pays s’est installée à Fort Dauphin
Et figurez-vous qu’elle aime à ce point le lieu et ses habitants
Qu’ elle a décidé de lui offrir tous les cadeaux de l’exploitation minière
Dans sa grande mansuétude Rio Tinto n’oublie rien
la politique libérale du progrès
l’appauvrissement des populations
la corruption
le pillage de la terre
les bulldozers ravageurs
la pollution
…
Tout ça pourrait faire une chanson ne trouvez-vous pas ?"
Mélanie Prochasson
Source: "Sur la peau du monde" (quel beau nom !)
https://www.surlapeaudumonde.com/connaissez-vous-lillmenite/
Une série de documentaires magiques sur les Eskimos Netsilik de l'Arctique canadien
Les services cinématographiques américains et canadiens ont réalisé avec Robert Young, Quentin Brown et Kevin Smith dans les années 1960 une merveilleuse série de documentaires filmés (version anglaise et version française) sur la vie des Eskimos/Inuit* Netsilik de l'Arctique canadien. On peut la voir en totalité sur le site de l'Office national du film du Canada et aussi sur Youtube.
Dans son immense territoire maritime et terrestre qu'il parcourait et connaissait pas coeur, héréditairement, l'homme eskimo, chasseur, pêcheur et constructeur, savait tout faire. Il fabriquait son kayak, l'oumiak de la famille, l'arc, les flèches, la lance, les harpons, le tambour magique, les outils, la tente, l'igloo, les écluses à poissons sur les rivières, les caches à nourriture, le traîneau et les harnais pour les chiens, les ustensiles de ménage: lampes et casseroles de stéatite (pierre tendre), etc. Poète, il était aussi prêtre et connaissait aussi par coeur (sa civilisation n'était pas écrite mais orale) l'histoire du monde et de son peuple, les rites, les prières et les chants qui unissent les hommes, et les esprits de la Nature.
La femme avait la lourde de tâche de s'occuper des enfants, de la confection et de l'entretien des vêtements à partir des peaux d'animaux et de la préparation de la nourriture.
L'Eskimo était dépositaire de traditions, de techniques et de savoir-faire immémoriaux, hérités du fond des âges, de ses ancêtres, -de nos ancêtres communs - du Paléolithique, il y a des dizaines et des centaines de milliers d'années.
Il a affronté la vie avec courage, intelligence, abnégation, créativité, humour et gaieté, au prix parfois de lourds sacrifices comme l'infanticide, le suicide des vieillards et plus encore.
Le grand explorateur et ethnographe danois Knud Rasmussen** raconte qu'en 1923, beaucoup d'Eskimos Netsilik n'avaient jamais vu un homme blanc. Ils ont été les derniers Eskimos à être sédentarisés. C'est à partir de cette époque qu'ils ont commencé à utiliser les armes à feu, qu'on ne voit pas dans le film. La réalisation de ces documentaires dans les années 1960 a donc été une sorte de reconstitution avec eux sur les chemins nomades du passé.
Pierre-Olivier Combelles
* Jusque dans les années 1980, on disait depuis des siècles en langue française "Esquimaux", un mot indien qui signifie "mangeurs de viande crue". Il s'est ensuite orthographié 'Eskimo", à l'anglaise. Puis à partir des années 1990, on lui a substitué au nom du politiquement correct le terme "Inuit", qui signifie "homme" en inuktitut, créant ainsi une faille entre la politique d'une part et l'histoire et la culture d'autre part. Knud Rasmussen qui était de père danois blanc et de mère eskimo du Groenland et parlait l'inuktitut, employait le terme eskimo dans ses publications.
** Sur Knud Rasmussen: https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1525/aa.1934.36.4.02a00080
Visionnez les 22 documentaires sur les Netsilik, en version longue, sur le site de l'ONF/NFB:
https://www.nfb.ca/subjects/indigenous-peoples-in-canada-inuit/netsilik/
Sur le site de l'Office du film du Canada, en français, visionnez Tuktu et la chasse aux caribous:
https://www.onf.ca/film/tuktu_et_la_chasse_au_caribou/
Les Netsilik, notice Wikipedia: https://en.wikipedia.org/wiki/Netsilik_Inuit
Un Indien de France
Dans les années 1990, un ami Indien montagnais (on doit dire aujourd'hui, paraît-il, "Innu") d'une des dernières communautés à l'extrémité de la Basse Côte-Nord du Québec me raconta qu'il avait fait un jour un voyage en famille à Québec ou Montréal, à 1500 km au sud-ouest. Le soir, ils vont dans un restaurant. Ils sont attablés lorsqu'ils remarquent que les gens les regardent d'un mauvais oeil et commentent: "ces immigrants..."
Ils ont quitté alors le restaurant, vexés, peinés.
Lorsque ces Montagnais ont visité ensuite un appartement à louer, petit et hors de prix, ils ont trouvé des seringues dans un placard. Ils ont vu que dans les grandes villes, il y avait la violence, la drogue, la prostitution. Consternés, horrifiés, ils se sont empressés de retourner chez eux sur la Basse Côte-Nord, vaste pays de toundra, de forêts, de lacs, de rivières et de mer.
A Montréal comme dans les grandes villes du Canada, on croise maintenant dans les rues une multitude de gens de toutes races.
Ces Québécois blancs, ignorants, avaient naturellement pris ces Indiens Montagnais, ces "autochtones" comme on dit, qui étaient là des milliers d'années avant l'arrivée des Européens au Canada, pour de nouveaux immigrants peut-être asiatiques, hindous ou dont on ne sait où.
Lorsque je me promène dans une ville française, environné de gens de toutes races et de tous pays, un spectacle qui était totalement inconnu et inimaginable il y a cinquante ans, moi dont les ancêtres sont issus de ce pays et ont contribué à le construire et à le défendre, en versant parfois leur sang à la guerre, que vont finir par penser de moi les passants que je croise ? Que je suis aussi un nouvel immigrant, mais différent des autres parce que je suis de race blanche...
Finalement, je ne vois plus de différence entre un Indien du Québec et moi. Je suis devenu un Indien de France.
Pierre-Olivier Combelles
Sur le même sujet:
En esa roja nación de sangre: Poesía indígena de Estados Unidos, par Janet Mc Adams
Et quelque part au monde où le silence éclaire un songe de mélèze ...
"Confortablement allongés au soleil sur la toundra parsemée de conifères prostrés, les Montagnais savourent la viande noire et parfumée, enveloppée de graisse fondante, des jeunes shikaunish*. Tout en mangeant, ils contemplent le spectacle magnifique des îles et de la côte, couleur vert-de-gris, qui s'étend autour d'eux entre le ciel bleu et la mer irisée par une brise légère. Le silence est seulement troublé par les cris des sternes et des goélands et par le bruit lointain du ressac sur des récifs, au large. L'un d'entre eux se lèvera peut-être pour aller ramasser quelques poignées de chicoutés (Rubus chamaemorus L.), juteuses et sucrées à souhait, qu'il partagera avec ses compagnons en guise de dessert. Leur repas terminé, les Montagnais vont allumer une bonne pipe et la fumer béatement tout en discutant et en plaisantant. Puis ils plieront bagage et remonteront dans leur chaloupe, pour continuer la chasse et établir leur campement pour la nuit dans une anse retirée de la côte."
* Guillemot à miroir (Cepphus grylle), un Alcidé.
Pierre-Olivier Combelles. Le voyage de John James Audubon au Labrador (1833) et sa contribution à l'histoire naturelle de la Côte-Nord du Québec. Mémoire de Diplôme d'Etudes Doctorales. Muséum national d'Histoire Naturelle, Laboratoire d'Ethnobiologie-Biogéographie, Paris, 1997.
Rédigé à partir du journal de bord de Pierre-Olivier Combelles (environs de La Romaine, en compagnie du Montagnais Etienne Mollen, sur la Basse Côte-Nord du Québec, le 4 août 1993).
Anilertunga !
"On dit que devenus vieux, se sentant un poids pour les leurs, les loups, les lions, les éléphants et d'autres - tous ceux qui vivent en bande et comptent les uns sur les autres - un beau soir, furtivement, sans mot dire, au détour d'une vallée, se glissent dans l'ombre, s'y enfoncent seuls, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé la nuit... et la mort... En fin d'une journée, à la suite d'une chasse échevelée au cours de laquelle ils avaient été incapables de prendre le relais, ils avaient réalisé que leur présence était devenue un danger à la survie de la bande... et ils s'en étaient allés. Les Esquimaux, je l'ai déjà fait remarquer, font de même. Ils n'attarderont jamais les autres en s'attardant trop longtemps, tels cette vieille Komartak, que le P. Fallaize avait bien un peu prolongée en aidant les siens en cachette. Mais elle s'était aperçue du manège, bien sûr. Et un matin de sauvage tempête de neige, elle quitta l'igloo, et sans hâte aucune, tout naturellement, elle se faufila dehors, non sans sans dire "Anilertunga !" (Je sors un moment). En vérité elle sortait pour un bien long moment, pour toujours. On retrouva sa longue robe de peau accrochée à un rocher autour duquel le vent l'avait enroulée. Elle l'avait enlevée, suivant la coutume, pour que le froid gèle plus vite son sang, arrêtant la vie. Elle aussi s'était rendu compte qu'elle gênait à la communauté.. et "Anilertunga", je m'en vais."
Roger Buliard OMI, Inunuak - Mgr Pierre Fallaize, premier missionnaire et évêque des Esquimaux du cuivre. OPERA, Paris, 1972.
Lire à ce sujet l'admirable récit de Gabrielle Roy: "La rivière sans repos", que m'avait offert l'écrivain et poète québécois Pierre Morency, qui raconte l'histoire d'une vieille Esquimaude du Grand Nord canadien qui, soignée dans un hôpital de Montréal, retourne dans son pays et meurt en se jetant dans la mer, seule.
Sur Gabrielle Roy: http://fr.wikipedia.org/wiki/Gabrielle_Roy