eric de bisschop
A propos de l'annexion peu glorieuse de l'archipel des Marquises en 1842 par la France (Herman Melville, "Taïpi").
Si le sentiment d'amour qui me lie à cet endroit, à ce peuple, à cet homme, à cette femme, etc., est sincère, j'ai pu faire aussi de la poésie. S'il n'est pas sincère, j'ai fait simplement de la littérature.
Pier Paolo Pasolini, à propos de Médée et des Mille et une Nuits (1969).
http://pocombelles.over-blog.com/2020/11/amour-sincerite-poesie-ou-litterature-pasolini.html
Les illustrations ci-dessus sont extraites du passionnant catalogue de l'exposition "Trésors des îles Marquises" réalisée en 1995 sous la direction de Michel Panoff par le Muséum national d'Histoire naturelle, l'ORSTOM (aujourd'hui IRD) et la Réunion des Musées nationaux au Musée de l'Homme du Trocadéro, à Paris.
Il est entièrement disponible en ligne ici:
http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers11-10/42889.pdf
Nuku Hiva sodalane Auteurs : Hermann Ludwig von Löwenstern ou Wilhelm Gottlieb Tilesius Date : 1803/1806. Cette aquarelle montre un guerrier tatoué de Nuku Hiva. Médiathèque historique de Polynésie. https://mediatheque-polynesie.org/nuku-hiva-sodalane-guerrier-de-nuku-hiva-18031806/
"Les Polynésiens étaient essentiellement guerriers. Ils avaient comme armes des frondes, des lances, des casse-têtes, des massues d'un bois très dur, des poignards en os et des haches faites d'une pierre attachée par des cordes à un manche en bois. La fabrication de ces haches devait leur demander beaucoup d'efforts, car ils ne disposaient pour les tailler et les polir que de coquillages et de cailloux. Les indigènes connaissaient aussi l'arc et les flèches, mais sauf aux Gambier et à Pâques, ils ne s'en servaient que pour s'amuser.
Les indigènes savaient élever des fortifications : celles-ci se composaient presque toujours de fossés et de palissades.
Il y en avait d'importantes dans l'île Nuka-Hiva de l'archipel des Marquises, mais les plus formidables se trouvaient dans l'île Rapa-iti dont les sommets étaient couronnés par des forts en pierres sèches à terrasses superposées dominées elles-mêmes par des tours. On en peut voir encore les ruines aujourd'hui.
Les peuplades se faisaient des guerres terribles mais ne se livraient de batailles rangées que pour s'emparer d'une baie : elles l'attaquaient alors par terre et par mer. Les combats d'embuscade, où la ruse jouait le principal rôle, étaient bien plus fréquents. Malheur aux prisonniers! Ils étaient impitoyablement immolés en l'honneur des dieux. Aux îles Marquises ainsi qu'aux Tuamotu, on les mangeait même.
Dans les îles-du-Vent et les îles-sous-le- Vent, le cannibalisme avait disparu au moment de la venue des Européens ; toutefois les captifs étaient égorgés. Lorsque la lutte aboutissait à l'envahissement d'un village, les vainqueurs massacraient les femmes et les enfants, pillaient et brûlaient les cases, abattaient jusqu'aux arbres et ravageaient les campagnes. C'est ainsi que les populations des îles Eiao et Hatutu des Marquises furent exterminées vers 1838 par la tribu des Taï-Pii de la côte nord de Nuka-Hiva. Ces anthropophages dévastèrent tellement ces îles qu'ils n'y laissèrent que des cochons sauvages 1. Maintenant encore, elles sont inhabitées.
Aux Marquises, d'ailleurs, la sauvagerie était devenue si implacable que plusieurs tribus ne pouvaient plus y vivre : ce n'était que guerres perpétuelles, suivies d'exécutions continuelles de prisonniers. Dans certaines vallées, par crainte d'une surprise des tribus ennemies, la moitié des indigènes passait les nuits à veiller pendant que l'autre dormait. On comprend facilement que, dans ces conditions, des tribus faibles aient accueilli avec bienveillance l'arrivée des Français."
Eugène Caillot: Histoire de la Polynésie orientale. Ernest Leroux, Paris, 1910
Keatonui, un chef de Nuku Hiva. Hermann Ludwig von Löwenstern ou Wilhelm Gottlieb Tilesius. https://mediatheque-polynesie.org/langue/russe/
Marquisien de Nuku Hiva se laissant tatouer (1814). Hermann Ludwig von Löwenstern ou Wilhelm Gottlieb Tilesius. Source: https://mediatheque-polynesie.org/langue/russe/
"L'expédition des Marquises avait appareillé de Brest au printemps de 1842, et le secret de sa destination n'était connu que de son seul commandant (NDLR: le vice-amiral Abel Aubert du Petit-Thouars, dont une rue de Lima porte le nom). On ne saurait s'étonner que ceux qui complotaient une si insigne violation des droits de l'humanité aient tenté d'en voiler l'énormité aux yeux du monde. Et pourtant, en dépit de leur conduite inique en cette matière comme en de bien d'autres, les Français se sont toujours targués d'être la plus humaine et la plus civilisée de toutes les nations. D'où l'on peut déduire qu'un haut degré de raffinement ne suffit pas après tout à maîtriser nos mauvais penchants; si on jugeait de la civilisation sur certains de ses résultats, il semblerait peut-être meilleur pour ce qu'il est convenu d'appeler le monde barbare de rester inchangé."
Herman Melville, Taïpi.
Source: Herman Melville: "Taïpi". Traduit de l'anglais par Théo Varlet et Francis Ledoux, Gallimard, collection Folio (1952).
Titre original de l'édition anglaise (1846): Typee - A peep of Polynesian life during a four month's residence in a valley of the Marquesa's with notices of the french occupation of Tahiti and the provisional cession of the Sandwich Islands to Lord Paulet.
Après avoir entendu parler de ce livre pendant de très longues années, j'ai enfin lu Taïpi de Melville. J'avoue qu'il m'a mis mal à l'aise. C'est le récit autobiographique d'un marin qui déserte avec un camarade lors d'une escale de leur baleinier dans l'île de Nuku Hiva aux Marquises et qui trouvent refuge, après maintes péripéties, auprès d'une tribu d'une vallée reculée. Cette tribu a la réputation d'être cannibale. Sauvés de la mort, ils sont séduits par l'hospitalité de ce peuple qui les soigne, les nourrit, les accueille et plus encore, leur propose de faire définitivement partie des leurs par le tatouage, ce que Melville refuse avec horreur. Son camarade s'enfuit et Melville fait de même quelque temps après, rejoignant un bâtiment sur la côte.
Un séjour de trois de trois semaines seulement, mais qui semble beaucoup plus long dans le livre.
La description de cette des Marquises et des mœurs remarquables de ses habitants présente un certain intérêt. On a cependant du mal à faire la part entre la part personnelle et les lectures de l'auteur, qui a certainement du se documenter beaucoup. Melville critique avec perspicacité l'hypocrisie et le caractère nuisible de la civilisation européenne, mais quand il s'agit de rester vivre dans ce Paradis avec ceux qui lui ont sauvé la vie, il refuse au nom de la "liberté", non sans s'être moqué de la coutume du tatouage qu'il juge répugnante et barbare, alors qu'elle symbolise le courage de la personne et son appartenance définitive au groupe.
Melville, sans aucun regret ni aucune reconnaissance, va s'enfuir lâchement et en blessant même gravement un des guerriers qui voulait l'intercepter à la nage dans la pirogue qui le conduit vers le baleinier australien.
Bref, d'admirateur de la culture polynésienne, Melville lui tourne le dos pour retourner vivre dans ce monde occidental qu'il critiquait au départ si vivement. Et pourquoi faire ? Pour aller écrire et vendre aux États-Unis des livres écrits à partir de son expérience, plus ou moins romancée. Bref un négoce, avec la gloire littéraire (et l'argent) à la clé. Taïpi est d'ailleurs dédié "à Lemuel Shaw, président de la Cour Suprême de l'Etat du Massachussets, dont Melville épousera la fille en 1847". https://fr.wikipedia.org/wiki/Taïpi
Personnellement, je trouve cette conduite égoïste et immorale. C'est un triste exemple qu'il donne aux lecteurs.
On trouve la clé de ce surprenant comportement dans l'essai de Roger Garaudy "Les mythes fondateurs de la politique américaine - Qu'est-ce que l'antiaméricanisme", au début duquel il cite cette phrase de Melville : "Nous les Américains, sommes un peuple particulier, un peuple élu, l'Israël de notre temps: nous portons l'arche des libertés." (America as a civilization, p. 893)*.
Melville ne pouvait pas aimer vraiment ni être fidèle à un peuple qu'il méprisait par principe, au fond de lui-même, tout en lui étant très inférieur, sur tous les plans (physiquement, moralement, culturellement).
Garaudy, lui, a vécu, pensé et écrit avec des principes totalement opposés.
Finalement, Taïpi de Melville est un livre de littérateur peu utile pour ceux qui s'intéressent vraiment aux mœurs anciennes des habitants du Pacifique, et qui laisse un goût amer quand on l'a refermé. Mieux vaut se documenter aux sources des vrais marins et explorateurs. Parmi eux, le Journal peu connu du voyage autour du monde de Camille de Roquefeuil à bord de La Bordelaise de 1816 à 1819, qui consacre de nombreuses pages de son livre aux Marquises (Tome I, chapitres VI et VII, décembre 1817). Il est presque certain pour moi que Melville l'a lu, sans le citer. Dans son ouvrage, Roquefeuil consacre un paragraphe très péjoratif aux déserteurs des bateaux occidentaux (extrait ci-dessus). Cela concerne Melville qui avait déserté.
En tous cas, je comprends pourquoi j'ai attendu si longtemps pour le lire.
Melville est un romancier qui fait figure de savant "illuminé" (Moby Dick), mais j'avoue que maintenant, j'éprouve de l'aversion pour lui.
Par ailleurs, je n'idolâtre pas les œuvres artistiques au point de les mettre au-dessus des personnes et des devoirs envers Dieu et la société, et d'une manière générale, au-dessus de la vérité et de la justice. Je n'ai aucun intérêt pour ce qu'on appelle "la littérature". J'aime la vraie beauté.
Pierre-Olivier Combelles
* http://rogergaraudy.blogspot.com/2010/08/les-mythes-fondateurs-de-la-politique.html
Je dédie cet article à mon arrière-grand-père maternel le chef d'escadron de Marine Théodore Louis Emile Steinmetz, fils de François, Louis Steinmetz et de Dame Claire Hunold (Nancy 12 septembre 1859 - Versailles 1940),
Chevalier (30 décembre 1898, à Saint Louis du Sénégal)) puis Officier de la Légion d'honneur (4 mai 1916)
qui servit la France dans les colonies françaises d'Afrique et de Nouvelle-Calédonie
https://www.lhistoire.fr/la-nouvelle-calédonie-«-une-colonisation-pas-comme-les-autres-»
(l'aigle pêcheur est le balbuzard pêcheur, Pandion haliaetus melvillensis, mwämarak en kanak: https://books.openedition.org/sdo/599?lang=fr )
https://www.letemps.ch/culture/laigle-pecheur-sanglote-liliade-peuple-kanak-rendue-aux-siens
https://www.youtube.com/watch?v=RYRTw52Jgm0
https://www.youtube.com/watch?v=q7skkXwuD-8
https://www.youtube.com/watch?v=4DJRcSEkftI
(bambous de voyage gravés kanak) https://journals.openedition.org/jso/6928
catholique pratiquant,
dont l'avancement fut bloqué dans l'Affaire des Fiches en 1905,
d'humeur taciturne semble t-il, et rentré malade des colonies,
excellent officier selon son ami et voisin à Versailles le général comte Colonna de Giovellina,
arrière-grand-père que je n'ai pas connu,
mort dans la demeure familiale du 46 rue Saint-Louis à Versailles où j'ai passé mon enfance et ma jeunesse, un vaste et haut "hôtel particulier" (comme on dit) du XVIIIe siècle, avec cour, jardin, potager, écuries ... totalement opposé aux cases kanak de Nouvelle Calédonie qu'il avait vues sans doute et que j'aime tant car elles ressemblent à la maison idéale que j'ai imaginée.
La maison familiale où je suis né, dans le Quartier Saint Louis à Versailles (en bas à droite de la photo).
Arrière-grand-père dont je ne sais presque rien de la vie outremer en dehors de quelques états de service et strictement rien de ses relations sur place avec les indigènes,
qui n'était certes pas encore né lors de l'expédition de du Petit-Thouars dans le Pacifique,
qui n'avait sans doute jamais lu Herman Melville, Joseph Conrad, Eugène Caillot ou Victor Segalen (auteur des Immémoriaux), la Bhagavad Gita
ni peut-être aucun ouvrage sur l'histoire des peuples du Pacifique (je n'en ai jamais vu le moindre dans les bibliothèques de ma famille),
mais qui avait rapporté de ses voyages des flèches et des armes en bois indigènes, sûrement kanak, qui dormaient oubliées dans le grenier de la maison familiale de Versailles et auxquelles j'allais régulièrement rendre visite lorsque j'étais enfant,
et dont j'ai hérité de l'épée, soigneusement entretenue,
des cantines militaires, dont je me sers toujours,
de l'excellent Dictionnaire de Marine de l'Amiral Willaumez (1831), qui m'a toujours été d'une grande utilité,
et d'une conque marine (triton) dont je vais faire un vrai pūtātara (shanka en Inde) pour converser avec les dieux et les esprits de mes autres ancêtres de part la nature,
et qui voyagea par le monde et vécut sur des terres lointaines avant moi, mais certainement pas comme moi.
R.I.P.
Pierre-Olivier Combelles
Eléments biographiques de Théodore Louis Emile Steinmetz sur la Base Léonore:
Le triton (Charonia tritonis) rapporté du Pacifique par mon arrière-grand-père Emile Steinmetz. Coll. et photo: Pierre-Olivier Combelles.
Le 31 octobre 2019, fête de la Toussaint
Cher arrière-grand-père,
Parmi les objets qui me viennent de vous et que je conserve pieusement, il y a un grand coquillage; une conque, triton ou trompe marine, que vous aviez certainement rapporté de Nouvelle-Calédonie. Il est nu, tel que sorti de la mer et ramassé sur la plage d'une île. Je le garde précieusement avec moi. J'ai scié la pointe pour en faire cet instrument de musique sacré appelé pūtātara dans le Pacifique, pu aux Marquises et pututo dans les Andes du Pérou et de la Bolivie. En Inde, la conque, shankha, est un attribut des dieux. Le son qu'il produit: OM, est le son primordial, originel. Un même objet, un même nom ou presque pour un usage identique, et décoré de la même manière traditionnelle d'un bout à l'autre du Pacifique. Voyez-vous, il symbolise pour moi la parenté des peuples d'Austronésie-Amérique. Il me manque de fabriquer l'embouchure en bois sculpté et de le décorer de pendentifs pour le faire résonner dans les Andes et sur les eaux du Pacifique afin de lui redonner vie en communiquant avec les esprits des ancêtres d'ici et d'ailleurs, avec l'âme du monde.
Pierre-Olivier Combelles
Ecoutez ici le pūtātara: https://www.rnz.co.nz/audio/player?audio_id=2508838
Affiche de ma conférence sur les Peuples du Pacifique au Muséum d'histoire naturelle de Lima (Université nationale majeure de San Marc) en 2012
"La mer, c'est l'espace immense, l'infini, la communion et la composition avec les Eléments: l'eau, le vent, le ciel, les astres et le cosmos la nuit, les phénomènes météorologiques, les innombrables créatures marines. C'est l'aventure et l'exploration, la rencontre avec d'autres navigateurs, d'autres navires, la découverte d'autres contrées, d'autres peuples, d'autres hommes, d'autres moeurs. C'est avant tout la curiosité, la hardiesse, l'amour de la liberté: "Homme libre, toujours tu chériras la mer ! (Baudelaire). Mais la mer, c'est aussi le parfum de la terre que l'on sent au large avant même de l'apercevoir; parfum chaud, épicé, envoûtant, parfum surtout des arbres et des forêts, comme je l'ai senti en Méditerranée au large de la Corse et une nuit de pleine lune orange, devant la côte obscure, sans une lumière de ville, de village ou de phare, du Labrador... La mer, d'une forêt à l'autre... "
PO Combelles.
http://pocombelles.over-blog.com/2017/01/un-parfum-de-foret.html
Je dédie aussi cet article à Dominique Kaiha, de l'île Ua Pou, dans les Marquises, que j'avais rencontré en 1994 au chantier archéologique préhistorique de Pincevent, près de la forêt de Fontainebleau, au bord de la Seine:
http://oceanien.over-blog.fr/tag/sculpture%20aux%20marquises/3
Mais pas au sophiste francophone Alain Finkielkraut qui a déclaré récemment: "on change l'enseignement de l'histoire de la colonisation et l'histoire de l'esclavage dans les écoles. Maintenant, l'enseignement de l'histoire coloniale est exclusivement négatif. Nous n'apprenons plus que le projet colonial a aussi apporté l'éducation, a apporté la civilisation aux sauvages".
https://www.nouvelobs.com/societe/20051123.OBS6303/finkielkraut-les-noirs-et-les-arabes.html
"Sauvages" ? "La civilisation", ah la bonne blague ! comme si la culture française ou occidentale était la seule au monde ! Et d'ailleurs, de quelle civilisation française parle-t-il ? Celle du XIIIe siècle, chansons de geste et amour courtois ? Celle du XVIIe siècle ? Cela m'étonnerait. Celle des "Lumières" et de la Révolution française alors ! quelle ignorance, quel aveuglement et quelle arrogance! Comment ce monsieur a-t-il pu devenir académicien ? Il fait honte à la France, la vraie France, celle de toujours, celle des fleurs de lis et de la droite, vaillante et généreuse noblesse.
ANNEXE
Un correspondant, M. René Doudard, qui a voyagé aux Marquises, m'envoie aimablement ses notes à propos de Taïpi de Melville:
En 1842, le futur auteur de Moby Dick, alors jeune marin en quête d’expériences, débarque aux îles Marquises. Sa rencontre avec une tribu indigène lui inspire son premier succès littéraire, Taïpi.
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Note critique :
Tant que le mythe durera…
A la même période 1844, en Angleterre, Wilkie Collins âgé de 20 ans écrit le manuscrit de « Iolani ou les maléfices de Tahiti » sans avoir jamais mis les pieds en Océanie.
Tant de journaux de bord américains, tant de descriptions et de récits parus aux Etats-Unis bien avant 1840, et longtemps après, tous ces textes ou extraits très probablement publiés dans les journaux du pays car ces récits offraient aux lecteurs une vision quasi de l’au-delà et possiblement ou nécessairement tronquée sur les continents lointains dits exotiques. Il y avait ainsi une source documentaire suffisante pour ceux ou celles qui avaient la faculté ou le talent d’écrire des romans exotiques, ou d’aventure ou de voyage selon la demande des éditeurs.
Toutefois, une bloggeuse passionnée de littérature écrit à propos de « Oomo » un autre livre de Melville :
« Ne se contentant pas de relater les faits dont il se souvient (n’ayant pas pris de notes) et de commenter ses observations, l’auteur remanie et réimagine en effet son expérience dans un récit très documenté mêlant la réalité à la fiction. Il n’hésite pas ainsi à inventer – avec un talent manifeste – des détails, des événements ou des personnages pour corser son récit, et il ne se prive pas, surtout, d’emprunter aux auteurs contemporains de récits de voyages – et dans une moindre mesure aux auteurs de romans d’aventures – pour étoffer son récit et le nourrir de nombreuses digressions informatives lui conférant plus de véracité. Avec aplomb, il présente même souvent ces informations comme résultant de sa propre observation ou provenant de proches sources indigènes ! Mais Herman Melville s’approprie tous ces emprunts avec génie, les transformant de manière très personnelle en une littérature de qualité. La littérature n’est-elle pas en partie l’art du plagiat, un art auquel on reconnaît les grands ? »
Cf. http://l-or-des-livres-
On peut penser que Melville a procédé de la même manière… pour écrire Typee.
Peut-être existe-t-il quelque part une analyse critique de Typee qui ferait l’inventaire de ses emprunts.
Car en effet, Typee n’est « en fait, ni une autobiographie littérale ni une pure fiction ». Melville « s’est inspiré de ses expériences, de son imagination et de nombreux livres de voyage pour faire valoir son savoir-faire lorsque le souvenir de ses expériences était insuffisant ». Il s’est écarté de ce qui s’est réellement passé de plusieurs manières, parfois en prolongeant des incidents factuels, parfois en les fabriquant, et parfois par ce qu’on peut appeler «des mensonges purs».
Le séjour réel d’un mois sur lequel Typee est basé est présenté comme étant quatre mois dans le récit ; Il n’y a pas de lac sur l’île sur laquelle Melville aurait pu faire du canoë avec la belle Fayaway, et la crête que Melville décrit grimper après avoir quitté le navire qu’il a peut-être vu sur une gravure. Il s’est largement inspiré des récits contemporains des explorateurs du Pacifique pour ajouter à ce qui aurait autrement été une simple histoire d’évasion, de capture et de ré-évasion. La plupart des critiques américains ont accepté l’histoire comme authentique, bien qu’elle ait provoqué l’incrédulité chez certains lecteurs britanniques.
En 1939, le professeur d’anglais de l’Université Columbia, Charles Robert Anderson, publia Melville dans les mers du Sud, dans lequel il expliqua que Melville n’avait passé qu’un mois (au lieu des quatre mois déclarés par Melville) et qu’il avait commis de nombreux emprunts à de nombreux récits de voyage.
Si le sentiment d'amour qui me lie à cet endroit, à ce peuple, à cet homme, à cette femme, etc., est sincère, j'ai pu faire aussi de la poésie. S'il n'est pas sincère, j'ai fait simplement de la littérature.Pier Paolo Pasolini, à propos de Médée et des Mille et une Nuits (1969).
Menteur, affabulateur, littérateur immoral en quête de renommée imméritée et d'argent, voilà ce qu'est Hermann Melville.
P.O.C.
Et avant l'annexion peu glorieuse des Marquises par la France, voici l'origine de sa découverte par les Espagnols, plus précisément par un vice-roi du Pérou, dont elles portent le titre. Ceci est raconté par le grand marin français méconnu Eric de Bisschop, dont la valeur est trop grande pour être comprise par mes contemporains et célébrée par la France. C'est la fameuse parabole asiatique de la grenouille de puits et la grenouille de mer.
Parti de Tahiti le 8 novembre 1956 à bord de son radeau Tahiti Nui pour rejoindre les côtes d'Amérique du sud, Bisschop gagna le Chili, puis à bord de Tahiti Nui II, navigua jusqu'au Pérou et au port du Callao, d'où était parti Mendana cinq siècles plus tôt, il prit le cap le 13 avril 1958 vers la Polynésie où il arriva sur les récifs de Rakahanga dans les îles Cook et mourut le 30 août 1958.