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Le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

jean herbert

Râmakrishna: Mâyâ

18 Octobre 2024 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Bharat, #Mâyâ, #Inde, #Hindouisme, #Religion, #Râmakrishna, #Spiritualité, #Jean Herbert

Râmakrishna: Mâyâ
Râmakrishna: Mâyâ
Râmakrishna: Mâyâ
Râmakrishna: Mâyâ
(Glossaire)

(Glossaire)

Jean Herbert: L'enseignement de Râmakrishna. Albin Michel, Coll. Spiritualités vivantes, Paris, 1942.

Râmakrishna: Mâyâ
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Râmakrishna: La nature d'enfant de Dieu

2 Octobre 2024 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Bharat, #Jean Herbert, #Inde, #Râmakrishna, #Hindouisme, #Spiritualité

Râmakrishna: La nature d'enfant de Dieu

1421.- Lorsqu'on a réalisé Dieu, on a une nature d'enfant. On se rapproche de la nature de l'être sur lequel on médite. On, la nature de Dieu est semblable à celle d'un enfant. De même qu'un enfant n'est lié par aucune qualité, Dieu est au-delà des trois gunas. C'est pourquoi les paramahamsas s'entourent d'enfants, afin de prendre la même nature qu'eux.

Râmakrishna

Guna: Nom des trois modes de l'énergie, des trois qualités premières (sattva, rajas, tamas) dont la combinaison crée la nature multiforme.

Paramahamsa: Nom donné à de très grands sages, littéralement "Cygne suprême".

Jean Herbert: L'enseignement de Râmakrishna. Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, Paris, 1942.

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Jean Herbert: Le rôle de la spiritualité dans le monde moderne

26 Septembre 2024 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Bouddhisme, #Catholicisme, #Christianisme, #Hindouisme, #Islam, #Jean Herbert, #Religion, #Sri Aurobindo, #Râmakrishna, #Spiritualité, #Sikhisme, #Taoïsme, #Shintoïsme

Jean Herbert ((1897-1980)

Jean Herbert ((1897-1980)

(Extrait de La Tolérance, colloque Swâmi Vivekananda. Edition Etre Libre 1963)

Texte intégral de la conférence donnée au Palais des Beaux-arts à l’occasion du Centenaire Vivekânanda.

Depuis bien des années déjà, et avec une insistance croissante, des personnes beaucoup plus qualifiées que moi, dans tous les milieux, nous mettent en garde contre le danger mortel auquel l’humanité est exposée du fait d’un déséquilibre toujours plus accentué entre le progrès matériel, scientifique, technique, d’une part, et la stagnation morale, pour ne pas dire le recul moral, d’autre part.

On en a longuement élucidé les causes et dépeint les effets. Bien des vérités ainsi dégagées sont devenues des lieux communs. Il n’est que d’en tenir compte, si nous voulons survivre honorablement. Mon propos n’est pas de les répéter ici.

Ce que je voudrais faire avec vous, c’est essayer de dégager quelques grandes lignes de l’évolution qui s’opère actuellement en fait dans l’attitude de l’humanité envers les problèmes religieux et spirituels, ou, en termes plus vastes, envers ce qui détourne l’homme du souci de ses intérêts exclusivement matériels et immédiats. Au moment où la plus haute autorité de la communauté chrétienne la plus importante envisage, avec tout le sérieux qu’exige la gravité des problèmes soulevés, d’éventuelles réformes dans divers domaines, il peut ne pas être inopportun d’élargir un peu le champ de l’étude pour voir les tendances qui se manifestent dans le reste du monde, leurs origines, leur nature, leurs buts, leurs effets.

Dans un monde qui a toujours été en évolution, il serait surprenant que l’attitude de l’homme envers les problèmes religieux et spirituels soit restée constante.

Les théologiens de toutes les grandes confessions envisagent cette évolution de façon assez simpliste. Pour à peu près toutes les religions, qu’il s’agisse de celles réputées nées avec le peuple qui les pratique, comme le Judaïsme, l’Hindouisme, le Shintô, ou de celles qui ont un fondateur, comme le Bouddhisme, le Christianisme, l’Islam, il existe en effet une Vérité, complète et définitive, qui a jadis été révélée à un peuple ou à un homme, et qui ne souffre aucune discussion, qui n’est susceptible d’aucune amélioration.

Sur le plan théorique, il n’y a qu’à la confesser; sur le plan pratique, il suffit de l’appliquer. Et tous ceux qui ne sont pas au sein de cette religion particulière sont ou bien en dehors du peuple élu, c’est-à-dire des hommes de seconde zone, s’il s’agit de religions nées avec le peuple, ou bien, s’il s’agit de religions révélées, des incroyants. Dans le premier cas, il n’y a pas évolution. Dans le second, il y a passage brutal de l’erreur à la Vérité, avec cette réserve toutefois que l’erreur peut comporter des degrés différents, et que l’on peut aussi retomber de la Vérité dans l’erreur.

Pour l’historien de la vie religieuse, le problème se présente différemment. Pour lui, il y a, dans chaque groupe humain, des périodes de religiosité intense et des périodes de désaffection à l’égard de la religion. De ce point de vue, il est courant de dire du monde moderne que Dieu y tient de moins en moins de place, que les valeurs spirituelles y sont en baisse, et que le matérialisme gagne. C’est un fait qu’avec les révolutions successives de 1793 et de 1917, avec les conceptions nouvelles de nos savants, avec notre souci croissant du confort matériel, le Christianisme, par exemple, a perdu depuis deux siècles un terrain considérable et ne l’a pas compensé par des acquisitions nouvelles. C’est un fait aussi que le Bouddhisme et le Taoïsme ont très probablement essuyé un échec tragique en Chine.

C’est un fait encore que, sous l’influence envahissante du matérialisme occidental, des éléments importants de l’élite, dans la plupart des autres pays, marquent une certaine désaffection à l’égard de leur propre religion. Vue sous cet aspect, l’évolution actuelle aurait donc un caractère nettement régressif.

II y a cependant d’autres manières d’envisager les choses. Celle en particulier que nous révèlent, dans l’Inde, la fois la tradition et l’observation directe.

Quant à la tradition, elle veut qu’à l’origine les textes sacrés fondamentaux, les Védas, aient comporté 100.000 versets, mais qu’au début de chacun des âges par lesquels passe l’humanité, ils aient dû être abrégés et simplifiés pour être mis à la portée de la faculté réduite qu’avaient les hommes d’appréhender les vérités spirituelles. Plus récemment, à un stade où la vérification par les textes nous est possible, nous voyons que l’on est passé successivement de la simple invocation ayant une valeur magique, les Védas, à des sortes de paraboles hermétiques, les Upanishad, à des techniques, les yogas, à des mythes longuement détaillés dans les Purânas et finalement à des exposés philosophiques discursifs. Il s’agirait donc d’un processus de mentalisation progressive de l’humanité, en particulier dans son attitude envers les problèmes religieux.

Lorsqu’on constate le rôle décisif que notre civilisation occidentale moderne attribue à la raison, maintenant seule habilitée à discriminer entre le vrai et le faux, le bien et le mal, l’utile et le nuisible, on est fort enclin à penser que nous sommes parvenus à un stade de mentalisation extrêmement poussée, qui explique en partie le rôle plus effacé que notre société accorde à la religion et à la spiritualité.

Deux autres facteurs essentiels ont sans nul doute joué: d’abord les possibilités d’élévation toujours plus rapide de notre niveau de vie sur le plan matériel, ce qui nous soumet à des tentations sans précédent dans l’histoire de l’humanité, et ensuite un sentiment croissant de solidarité sociale, dont ce n’est pas ici le lieu d’analyser les causes.

Voyons comment les différents milieux préoccupés de religion et de spiritualité ont réagi à ces changements, et ont tenté une relance.

Et d’abord les religions depuis longtemps établies.

D’une part, il s’est constitué ou consolidé des groupes farouchement conservateurs, qui nient toute nécessité d’évoluer et qui n’admettent aucun compromis. Nous en voyons un exemple frappant dans certains groupes juifs qui font actuellement beaucoup parler d’eux en Israël — dans certains groupes chrétiens, comme les Témoins de Jéhovah, les Adventistes du septième jour, qui, de ce fait, entrent parfois en conflit avec les gouvernements des divers pays — dans certaines sectes musulmanes qui, en Arabie Saoudite, en Mauritanie, au Pakistan, détiennent le pouvoir temporel, soumettent la société à des règles traditionnelles, et se refusent à séparer la religion de la politique, sans beaucoup se soucier des conséquences qui peuvent en résulter.

« Il n’est pas vrai de dire, » — écrivait récemment Sir Mohamed Iqbal, l’inspirateur du Pakistan moderne, — « … que l’Eglise et l’État sont deux aspects de la même chose; 1’Islam constitue une seule réalité… ». En 1896, les musulmans ont encore converti à la pointe de l’épée l’importante population des Kafirs d’Afghanistan quelque cent mille âmes !

D’autre part, il s’est constitué au sein de ces grandes familles religieuses des groupes numériquement plus importants qui, sans s’écarter de leurs dogmes fondamentaux et sans pouvoir être taxés d’hérésie ou d’hétérodoxie, admettent la nécessité d’une évolution pour que leur religion reste adaptée à la vie moderne et y conserve une place aussi prééminente que possible. C’est évidemment la position qu’a adopté le Concile du Vatican actuellement en cours. C’est ce que font aussi dans l’Inde les néo-védântistes, dans l’Asie du Sud-Est les néo-bouddhistes, au Japon les néo-shintoïstes.

En dehors même de leur travail intérieur, la plupart de ces groupes se livrent à une œuvre de prosélytisme intense et souvent agressif. Les bouddhistes engagent des actions missionnaires énergiques en Europe et en Amérique, les chrétiens et les musulmans en Afrique et en Asie. D’autres encore, dont nous parlerons plus tard.

Il en est résulté un certain nombre de conversions d’une religion à une autre. Quel que soit le profit qu’en aient retiré individuellement les intéressés, il faut reconnaître que sur le plan de la société dans son ensemble, les conséquences n’en ont pas été heureuses.

Dans les rares cas de conversion massive de toute une population, conversions que dans les temps modernes seul l’Islam a réussies, la religion nouvelle a dû s’adapter dans une mesure considérable et assimiler une large mesure des coutumes et croyances de celle à laquelle elle se substituait. Et le résultat a pu en être satisfaisant.

Mais dans tous les autres cas, où seule une petite minorité a été convertie, la situation de celle-ci est souvent tragique. Déracinée de ses traditions, isolée et suspecte dans son propre pays, conduite comme tous les récents convertis à une intransigeance sauvage et agressive, elle constitue dans son milieu un dangereux élément de discorde, et souvent même de lutte fratricide, qui n’est nullement créateur : l’estime pour la religion nouvelle.

Par ailleurs, des sortes de coalitions sont tentées entre les grandes religions pour faire front contre l’athéisme, ou même contre les religions moins puissantes. Le mouvement abramique, qui groupe juifs, chrétiens et musulmans, n’en est qu’un exemple.

Enfin, nous assistons actuellement, en Occident, en islam, en Orient, à un véritable pullulement de sectes nouvelles, dont certaines déjà extrêmement puissantes, qui ou bien prétendent rester dans le cadre de leur religion d’origine, quitte à y être anathémisées par les groupes plus traditionnels, ou bien prétendent opérer une synthèse de plusieurs religions déjà existantes, ou bien même prétendent innover complètement.

Voyons s’il est possible de dégager certains caractères communs à ces divers mouvements modernes.
Je crois d’abord que l’on peut noter une certaine désaffection à l’égard des problèmes purement théologiques. Si ceux-ci, chez les chrétiens, n’ont sans doute jamais intéressé qu’un petit nombre de spécialistes, ils ont pendant de nombreux siècles passionné l’Inde, le Tibet, l’Islam, au point d’y fournir des sujets de conversation courante, souvent fort animée. On peut dire qu’un peu partout les divergences d’ordre purement dogmatique entre les sectes passent à l’arrière-plan des préoccupations religieuses. Même dans les sectes nouvelles, comme le Tenri japonais, qui ont une théologie extrêmement détaillée et doctrinaire, les adeptes les plus fidèles s’en soucient en réalité fort peu.

Comme ces querelles étaient beaucoup plus créatrices de frictions et d’animosité que source d’inspiration, on ne peut que s’en féliciter, sur le plan pratique tout au moins.

Une autre transformation qui affecte sans doute beaucoup plus les masses est une désaffection à l’égard du mythe et un oubli du symbolisme.

Jusqu’à une époque toute récente, le mythe est resté un des principaux moyens d’enseignement religieux. Non seulement il retient l’attention et frappe l’imagination mieux que les meilleurs films de cinéma, mais la multiplicité de ses interprétations légitimes permet de l’appliquer à tous les domaines de la pensée, du sentiment et de l’action. Si dans le Christianisme, qui n’est doté que d’une mythologie très pauvre — d’ailleurs presque totalement empruntée au Judaïsme — il a occupé une place plus restreinte que dans les autres religions, l’abondante hagiographie catholique et orthodoxe y a largement suppléé. Or, notre souci croissant de rationalisme étroit nous interdit de concilier la croyance au mythe avec les théories actuelles de la science occidentale. Et comme c’est à ces dernières que l’Occident, et à sa remorque, bien qu’avec un certain retard, tout le reste de l’humanité, accorde une confiance de plus en plus aveugle, les hommes rejettent les mythes.

Cette tendance est encore accentuée par les exégèses dites historiques auxquelles on soumet maintenant les textes les plus sacrés, leur retirant ainsi toute valeur spirituelle. Chez nous, j’en citerai seulement pour preuves certaine traduction récente de la Bible, par ailleurs fort intéressante, dans laquelle on attribue à quelques-unes des plus belles paraboles du Livre de Daniel la valeur de récits historiques présentés frauduleusement sous forme de prophétie.

Plus frappante encore est l’interprétation historique que nos savants donnent actuellement, dans les Ecritures sacrées orientales, aux mythes présentant la lutte des Forces du Bien contre les Forces du Mal. Dans l’Inde les dieux sont devenus les Aryens et les démons les Dravidiens. Et de même en Perse, au Japon et ailleurs.

Les mêmes raisons n’expliquent sans doute pas pourquoi les hommes ont pratiquement oublié le symbolisme religieux. Parmi les gens qui assistent à une messe catholique, combien savent encore ce que représentent les divers éléments architecturaux d’une église, les vêtements sacerdotaux, les déplacements du prêtre officiant, etc.? L’exemple le plus frappant que j’aie rencontré de cette perte du sens symbolique se situe au Japon. Les prêtres shintoïstes, lorsqu’ils sont en costume sacerdotal, portent un sceptre shaku, dont la position est minutieusement fixée pour toutes les circonstances. Le symbolisme de ce sceptre est remarquablement riche : la courbe de sa partie supérieure, qui représente le ciel, doit reproduire la courbe du crâne du prêtre particulier qui l’utilise, la courbe de la partie inférieure, qui représente la terre, doit reproduire la courbe du talon du même prêtre, et le prêtre doit le fabriquer de ses propres mains. Le shaku symbolise donc à la fois l’union entre le ciel et la terre et l’identité entre le macrocosme et le microcosme. Or, aujourd’hui, il est extrêmement difficile de trouver des prêtres qui en aient connaissance. C’est dans un grand magasin qu’ils commandent leurs shaku, faits en série, et lorsque ceux-ci se cassent, on les jette et on en commande d’autres…

En compensation, pourrait-on dire, en contrepartie de cette perte du mythe et du symbole, on doit relever les efforts faits dans certaines religions pour prouver que les auteurs des textes les plus sacrés connaissaient déjà ce qui a fait l’objet des découvertes les plus récentes de notre science. Ce sont sans doute les néo-bouddhistes qui ont témoigné dans ce sens de la plus grande activité et aussi de la plus grande ingéniosité. Ils démontrent avec volubilité que les théories de nos physiciens d’avant-garde étaient déjà parfaitement familières aux disciples du Bouddha d’il y a 2.500 ans. Et il ne manque pas d’hindous pour nous expliquer que dans le Râmayâna, il est fait expressément mention de l’utilisation des avions.

Moins téméraires, mais sans doute plus instructifs peuvent être les rapprochements entre les Ecritures sacrées des divers peuples et le domaine dans lequel s’engage notre toute jeune science de la psychologie, car les anciens, et plus particulièrement les Hindous de l’antiquité en savaient probablement beaucoup plus long que nous sur la psychologie individuelle et collective, et plus encore sur ce que mon regretté collègue et ami, le Professeur Charles Baudouin, appelait la psychagogie. Le Professeur Jung s’est engagé dans cette voie, mais ce n’est, espérons-le, qu’une première ébauche d’une recherche sérieuse. Et il faut souhaiter que cette interprétation, à la fois légitime et fructueuse, des textes sacrés, ne nous fasse pas oublier qu’ils comportent aussi d’autres interprétations tout aussi légitimes et peut-être également fructueuses.

Quoi qu’il en soit, le rejet du mythe et l’oubli du symbole que nous constatons actuellement, à des degrés divers, un peu partout dans le monde constituent une lourde perte.
Parallèlement à cela, nous sommes aussi témoins d’un sérieux relâchement des disciplines. Je n’ai pas besoin de citer les tendances qui se font jour dans ce sens au sein du monde catholique, et dont certaines ont obtenu la sanction des plus hautes autorités, ou semblent en voie de l’obtenir dans un avenir prévisible.

Dans de nombreuses communautés de l’Islam, on boit ouvertement de l’alcool, en dépit des strictes règles coraniques. Dans l’Afrique noire, récemment convertie à l’Islam, la tendance s’accentue de renoncer aux sévères cérémonies initiatiques — cérémonies auxquelles, soit dit en passant, nombre de psychiatres européens accordent actuellement une grande valeur pour assurer l’équilibre intérieur de l’individu. Et ce qui les remplace n’est guère plus que la répétition plus ou moins automatique des cinq prières quotidiennes rituelles.

Dans l’Hindouisme, l’interdiction faite aux moines et aux brahmanes de quitter le sol sacré de l’Inde est tombée en complète désuétude, le végétarisme enjoint aux hautes castes est enfreint de plus en plus ouvertement. Sous l’influence du réformisme outrancier que pratique le Gouvernement Nehru, toute la structure morale qui avait pour fondement le système des castes (qui constitue un élément essentiel de l’hindouisme) s’effrite rapidement.

Dans toute l’Asie d’outre-Islam, les pèlerinages traditionnels, bien qu’ils soient de plus en plus fréquentés, en raison notamment de l’amélioration dans les moyens de transport, prennent une allure de plus en plus touristique et de moins en moins dévotionnelle.

Au Japon, les périodes de purification auxquelles doivent se soumettre prêtres et laïcs avant les cérémonies religieuses s’abrègent rapidement. Celles qui duraient un mois sont fréquemment ramenées à une semaine, celles d’une semaine à une journée, etc.

Mais, ce qui est encore plus caractéristique, c’est le peu d’exigences dont témoignent, à l’égard de leurs membres, les sectes nouvelles qui obtiennent le plus grand succès.

Pour prendre encore des exemples au Japon, dans le Byakkô-koseikai, fondé il y a peu d’années, et qui compte déjà plus d’un million de membres, dont une élite intellectuelle et religieuse considérable, le seul devoir des fidèles consiste à répéter, d’un cœur léger et sans effort, une prière spéciale pour la paix en battant des mains d’une certaine façon, de manière à créer une « lumière blanche » qui chasse tout le mal. Le Seïcho-no-ye, fondé il y a trente ans, et qui compte déjà trois millions de membres, n’impose en fait à ses fidèles aucune discipline particulière. Le Tenri-kyô, fondé vers la fin du siècle dernier, et qui a déjà acquis une très grande puissance économique et même politique, donne pour but suprême la joie dans la vie; les services divins y sont appelés services gais — et par conséquent rédempteurs. Le but de la cérémonie la plus typique, je cite « … est non seulement de reproduire la joie de la Création, joie à laquelle nous aspirons, mais aussi d’invoquer la protection de Dieu notre parent en chantant les louanges de Sa grâce illimitée… ».

Parallèlement à ce relâchement des disciplines, nous constatons dans certains secteurs — il est vrai assez limités — des recrudescences de la dévotion émotive. C’est sans doute dans ce cadre qu’il faut envisager, au sein du catholicisme, le développement rapide du culte marial, de celui adressé au Sacré-Cœur de Jésus, etc.

Cette dévotion revêt une forme particulière dans nombre de sectes nouvelles, un peu partout dans le monde. Les fondateurs de ces sectes sont le plus souvent réputés avoir eu des rapports directs et intimes avec la Divinité et aussi avoir reçu des révélations, et il est par conséquent normal qu’ils soient, à des degrés certes fort divers, l’objet d’une vénération qui fait parfois plus que frôler l’adoration, sinon la déification.

En Occident, dans des groupes tels que la Science Chrétienne, la Société Théosophique, les Anthroposophes, il est déjà extrêmement rare de trouver des études, si braves soient-elles, où ne soient citées les paroles inspirées du fondateur, tout comme il doit arriver bien rarement qu’un prédicateur chrétien ne cite pas quelques passages des Evangiles.

En Asie et en Afrique, les choses vont beaucoup plus loin.

En Afrique, les sectes musulmanes récentes voient dans le chef de la secte, presque toujours un descendant du fondateur, une sorte de prophète infaillible, à qui est due une obéissance absolue. J’ai assisté récemment au Sénégal à la fête annuelle de la grande confrérie — toute récente — des Mourides, et le chef du gouvernement, entouré des plus hautes personnalités du pays, se comportait envers lui au moins comme des catholiques envers le pape.

Dans l’Inde, des temples leur sont élevés et on leur attribue facilement une naissance miraculeuse; on les incorpore dans la liste des avatars de Vishnou. Parfois même, comme dans le cas de Râmakrishna, on estime que c’est encore insuffisant : ses disciples zélés expliquent que les trois plus grandes incarnations divines dans l’histoire du monde sont le Bouddha, le Christ et Râmakrishna lui-même et qu’ils éclipsent tous les autres.

Cette dévotion émotionnelle, qu’elle soit dirigée vers Dieu ou vers un homme considéré comme un messager de Dieu, constitue évidemment un facteur non négligeable de développement spirituel, et il est intéressant de voir que, selon Râmakrishna, je le cite : « … Pour cet âge de fer, ce qui convient le mieux, c’est la communion avec Dieu par l’amour, la dévotion et l’abandon de soi ».

Néanmoins, dans l’ensemble, ce qui semble le caractère le plus important de la tendance spirituelle à notre époque, c’est que nous nous intéressons moins à Dieu et davantage à notre prochain.

Cette évolution est en quelque sorte régulière et périodique dans l’Inde. On y voit à toutes les époques et de nos jours encore surgir de grands sages, là où on les attend le moins, et ils créent autour d’eux des foyers d’intense spiritualité, tournés exclusivement vers Dieu et dans lesquels on semble se désintéresser totalement des problèmes de ce monde. Mais dès la mort du maître, l’orientation change rapidement. Ses disciples, tout en conservant un souci très vif de la vie spirituelle, se préoccupent toujours davantage de son application pratique dans la société humaine. Moins de quarante ans après sa mort, les disciples de l’étonnant mystique que fut Râmakrishna se consacraient presqu’entièrement à la création d’écoles, de foyers d’étudiants, de dispensaires et d’hôpitaux, jouaient un rôle considérable dans les secours aux sinistrés après les grandes catastrophes, etc. A peine l’étonnant yogin et philosophe que fut Shrî Aurobindo était-il mort que son ashram devenait avant tout un centre universitaire. Si l’on veut trouver des foyers de pure spiritualité, il faut en trouver qui soient encore tout neufs.

Mais ce que nous voyons de nos jours dans le monde entier, ce n’est pas une transformation en quelque sorte cyclique et fragmentaire, c’est une évolution massive sans grand espoir de retour. L’amour du prochain, la philanthropie, la solidarité humaine au sein de groupes plus ou moins nombreux passent au premier plan. La moralité prend le pas sur la spiritualité.

Elle s’y est à peu près entièrement substituée dans le monde communiste. Dans l’Inde, le disciple le plus fidèle et le plus authentique de Gandhi, Vinoba, s’occupe de réformes agraires. Au Japon, les parcs qui entourent les temples shintoïstes sont utilisés comme terrains de jeux pour les enfants, et un groupe important et influent de jeunes grands-prêtres s’oriente vers une action sociale intense dans les domaines de l’éducation, de l’agriculture, de la vie familiale.

Ce qui d’ailleurs est parfaitement conforme à l’enseignement de Jésus et de Saint Paul.

C’est également en rapport avec ce souci de solidarité sociale que se situe l’injonction faite aux membres des divers groupes religieux de travailler activement dans l’intérêt du prochain. Une des principales injonctions des Mourides sénégalais est « Qui travaille prie ».

Ce souci du bonheur du prochain sur cette terre s’accompagne malheureusement, chez la plupart de nos contemporains, d’un souci encore plus vif de leur propre bonheur. Vivekânanda disait déjà qu’il ne pouvait guère apprécier un Dieu qui lui offrirait un fauteuil dans le Ciel mais ne pouvait pas lui fournir un strapontin sur cette terre. C’est maintenant l’attraction principale qu’offrent le plus souvent les sectes nouvelles, soit au sein des anciennes religions, soit en dehors d’elles, et c’est une des raisons principales de leur succès.

Par ailleurs, comme je le rappelais au début, l’accès plus facile et plus généralisé au confort matériel crée pour un nombre croissant d’hommes et de femmes une forte tentation d’en jouir intensément pendant qu’il dure et de ne plus guère penser à autre chose, aux rapports avec le Divin, à ce qui se passera après la mort et ainsi de suite. En sens diamétralement opposé opère cependant la terreur que nous inspirent les découvertes récentes de la science et les conséquences qu’elles peuvent entraîner pour nous dès un avenir fort proche. Il en résulte une perte de confiance, sinon en la valeur abstraite de l’intellect, du moins en l’utilisation de plus en plus exclusive qu’en fait le monde occidental moderne. C’est cette méfiance seule qui peut expliquer la vague actuelle de certaines sectes comme le Bouddhisme Zen sous sa forme japonaise, où l’on enseigne moins à dépasser le mental, comme le font tous les mystiques, qu’à le rejeter purement et simplement. En tous cas, cette terreur dont nous sommes saisis contribue puissamment à ramener les hommes à leur religion traditionnelle. Et en fin de compte cet attrait pour les jouissances qu’apporte le progrès matériel et les dangers dont nous menace ce même progrès s’équilibrent-ils peut-être en ce moment dans une certaine mesure.

Une des formes que prend fréquemment l’appât matériel tendu par les religions nouvelles est l’offre de guérison matérielle, soit dans le domaine de la santé physique, soit dans celui des rapports humains, soit même dans celui de la réussite professionnelle ou financière.

Certains groupes, comme la Science Chrétienne, vont jusqu’à voir dans cette harmonie de la vie matérielle une sorte de critérium d’authenticité de la vie spirituelle. La plupart des autres groupes, il faut le reconnaître, n’y voient qu’une conséquence.

Dans les groupes chrétiens qui vivent de façon si intense, si passionnée, chez les nègres d’Amérique, que ce soit au Sud des Etats-Unis ou au Brésil, la guérison des maladies par la prière et les incantations est presque une affaire de routine.

Disons en passant qu’en Afrique et en Asie, les guérisons physiques opérées dans le cadre du catholicisme, à Lourdes par exemple, ne se sont jamais heurtées au scepticisme qui les a accueillies dans beaucoup de milieux occidentaux, scientifiques ou autres. Ce dont on a été surpris, en ce qui concerne Lourdes tout au moins, c’est qu’elles ne portent que sur une proportion aussi infime des pèlerins.

En dehors de la chrétienté, ces guérisons ont toujours été admises comme normales, mais maintenant elles passent de plus en plus au premier plan.

Au Japon, le Kurozumi-kyô, qui date du XIXe siècle, en fait un article de foi; le Seicho-no-ie, dont nous avons déjà parlé, comporte dans sa brève profession de foi la phrase suivante : « Nous triomphons de toutes les souffrances et de toutes les peines de l’humanité, y compris la maladie ». On pourrait multiplier les exemples à l’infini.

Sur un plan plus doctrinal et d’application pratique moins immédiate, il est remarquable de constater que la plupart des sectes nouvelles, en dehors naturellement du Christianisme toujours exclusif, s’efforcent de réaliser une synthèse entre plusieurs conceptions religieuses antérieures et prétendent y être parvenues.

Dans certains pays, comme l’Inde, cette tendance était déjà fort marquée, mais restait essentiellement dans le sein de l’Hindouisme. En Extrême-Orient, on constatait un autre phénomène, c’est que chaque individu pratiquait volontiers plusieurs religions simultanément, sans que cela créât aucun problème : Bouddhisme et Shintô au Japon, Bouddhisme, Taôisme et Confucianisme en Chine et dans l’Asie du Sud-Est, avec un mélange de Chamanisme un peu partout. Mais il ne s’agissait que d’une juxtaposition, même en Chine, bien que certains éminents orientalistes aient pu grouper sous le nom unique d’Universisme chinois, les diverses religions qui florissaient dans ce pays. Chaque religion conservait malgré tout pour l’individu son caractère propre, ses propres temples, ses propres rites, son propre clergé. Les cas de véritable synthèse étaient rares et n’étaient l’apanage que de groupe; relativement peu nombreux. Comme cas typique, on peut probablement citer, en Islam, les Nusaïri du Liban, les Alaouites de Syrie, les Druses, dans l’Inde quelques petites tribus. Dans le passé, le seul exemple important que je connaisse de véritable synthèse et fusion entre deux religions différentes est celui des Sikhs.

Depuis un siècle environ, ces exemples se multiplient de façon étonnante. En Islam, le fondateur de la puissante et toujours plus nombreuse secte des Ahmadiyyas, Mirzâ Ghulâm Ahmad, mort en 1908, se donnait à la fois comme successeur de Mahomet, réincarnation du Christ et avatar de Vishnou. De son côté le Bahaïsme, né à la fin du XIXe siècle, se présente comme l’aboutissement et le complément nécessaire de toutes les anciennes croyances. Et je crois bien que certains disciples d’Inayat Khan ne seraient pas loin d’en dire autant de l’enseignement qu’ils suivent.

Dans l’Inde, la Société théosophique présente une synthèse de toutes les grandes religions, y compris celles qui sont mortes depuis de nombreux siècles.

Au Viêtnam, le Caodaïsme, autour duquel se rassemble une partie considérable de la population, groupe dans son enseignement les techniques de l’extase chamanique, le culte des esprits, le Confucianisme, le Taoïsme, le Bouddhisme et le Catholicisme.

En Chine, nous trouvons toute une série de sectes pour la plupart nées aux environs de 1915 ou 1920, le T’ungshan She, « Société de la Bonté », qui adore simultanément Confucius, Lao-Tse et le Bouddha; le Tao Yuan, « Société de la Voie » et l’Ikouan Tao, « Voie de l’Unité toute pénétrante », qui y ajoutent encore les symboles chrétiens et musulmans, le Wu-shan She, « Société pour l’intuition du bien », qui y surajoute encore le Judaïsme, etc.

En Corée, le Tong-hak, né il y a un siècle, et qui prit une importance telle que le gouvernement crut devoir se livrer contre lui à d’impitoyables persécutions, fait une synthèse du Confucianisme, du Bouddhisme et du Taoïsme.

Au Japon, depuis longtemps déjà, le Ryôbu-Shintô mêlait inextricablement Bouddhisme et Shintô, le Ritôshiuchi Shintô et le Mito-gaku faisaient une synthèse du Shintô et du Confucianisme, en rejetant le Bouddhisme. Plusieurs sectes importantes, comme le Yoshida Shintô, le Shin-gaku, le Suiga Shintô fondaient les trois religions en une seule. C’est cette dernière tendance que l’on retrouve chez les principales sectes récentes, qui y mêlent volontiers encore certains aspects du Christianisme, comme la Science Chrétienne, et aussi la psychanalyse, la biologie, etc.

On pourrait naturellement s’attendre à ce que cette puissante vague de syncrétisme aboutit dans la pratique à une tolérance toujours croissante, et à ce que les sectes nouvelles résultant de ces synthèses entretinssent non seulement entre elles, mais avec les religions plus anciennes qu’elles ont assimilées, des rapports de la plus cordiale fraternité. Malheureusement, il n’en est rien. Et à la réflexion cela se comprend. D’une part, chacune de ces sectes a conscience d’avoir réussi ce qui n’avait jamais été effectué dans l’histoire du monde, de s’être élevée au-dessus du sectarisme étroit qui avant elle séparait et opposait artificiellement les églises, et il ne peut en résulter qu’un complexe de supériorité à l’égard de tout ce qui les a précédées. Quant aux autres sectes engagées sur la même voie, elles constituent les concurrents les plus redoutables dans la clientèle à laquelle elles s’adressent.

Et chacune se livre volontiers à un prosélytisme effréné. « Quiconque sauve autrui est lui-même sauvé », proclame le Tenri-kyô japonais, et il est bien clair que pour lui sauver est synonyme de convertir.

On se trouve donc dans cette situation paradoxale où plus une secte récente prétend par son enseignement à une synthèse universelle, plus elle se montre intolérante envers les autres groupes religieux, anciens ou modernes.

Enfin, dans les religions qui jusqu’ici non seulement ne faisaient aucun prosélytisme, mais même refusaient d’admettre de nouveaux convertis, comme l’Hindouisme et le Shinto, on voit maintenant paraître des mouvements à prétention mondiale. Alors que naguère on ne pouvait être hindou que si l’on était né dans une des castes de l’Inde, le néo-védântisme, qu’apportent en Occident des moines de l’ordre de Râmakrishna et d’autres encore, prétend coiffer toutes les autres religions, et autour de ses missionnaires, les fidèles se groupent nombreux, qui récitent des prières hindoues, pratiquent des rites hindous, s’inspirent des Ecritures Sacrées de l’Inde. Au Japon, où les rapports de famille entre dieux et hommes de la terre japonaise forment l’essentiel du Shintô, et où l’on ne peut donc pas être shintôiste si l’on n’est pas japonais, il existe maintenant un néo-shintôisme, parfois appelé Kotonarisme, qui prétend à une universalité mondiale.

Comment pourrait-on résumer toutes ces constatations?

Dans l’ensemble, et sauf de notables exceptions, l’homme religieux semble maintenant moins préoccupé d’adorer Dieu et plus soucieux de secourir son prochain. D’autre part, la plus grande liberté de pensée assurée par la diffusion de l’enseignement et ce que l’on appelle les moyens de communication de masse, font qu’un nombre croissant d’hommes ne trouvent plus dans les religions traditionnelles sous leur forme orthodoxe et classique, la nourriture exacte dont ils ont besoin et qu’ils puissent assimiler; c’est la raison principale du pullulement actuel des nouvelles sectes. Enfin le rapprochement rapide des peuples qu’opère la facilité des communications permet des confrontations beaucoup plus fréquentes et massives qu’elles ne l’étaient naguère, et crée ainsi un besoin nouveau.

Les « Parlements des Religions » ou d’autres rencontres parées d’un titre moins pompeux mais visant au même but, toutes ces rencontres provoquées sous n’importe quel prétexte, et qui ne sont d’ailleurs pas inutiles, font apparaître le caractère accessoire des oppositions doctrinales et créent chez ceux qui les suivent un désir de synthèse. Mais chaque groupe fait son propre cocktail et se sent parfaitement certain de détenir la seule recette valable, ce qui finalement crée peut-être plus d’antagonisme que ces synthèses n’en estompent.

Faut-il donc dire qu’il y a progrès ou régression ? Là, je crois qu’il appartient à chacun de nous de donner la réponse. Dans l’évolution complexe, profonde, rapide à laquelle nous assistons actuellement, certains aspects sont heureux d’un certain point de vue, et d’autres regrettables. Mais les points de vue, heureusement, diffèrent selon les observateurs.

Lorsqu’autrefois je faisais des conférences aux Etats-Unis, on me faisait grief de ne pas les terminer en disant à mon auditoire ce qu’il devait penser et croire. En Europe, nous tenons heureusement au privilège de former, chacun pour soi, nos propres conclusions. J’espère donc que vous ne m’en voudrez pas si je termine sur un point d’interrogation.

Jean Herbert

Source: https://www.revue3emillenaire.com/blog/le-role-de-la-spiritualite-dans-le-monde-moderne-par-jean-herbert/

Jean Herbert naît à Paris le 27 juin 1897 d'un père protestant et d'une mère catholique.
Il se détourne cependant de cet héritage chrétien pour s'intéresser aux philosophies orientales.
Après un premier intérêt pour le Bouddhisme, c'est une rencontre avec Shrî Aurobindo, maître hindouiste, qui lui révèle une voie qui répond à ses attentes spirituelles et qui marque le début d'une nouvelle orientation dans sa vie et sa carrière.
Il développe dès lors une connaissance approfondie de l'Hindouisme et de la pensée orientale.
Jean Herbert mène ainsi de front diverses activités, toutes vouées cependant à une meilleure connaissance de l'homme et à faciliter la communication entre les être humains. Interprète à la Société des Nations, notamment, traducteur des œuvres de grands maîtres de la sagesse orientale, auteur de nombreux ouvrages sur l'Hindouisme ("Spiritualité hindoue"), mais aussi sur le Japon et sur l'Asie, Jean Herbert a apporté un éclairage nouveau sur la pensée orientale en Occident.
Il décède le 21 août 1980 à Genève.

[D'après: Josette Herbert, "Un auteur et son œuvre: Jean Herbert (1897-1980)", in Les carnets du yoga, no 5, mai 1979, pp. 2-15, url: http://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/un-auteur-et-son-oeuvre-jean-herbert-1897-1980/

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Râmakrishna: Il faut se tenir à l'écart des méchants

18 Septembre 2024 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Bharat, #Hindouisme, #Inde, #Jean Herbert, #Religion, #Râmakrishna, #Spiritualité

51.- Il est bien vrai que Dieu réside même dans le tigre, mais nous ne devons pas pour cela nous jeter au cou de l'animal et le serrer sur notre coeur. Ainsi il est vrai que Dieu existe même dans les méchants, mais il n'est pas recommandable de les fréquenter.

52.- Il est dit dans les Écritures sacrées que l'eau est Dieu en personne. Mais il y a certaines eaux dont on peut se servir pour le culte, d'autres qui sont bonnes seulement à laver le linge ou la vaisselle, d'autres encore avec lesquelles on peut se laver la figure et les mains après les repas, et qu'on ne doit ni boire, ni employer sur l'autel. De même, il y a des hommes bons et méchants, des adorateurs de Dieu et des hommes qui n'aiment pas Dieu. Il est vrai que Dieu habite le coeur de tous les hommes, mais on ne peut pas fréquenter les méchants, ni ceux qui n'aiment pas Dieu. nous ne pouvons pas avoir avec eux des rapports étroits. Il y a des gens à qui l'on peut tout juste dire bonjour, de loin, et il y en a d'autres avec qui même cela n'est pas possible. Il faut se tenir à l'écart de ces gens-là.

Râmakrishna

Jean Herbert: L'enseignement de Râmakrishna. Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, Paris, 1942.

Râmakrishna: Il faut se tenir à l'écart des méchants
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Jean Herbert: Entretien avec Jean Varenne

18 Septembre 2024 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Bharat, #Inde, #Asie, #Japon, #Jean Herbert, #Hindouisme, #Râmakrishna, #Religion, #Shintoïsme, #Spiritualité, #Sri Aurobindo, #Bouddhisme zen

Jean Herbert (1897-1980)

Jean Herbert (1897-1980)

Jean Herbert: Entretien avec Jean Varenne

(Revue Question DE. No 6. 1er Trimestre 1975)

Depuis plus de trente ans, Jean Herbert se consacre à la rédaction d’ouvrages qui visent à mieux faire connaître l’hindouisme aux Occidentaux et tout particulièrement aux Français. Son maître livre, Spiritualité hindoue, reste irremplaçable comme introduction à cet univers spirituel dont le prestige même est, souvent chez nous, facteur de méconnaissance. Si on le complète par son Introduction à l’Asie où la spécificité hindoue se trouve intégrée au reste de l’Asie, on a en main un trousseau de clés permettant d’ouvrir toutes les portes de ce qu’il est convenu d’appeler la Sagesse orientale. D’autres ont certes œuvré dans la même direction, mais ce qui fait l’originalité de Jean Herbert, c’est qu’il a toujours voulu présenter l’Inde (et l’Asie) vivante : c’est le spiritualisme hindou contemporain qu’il présente par priorité, même s’il le replace dans le développement de la Tradition. C’est pourquoi il est aussi connu comme directeur de la célèbre collection « Spiritualités vivantes », chez Albin Michel, où il a donné la parole aux maîtres modernes, de Râmakrishna à Aurobindo en passant par Râmdâs et Ananda Moyî. C’est lui qui a « révélé » le zen aux Français en traduisant, avec René Daumal et d’autres, les Essais sur le bouddhisme zen, de D.T. Suzuki, dont l’impact fut considérable. Il est enfin celui qui a donné accès au monde fermé du shintô japonais grâce à des ouvrages comme Les dieux nationaux du Japon ou Aux sources du Japon : le shintô.

Jean Varenne. Le public français vous connaît non seulement comme auteur de livres à succès sur les spiritualités asiatiques, mais aussi comme directeur d’importantes collections vouées à l’édition en notre langue de maîtres contemporains, principalement hindous. Qu’est-ce qui vous a conduit à ce genre d’activité ?

Jean Herbert. C’est essentiellement parce que j’ai été frappé par le fait que les élites spirituelles d’Orient et d’Occident ne se connaissaient pas du tout au début de ce siècle. A cette époque, les Orientaux ne se doutaient même pas qu’il y avait en Occident une spiritualité quelconque, et les Occidentaux, les chrétiens en particulier, n’imaginaient pas qu’il pût en exister une en dehors du christianisme, sauf ce qu’il était convenu d’appeler avec condescendance les « mystiques naturelles ». Quant à moi, ayant découvert à travers certains livres de Romain Rolland qu’il y avait des grands maîtres de spiritualité dans certains pays d’Orient, et en particulier en Inde, j’ai pensé que ce serait une œuvre utile que de les faire connaître à l’élite occidentale et c’est pour cela que je me suis mis à publier leurs œuvres dès que j’ai eu les moyens de le faire.

J. V. En dehors de la lecture de Romain Rolland, des circonstances particulières vous ont-elles permis de connaître directement de telles œuvres ?

J. H. Eh bien, c’est tout à fait accidentellement que je suis arrivé en Inde au cours d’un voyage qui me ramenait d’Extrême-Orient en Occident. J’ai été orienté, sans savoir pourquoi (mais le hasard n’existe pas), sur l’âshram du Shrî Aurobindo. Avant d’y arriver, je n’avais même jamais entendu son nom et donc ne savais pas du tout qui il était. Or j’ai rencontré en lui un homme qui m’a passionnément intéressé et dont les œuvres m’ont paru et me paraissent encore de première importance dans le mouvement spirituel contemporain. A cette époque, j’avais déjà eu accès aux œuvres de Râmakrishna et de Vivekânanda. Il y avait là tout un ensemble qu’il m’a semblé urgent de faire connaître directement, c’est-à-dire en laissant la parole à ces maîtres eux-mêmes.

J. V. Avez-vous pu rencontrer d’autres maîtres qu’Aurobindo ?

J. H. Oui. J ai eu le privilège invraisemblable de pouvoir m’asseoir non seulement aux pieds de Shrî Aurobindo, comme je viens de vous le dire, mais également de Râmana Maharshi, du Swami Râmdâs et de Ma Ananda Moyî, et d’autres encore qui ont bien voulu m’accueillir et me communiquer leur enseignement soit oralement, soit en m’autorisant à traduire leurs œuvres.

J. V. N’êtes-vous pas également responsable de l’introduction en France du bouddhisme zen, puisque c’est vous qui y avez fait connaître l’œuvre de Suzuki ?

J. H. Là encore il y a quelque chose d’apparemment fortuit à l’origine puisqu’il s’agissait d’une simple commande qui m’avait été faite. Pourtant, à lire Suzuki je me suis rendu compte qu’il y avait là une autre source d’enrichissement extraordinaire, même sur le plan intellectuel. Mais je vous avouerai que je ne me doutais pas à l’époque que ce travail pourrait conduire un jour à la formation de groupes d’Occidentaux tentant de pratiquer en Europe les techniques du zen et du za-zen. Je dois dire d’ailleurs que par Suzuki j’ai été conduit à m’interroger sur le bouddhisme en général, ce qui m’a permis de constater que cette discipline présentait des aspects très divers dans le monde contemporain, un peu à la façon du christianisme qui diffère tant chez les calvinistes que chez les orthodoxes ou les catholiques, par exemple. C’est pourquoi je n’ai pas voulu m’en tenir au zen et j’ai publié quelques œuvres relevant des bouddhismes birman, chinois ou cinghalais, afin surtout de permettre aux Occidentaux de comprendre que le zen, sous sa forme japonaise, n’est pas tout le bouddhisme, loin de là. Soit dit en passant, cela m’a valu les critiques que vous imaginez, car le public souhaite instinctivement pouvoir vous étiqueter une fois pour toutes : ayant publié, avec des préfaces sympathiques, Aurobindo ou Râmakrishna, j’étais sûrement converti à l’hindouisme !

J. V. Puisque vous mentionnez cette équivoque autour de votre nom, permettez-moi de vous demander si vous pensez qu’il est bon que des Occidentaux pratiquent telle ou telle discipline orientale.

J. H. Mon opinion est formelle à cet égard et elle est négative. J’adopte entièrement sur ce point l’attitude de Gandhi qui s’opposait absolument à toute conversion religieuse. Il peut, certes, y avoir des cas exceptionnels où une conversion à l’hindouisme, à l’islam ou au christianisme se justifie, mais cela ne peut rester justement que l’exception qui confirme la règle. Pour ma part, le fait de communier spirituellement avec Shrî Aurobindo ou Râmana Maharshi ne m’a pas empêché de continuer à me considérer personnellement comme chrétien. Tout au contraire, il faut chercher dans l’étude des spiritualités ou des religions orientales un approfondissement de la religion dans laquelle on est né ou des conceptions philosophiques et spirituelles auxquelles on adhérait avant d’avoir commencé cette étude. Ce n’est pas parce que l’on pratique le hatha-yoga que l’on doit se convertir à l’hindouisme et je pense qu’une discipline comme le zen peut être adoptée par des chrétiens sans inconvénient.

J. V. Ainsi donc vous pensez que pratiquer le yoga ou le zen peut apporter quelque chose à l’Occidental moderne ?

J. H. Vous savez bien que les gens qui pratiquent de telles disciplines se comptent par dizaines de milliers dans l’Europe actuelle, et j’en connais beaucoup qui en ont été profondément enrichis non seulement sur le plan physique, mais également sur les plans intellectuel, philosophique et spirituel. Mais, sincèrement, je ne pense pas que ce soit une raison pour faire abstraction de ce qui constitue notre atavisme culturel. La richesse de nos traditions est telle qu’elle se compare sans difficulté à ce qu’offre l’Orient. Y renoncer, c’est-à-dire renoncer à ce trésor que nous avons reçu par notre éducation et qui constitue notre milieu culturel serait une perte irrémédiable. Il y a lieu, en ce domaine comme en tant d’autres, non pas de repartir de zéro, mais d’apprendre à utiliser (et le yoga ou le zen peuvent nous y aider) ce que nous avons reçu pendant nos années de formation et de l’approfondir, de l’enrichir.

 

Ouvrages principaux de Jean Herbert Aux éditions Albin Michel

L'enseignement de Râmakrishna (1942)

Aux sources du Japon, le shintô.
Les dieux nationaux du Japon.
Introduction à l’Asie.
La mythologie hindoue, son message.
Spiritualité hindoue.
Le yoga de Shri Aurobindo.
Le yoga de l’amour.
Le bouddhisme en Asie au XXe siècle (Tartas).
Ce que Gandhi a vraiment dit (Stock).

Maîtres spirituels hindous édités par Jean Herbert

Citons, entre autres (tous chez Albin Michel, collection Spiritualités vivantes ») :

Shrî Aurobindo : la Vie divine (4 volumes).
Râmana Maharshi : Enseignement.
Gandhi : Lettres à l’ashram.
Vivekânanda : Entretiens et causeries.
Ma Ananda Moyî : Enseignement.
Râmdâs : Carnets de pèlerinage.
Râmakrishna : Enseignement.

Source: http://www.revue3emillenaire.com/blog/questions-a-jean-herbert-lintroducteur-en-france-de-lhindouisme-par-jean-varenne/

Jean Herbert: Entretien avec Jean Varenne
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Un auteur et son œuvre : Jean Herbert (1897-1980) par Josette Herbert

18 Septembre 2024 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Inde, #Hindouisme, #Jean Herbert, #Religion, #Spiritualité, #Sri Aurobindo, #Râmakrishna, #Bouddhisme, #Shintoïsme

"L’attrait exercé sur Jean Herbert par l’Hindouisme réside dans le fait que l’Hindouisme est une religion qui n’a pas de dogme. Elle admet n’importe quelle croyance et c’est précisément cette diversité qui implique une tolérance illimitée et plus qu’une tolérance, un respect pour les opinions d’autrui. Sur le plan des idées, l’Hindouisme propose, écrit-il:
1) Une conception du monde à la fois plus complète et plus cohérente que celles, souvent contradictoires, que nous apportent séparément, d’une part une compréhension étroite de notre enseignement religieux traditionnel et, d’autre part, nos théories scientifiques en constante évolution.
2) Plus généralement, une logique dans laquelle, au lieu de dilemmes et d’oppositions irréductibles, on envisage plutôt des complémentarités nécessaires.
3) Une connaissance de la psychologie humaine à la fois plus détaillée et mieux vérifiable que celle dont nous disposons actuellement en Occident.
4) Une conception statique et dynamique de l’âme humaine qui pourrait offrir une explication plus satisfaisante que la nôtre d’un certain nombre de phénomènes.
5) Une conception des rapports humains qui, sans être acceptable pour nous sous sa forme d’origine, peut nous amener à repenser certains des problèmes auxquels nous nous heurtons.
6) Une vision d’ensemble du divin qui élimine les contradictions entre les diverses écoles de pensée qui chez nous s’opposent. Et dans ce domaine, par conséquent, une attitude qui, dépassant la tolérance, va jusqu’au respect mutuel, attitude que nous aurions avantage à étendre à d’autres domaines.
7) Un mode de compréhension des mythes qui nous permet d’y puiser de précieux renseignements. […] "

Josette Herbert

Un auteur et son œuvre : Jean Herbert (1897-1980) par Josette Herbert

Un auteur et son œuvre : Jean Herbert (1897-1980)
par Josette Herbert

Grâce à une connaissance très large et compréhensive de l’orient, et notamment de l’Inde, combinée à une grande ouverture d’esprit, Jean Herbert a réussi à ouvrir un peu plus l’occident aux philosophies orientales. La clarté de ses écrits, comme de ses conférences, témoigne de la justesse de sa pensée comme de ses talents de pédagogue.

« La vie de Jean Herbert -ou plus exactement les vies de Jean Herbert ,orientaliste, linguiste, interprète- ont une seule et même préoccupation: aider les gens à se comprendre mutuellement. « L’hindouiste, comme l’interprète -dit-il- se consacre à la découverte et à l’explication de l’être humain. En même temps, dans l’un et l’autre cas, il recherche l’établissement des relations humaines, s’efforçant d’en justifier la nécessité. » Ce ne sont pas des vies parallèles, elles s’imbriquent, se complètent pour donner ce personnage si étonnamment fort et complet qu’est Jean Herbert.

Jean Herbert est né à Paris le 27 juin 1897. De son père, Fernand Herbert, protestant de la Charente, professeur d’anglais à l’école des Sciences politiques de Paris et de sa mère, catholique de la Bourgogne, enseignante elle aussi, il hérite d’un remarquable don de pédagogue et de deux religions chrétiennes; d’une tendre grand-mère qui règne avec douceur et autorité sur la maison une forte dose de bon sens et un répertoire de dictons qu’il cite fréquemment. Au collège Chaptal, il est profondément influencé par le professeur de philosophie André Cresson -représentant de l’école positiviste- dont Jean Herbert dit aujourd’hui encore qu’il lui a appris à raisonner.
[…]
– Jusqu’à la guerre de 1939 il travaille pour la Société des Nations, pour plus de 100 organisations internationales. Il rencontre Briand, Stresemann, Barthou, Mussolini, Churchill.
Vers 1930, il constate que « les conférences internationales [n’aboutissent] pas à grand chose. Chaque délégué [s’attache] plus à défendre les intérêts du groupe qu’il [représente] qu’à rechercher une solution générale ». Dès 1931 il s’intéresse au Bouddhisme, il étudie le Pali et découvre Râmakrishna et Vivekânanda dans les écrits de Romain Rolland. Il passe quelque temps dans la Science chrétienne, qu’il a même pratiquée. Elle lui ouvre les yeux à la valeur ésotérique de la religion. Mais il finit par se fatiguer de l’intransigeance de ses membres.
Dégoûté également par le complexe de supériorité des Chrétiens, Catholiques et Protestants (fils d’un protestant et d’une catholique il avait été très tôt frappé par le fait que chacun croit posséder la seule vérité), il décide d’aller voir si les Bouddhistes possèdent la même vérité, auquel cas ce complexe de Supériorité des Chrétiens serait injustifié.
En 1933, à 36 ans, il part faire la tournée des pays bouddhistes, se plonge dans le Mahâyâna, mais s’aperçoit bientôt qu’une intransigeance très marquée existe d’une secte à l’autre. Encore une fois déçu, il décide de rentrer en faisant escale dans cette Inde dont Romain Rolland avait tant parlé. Chargé simplement de remettre une lettre à un artiste qui vivait à Pondichéry dans l’ashram d’Aurobindo, Jean Herbert pense n’y faire qu’une brève escale. Mais c’est la première rencontre avec Shrî Aurobindo: elle remonte à 1934, le maître a 62 ans. Il répond à la formation cartésienne de Jean Herbert qui est immédiatement séduit par la rigueur logique de la recherche spirituelle d’Aurobindo, par sa vision qui lui semble dépasser toutes celles vues jusqu’alors, par son expérience considérable de la vie dans le monde, par sa connaissance de l’Occident.
En 1935 Aurobindo accepte Jean Herbert comme disciple. Le nom qu’il lui donne, Vishvabandhu, « l’ami de tous », est tout un programme: il déclenche l’orientation de toute la vie de Jean Herbert et continue maintenant encore à prendre tout son sens. Selon la tradition hindoue, une initiation donne premièrement l’indication de la voie à suivre, deuxièmement la soif et troisièmement la force de le faire, force dont Jean Herbert est un symbole vivant et qui lui permet de continuer de remplir sa mission. Aurobindo demande a Jean Herbert de « traduire tous ses ouvrages en français et de les faire traduire dans d’autres langues ». Suivant l’enseignement du Maître, Jean Herbert pénètre de plus en plus profondément dans la connaissance de la sagesse orientale. […]
Séduit par la largeur de vues de l’Inde il en parle chaque fois que l’occasion s’en présente. […] « Je crois que l’Orient peut encore donner des leçons à l’Occident. Nous savons parfois être tolérants, la plupart du temps avec un sentiment de supériorité et de condescendance envers ceux qui ne pensent pas comme nous. Vous avez l’habitude -qui nous manque- de voir la même chose sous plusieurs angles différents, simultanément, y compris l’angle des Occidentaux. » […]
En 1937, Jean Herbert s’installe à Genève et continue à mener de front son travail d’interprète et son travail d’orientaliste. Au cours de plusieurs voyages dans l’Inde il séjourne aussi auprès de Ramana Maharshi, Swâmi Ramdas, Mâ Ananda Moyi, Swâmi Shivânanda, Nanga Bâba, dont il s’emploie à diffuser l’enseignement.
En 1939, mobilisé, il passe une année à Valence comme chef d’état-major d’un centre de formation de régiments d’artillerie lourde. Au moment de la débâcle on lui confie 2 000 jeunes Alsaciens qui venaient d’être mobilisés et qui risquaient d’être fusillés s’ils étaient pris par les Allemands. Il réussit à les amener jusqu’aux Pyrénées. Il revient dans le Midi où une amie hindoue, Mme Banerjee, met à sa disposition une petite maison qu’elle possède en pleine forêt dans les Maures; il y passe le reste de la guerre, plongé dans l’étude des textes sacrés hindous et dans l’enseignement des maîtres, jusqu’au jour de 1945 où un télégramme du Ministère des Affaires étrangères lui demande d’aller à San Francisco où les Alliés posent les bases des Nations Unies. […]
Jean Herbert suit ensuite la Commission préparatoire des Nations Unies et de l’UNESCO à Londres et, de là, avec la première avant-garde des Nations Unies, part pour New-York comme chef interprète.
Avant 1918, les interprètes internationaux n’étaient pas des professionnels mais des gens ayant une vaste culture générale et une connaissance approfondie d’une langue étrangère comme l’historien Paul Montoux, fondateur de l’Institut des hautes études internationales, ou Gaston Bergery, plus tard Ambassadeur de France.
Les besoins s’étant multipliés, il fallait créer et organiser la profession. Jean Herbert est appelé à créer de toutes pièces le corps d’interprètes de l’ONU. […]
Ses multiples travaux de linguistes ne l’empêchent toutefois pas de poursuivre son oeuvre d’orientaliste.
En 1947, à la suite d’une polémique dans les « Cahiers du Sud » où Jean Herbert s’en prenait violemment au professeur Masson-Oursel, de la Sorbonne, M. Sabatier, directeur des Editions Albin Michel, demande à Jean Herbert d’écrire un ouvrage sur l’Hindouisme. Ce sera « Spiritualité hindoue ». Il lui confie également la direction de la collection « Spiritualités vivantes » où les éditions Albin Michel reprennent peu à peu tous les livres que Jean Herbert avait publiés à son compte. Devant son succès considérable, la collection est étendue au Bouddhisme, puis à l’Islam. A l’heure actuelle elle comprend quelque 60 volumes, dont plus de 25 ont été réédités en livres de poche (plus d’un million d’exemplaires déjà distribués).
Il traduit, introduit en France les œuvres originales des grands sages de la fin du XIX° siècle et du début du XX° siècle, Au cours de ses voyages, il rencontre et reçoit directement les enseignements de sages d’autres religions, notamment D. T. Suzuki, l’ayatolla de Oum, le sheikh Mohammed at-Tadili, des chefs religieux bouddhistes, coréens, zen.
[…]
Vers 1960, les Japonais lui demandent de faire pour le Shintô ce qu’il a fait pour l’Hindouisme. Le petit ouvrage projeté se transforme en quatre volumes dont l’un est couronné par l’Académie française […]. Jean Herbert y consacrera 4 ou 5 ans et les traduira lui-même en anglais. Par la suite il publie encore sur le sujet deux petits volumes.
Du Shintô, Jean Herbert déclare avoir tiré un grand principe « Ici et maintenant ».
Depuis « Spiritualité hindoue », Jean Herbert est également l’auteur d’une quinzaine de volumes sur l’Hindouisme, d’un ouvrage d’introduction à l’Asie. Il dirige diverses collections sur l’orientalisme publiées par une demi-douzaine d’éditeurs dans autant de langues. Actuellement quelque 250 volumes ont parus. Il collabore avec le Grand Larousse Encyclopédique pour des sujets relatifs à l’Inde, la mythologie, etc.
Jean Herbert se plonge de plus en plus dans les études mythologiques. Pour lui « Un mythe est la description d’une certaine interaction entre deux ou plusieurs forces déterminées qui existent dans la nature . On n’inventepas plus un mythe que l’on n’invente le processus de germination d’une graine, mais on peut y découvrir des significations et des explications jusque-là insoupçonnées ». Avec au départ certaines clés reçues de Shri Aurobindo, il avance dans la compréhension des textes sacrés qu’il décortique et qui lui révèlent des trésors invraisemblables dans tous les domaines, spirituel, psychologique, etc. Il travaille avec cette minutie qui lui est propre: il établit des fiches, des glossaires, des index qui sont pour lui de précieux instruments de travail.
L’attrait exercé sur Jean Herbert par l’Hindouisme réside dans le fait que l’Hindouisme est une religion qui n’a pas de dogme. Elle admet n’importe quelle croyance et c’est précisément cette diversité qui implique une tolérance illimitée et plus qu’une tolérance, un respect pour les opinions d’autrui. Sur le plan des idées, l’Hindouisme propose, écrit-il:
1) Une conception du monde à la fois plus complète et plus cohérente que celles, souvent contradictoires, que nous apportent séparément, d’une part une compréhension étroite de notre enseignement religieux traditionnel et, d’autre part, nos théories scientifiques en constante évolution.
2) Plus généralement, une logique dans laquelle, au lieu de dilemmes et d’oppositions irréductibles, on envisage plutôt des complémentarités nécessaires.
3) Une connaissance de la psychologie humaine à la fois plus détaillée et mieux vérifiable que celle dont nous disposons actuellement en Occident.
4) Une conception statique et dynamique de l’âme humaine qui pourrait offrir une explication plus satisfaisante que la nôtre d’un certain nombre de phénomènes.
5) Une conception des rapports humains qui, sans être acceptable pour nous sous sa forme d’origine, peut nous amener à repenser certains des problèmes auxquels nous nous heurtons.
6) Une vision d’ensemble du divin qui élimine les contradictions entre les diverses écoles de pensée qui chez nous s’opposent. Et dans ce domaine, par conséquent, une attitude qui, dépassant la tolérance, va jusqu’au respect mutuel, attitude que nous aurions avantage à étendre à d’autres domaines.
7) Un mode de compréhension des mythes qui nous permet d’y puiser de précieux renseignements. […] »


Les carnets du yoga, n°5, mai 1979, pp. 2-15.

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Le lotus (padma), un des emblèmes de Vishnou

4 Juin 2024 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Bharat, #Inde, #Hindouisme, #Lotus, #Religion, #Spiritualité, #Dharma, #Vishnou, #Râmakrishna, #Jean Herbert, #Sutra du Lotus, #Asie, #Bouddhisme, #Bouddhisme zen

Peinture de Vishnu représenté avec des lotus, Mankot-Basohli, vers 1750. Musée national, New Delhi.

Peinture de Vishnu représenté avec des lotus, Mankot-Basohli, vers 1750. Musée national, New Delhi.

Dans le Vishnou Purana, au début des temps, Brahma est décrit comme ayant été créé à l'intérieur d'un lotus s'épanouissant à partir du nombril de Vishnou. Le padma (lotus) occupe donc une place importante dans le récit de la cosmogonie Vaishnava, où Brahma reçoit de Vishnou l'instruction de commencer à générer l'univers et le reste de la création. Le lotus est considéré comme une représentation du dharma, la loi cosmique, ainsi que comme l'incarnation de la pureté, puisqu'il s'élève depuis le fond marin ou aquatique impur en direction du soleil.

Le Sūtra du Lotus (sanskrit : Saddharma Puṇḍarīka Sūtram, Sūtra sur le Lotus blanc du vrai Dharma, chinois : 妙法蓮華經, "l'Écrit de la fleur de lotus du beau dharma") est l'un des Mahāyāna sūtras bouddhistes les plus influents et les plus vénérés.

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Yaksha Prashna (Mahabharata) : https://pocombelles.over-blog.com/2024/01/yaksha-prashna.html

 

Illustration japonaise représentant des lotus blancs dans le chapitre 25 : « La porte universelle » du Sutra du Lotus. Texte inscrit par Sugawara Mitsushige, période Kamakura, vers 1257, Metropolitan Museum of Art, New York.

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" 298. - (...) Ceux-là seuls jouissent de la vraie béatitude et du vrai plaisir qui, profitant de l'expérience des autres, se gardent des convoitises et des richesses et recherchent leur refuge aux pieds de lotus de Dieu. (...)

Râmakrishna

In: L'enseignement de Râmakrishna, par Jean Herbert et al. Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, Paris, 1942.

Un ermite au bord d'un lac avec des lotus et des grues, dans les montagnes. Détail d'une peinture indienne.

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La roue est le symbole principal de Dharma, associé au Soleil dans la cosmogonie indo-européenne. Le lotus et la roue sont tous les deux des cercles rayonnants. "Dharmo Rakshati Rakshitah" ( धर्मो रक्षति रक्षितः): "Le Dharma protège ceux qui le protègent." (Mahabharata). Le Logos hellénico-chrétien est le Dharma.

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Bruno Sourdin: Entretien avec Jean Herbert (Rennes, 1979)

19 Février 2024 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Jean Herbert, #Inde, #Hindouisme, #Bharat, #Religion, #Bhagavad-Gita, #Karma-yoga, #Râmakrishna

Jean Herbert (1897-1980)

Jean Herbert (1897-1980)


Entretien avec Jean Herbert

(Entretien réalisé par Bruno Sourdin à Rennes en novembre 1979)

 

Shrî Aurobindo l’appelait Vishvabandhu, « l’ami de tous ». Aucun autre nom ne pouvait mieux lui convenir. Jean Herbert a été l’un des grands érudits du XXe siècle. C’est lui qui, un des premiers, nous a ouvert les portes de la sagesse orientale. Il a traduit Aurobindo, Ramana Maharshi, Ramdas, Sivananda, Mâ Anandamayi, Suzuki et bien d’autres. Son œuvre d’orientaliste est gigantesque, incontournable.
Ce que l’on sait peut-être moins, c’est que cet éminent savant a aussi été un grand témoin de son époque. Jean Herbert naquit à Paris en 1897 dans une famille d’universitaires. Après la Première Guerre mondiale, laquelle le voit mobilisé comme officier d’artillerie, il assiste en qualité d’interprète aux commissions d’armistice entre les Alliés et les Allemands. Il n’a que 21 ans. Pendant la Conférence de la Paix de Paris, il participe à la préparation de la Société des Nations, côtoyant Clemenceau, Wilson, Lloyd George et Benes. Il travaille ensuite à la SDN en qualité d’interprète jusqu’en 1939 et il rencontre alors Poincaré, Briand, Stresemann, Barthou, Mussolini et Churchill. En 1945, on lui demande de suivre la Commission préparatoire des Nations Unies et de l’Unesco. Jean Herbert va alors créer de toutes pièces le corps d’interprètes de l’ONU. Son Manuel de l’interprétation est diffusé dans huit langues.
Ses travaux d’interprète et de linguiste ne l’ont pas empêché de mener de front son œuvre de traducteur. C’est en 1934 à Pondichéry qu’il rencontre Shrî  Aurobindo, qui l’accepte comme disciple et lui demande de traduire ses ouvrages en français et de les faire traduire dans d’autres langues. Parallèlement, Romain Rolland, qui venait de révéler Ramakrishna à l’Occident, lui demande de poursuivre son œuvre et de traduire Vivekananda. Pour Jean Herbert, c’est un travail considérable qui commence. Un travail considérable mais aussi un travail ingrat car, dans les années 30, personne ne s’intéresse à ses manuscrits et il est obligé de publier ses premières traductions à compte d’auteur et de faire du porte à porte chez les libraires pour déposer des exemplaires de ses ouvrages.
Au total, soit comme auteur, soit comme traducteur, soit comme préfacier ou directeur de collection, Jean Herbert a fait publier quelque 250 volumes. Mais son approche de l’Inde n’était pas seulement livresque. Bien au contraire, Jean Herbert était un homme d’expérience et il aimait, avec une rare pédagogie, faire partager son intérêt pour le yoga qu’il pratiquait, le Karma-Yoga, qu’il résumait ainsi : « Fais ce que dois, advienne que pourra. »
Il nous a quittés le 21 août 1980, à l’âge de 83 ans. C’était un homme d’une grande chaleur et d’une grande simplicité, qui aimait passionnément la vie, qui s’est toujours efforcé d’aider les hommes à se comprendre mutuellement, et qui a été, pour tous ceux qui ont eu le bonheur de le rencontrer, « l’ami de tous ».


Bruno Sourdin: Qu’entend-on par yoga dans l’Inde ?

Jean Herbert: Le yoga qui vient de l’Inde a, dans ce pays, une signification tout à fait différente de celle que nous avons ici. Dans l’Inde, on appelle yoga n’importe quelle discipline intérieure, ou matérielle aussi d’ailleurs, à laquelle on se soumet pour provoquer ou faciliter une certaine évolution intérieure, quelle qu’elle soit : ce peut être ce qu’on appelle maintenant le yoga en Occident et que dans l’Inde on appelle le Hatha-Yoga ; ce peut être aussi une des autres formes classiques de yogas qui s’adressent, les unes à l’homme intellectuel, les autres à l’homme émotif, les autres encore à l’homme soucieux de ses relations avec la société ou envers le prochain. Et puis il existe enfin des quantités d’autres yogas : la musique, par exemple, peut être un yoga, la poésie aussi, la médecine, la recherche scientifique, le journalisme également… à la seule condition que l’on ait dans cette recherche pour but essentiel, et éventuellement pour but unique, une évolution intérieure.

Quel est le but de cette évolution intérieure ?

Il est évidemment extrêmement difficile à définir. Nous avons tous conscience d’évoluer dans un certain sens que nous jugeons positif : non seulement par la taille quand nous passons de l’enfance à l’âge adulte, non seulement par l’intellect quand nous apprenons des choses à l’école, à l’université ou dans la vie, mais également par l’évolution des sentiments, de l’idéal, par l’intensification de l’effort que l’on consacre à se rapprocher de cet idéal.

Comme vous le dites, nous évoluons constamment, mais pourtant nous avons la certitude de rester le même. Comment les Hindous résolvent-ils le problème ?
Les Hindous font une distinction entre ce qui est permanent en nous et ce qui évolue. Normalement, nous nous identifions tantôt à notre corps, tantôt à nos désirs, tantôt à nos pensées. Or, non seulement nos pensées, nos désirs changent continuellement, mais même notre corps, puisqu’on m’enseignait autrefois qu’il n’y a pas une cellule dans le corps qui ne se renouvelle pas tous les sept ans. Et néanmoins nous avons la certitude absolue (c’est peut-être la plus grande certitude que nous ayons) d’être resté la même personne depuis notre naissance. Alors les Hindous en concluent qu’il doit y avoir quelque chose de permanent en nous. Mais cette entité permanente, qui est notre vérité la plus profonde, se manifeste par un désir d’évoluer. Dans la théorie des vies successives, on estime que cette évolution commence à l’état végétal, passe ensuite dans le règne animal, finit par le règne humain. C’est cette entité qui évolue que l’on peut appeler l’âme, en termes très approximatifs.

Quelles sont les différentes méthodes employées par les quatre grands yogas de l’Inde ?
Dans le Jnana-Yoga, on travaille par l’intellect, par la raison, par la logique, pour essayer de découvrir, derrière les apparences, la vérité la plus profonde, la vérité la plus profonde de l’être humain ou la vérité la plus profonde de l’Univers.
Dans le Bakti-Yoga, qui est le yoga de l’adoration, on utilise ses facultés émotives, en priorité, pour essayer de les orienter vers un idéal de plus en plus élevé, c’est-à-dire non pas seulement des rapports avec le prochain, mais quelque chose de plus vaste que l’on peut appeler Dieu.
Dans le Karma-Yoga, que j’appelle le yoga de la vie quotidienne, on cherche à comprendre les rapports entre l’être humain et son entourage, pour essayer de pousser ces rapports jusqu’à la plus haute perfection possible. Ce qui veut dire que l’on doit envisager chacune des actions que nous faisons tout au long de notre vie sous un certain angle, pour les adapter à cette fin.
Le quatrième grand yoga, le Raja-Yoga, est essentiellement une recherche par la méditation, par l’intériorisation. Dans le Hatha-Yoga, qui n’est en fait qu’une variante du Raja-Yoga, on attache une grande importance au corps physique, que l’on essaye d’améliorer, de développer, à la fois par des postures et des exercices de respiration.

Le yoga peut-il présenter certains dangers ?

Le yoga est un moyen puissant d’évoluer. En ce qui concerne le Hatha-Yoya, comme tout ce qui est puissant, il présente des dangers. Ce qui peut faire beaucoup de bien peut aussi faire beaucoup de mal, forcément. Si vous avez un couteau émoussé, il ne peut pas vous servir à grand-chose ; mais s’il est bien aiguisé, ce n’est pas la même chose. Le Hatha-Yoga fait certainement beaucoup de bien à beaucoup de gens, c’est un fait que je peux constater ; mais s’il est mal utilisé, comme n’importe quelle arme puissante, il peut aussi faire beaucoup de mal, et j’ai connu un certain nombre de personnes qui ont été complètement détraquées soit mentalement, soit physiquement. C’est relativement rare mais c’est possible.
Le Karma-Yoga, lui, ne présente jamais aucun danger.

Pouvez-vous nous parler de ce Karma-Yoga que vous pratiquez vous-même. Comment l’avez-vous découvert ?

Je l’ai découvert lorsque j’ai découvert celui qui est maintenant mon maître, Shrî  Aurobindo, chez qui je suis arrivé, conduit par le hasard, il y a 45 ans. J’ai été immédiatement séduit par le fait qu’il combinait une logique cartésienne absolument rigoureuse avec une aspiration mystique extrêmement intense. C’était la première fois que je trouvais les deux réunies chez une même personne.
Le yoga de Shrî  Aurobindo est un yoga très vaste qui, comme celui de la Bhagavad-Gîta, le grand texte sacré hindou, embrasse tous les yogas classiques : la recherche intellectuelle, l’orientation vers le Divin, l’action quotidienne et la méditation. Mais Sri Aurobindo, comme tous les très grands sages de l’Inde, individualisait considérablement son enseignement. Nous sommes tous différents les uns des autres et, par conséquent, ce qui convient à l’un ne convient pas à l’autre. Nous n’attendons pas d’un médecin qu’il ait une ordonnance tout imprimée qu’il distribue à tous ses patients ; nous nous attendons au contraire à ce qu’il examine chaque patient pour décider ce qui est bon pour lui, et même qu’à quelques années de distance il ordonne le contraire de ce qu’il avait indiqué auparavant. Il en va exactement de même pour l’individualisation du yoga. Shrî Aurobindo traitait chacun de ses disciples d’une façon différente, pour utiliser au mieux ses possibilités individuelles.
Il m’a orienté essentiellement vers le Karma-Yoga, mais pas exclusivement. Le yoga qu’il a donné était un yoga portant surtout sur l’action matérielle, mais naturellement assaisonné d’une certaine recherche intellectuelle, d’une certaine orientation vers un idéal que l’on peut appeler religieux et d’un peu de méditation aussi.

Quels sont les grands principes du Karma-Yoga ?

On les trouve en particulier dans la Bhagavad-Gîta, d’où ils ont été puisés. Le premier principe c’est que l’homme ne reste jamais un seul instant sans agir. S’il n’agit pas physiquement, il agit mentalement. Et même s’il arrive à arrêter complètement les mouvements de son corps et le travail de son mental, il y a encore des choses qui se passent en lui : sa circulation continue, de même que sa digestion. Et puis il continue à exercer une influence sur les gens autour de lui : d’abord parce qu’en n’agissant pas, il provoque des conséquences autres que celles qu’il provoquerait s’il agissait. Et puis les gens qui le regardent sont soit agacés, soit inquiets ou bien ont envie de l’imiter. C’est donc aussi une action qu’il exerce sur les autres.
Si l’homme ne peut rester un instant sans agir, il ne faut pas se proposer l’inaction comme but. C’est le deuxième grand principe.
Troisième principe : il faut faire ce que les textes sacrés appellent « les actions prescrites », c’est-à-dire ce que nous pouvons appeler notre devoir, nos obligations. Ce devoir peut résulter soit de ce que nous croyons _ morale laïque ou morale religieuse _, soit de ce que la « petite voix de la conscience » nous indique. Il faut nous comporter de la façon que nous estimons nous être prescrite par l’une ou l’autre de ces sources. Ce que je traduis de façon plus globale par « l’idéal du moment ». Chacun de nous, à n’importe quel moment, a un certain idéal. Nous devons nous y conformer, essayer de la suivre, dans toute la mesure où nous en sommes capables.
L’originalité du Karma-Yoga réside dans son principe suivant : l’homme n’a pas le droit aux conséquences de son action, ni bonnes ni mauvaises.

Ce quatrième principe mérite une explication.

Nous agissons toujours, évidemment, pour obtenir un certain résultat. Si je parle en ce moment, c’est pour que vous m’entendiez. Mais _ c’est le principe du Karma-Yoga _, les conséquences de ce que je fais ne dépendent pas de moi. En effet, il ne dépend pas de moi que vous m’écoutiez ou que vous pensiez à autre chose lorsque je vous parle ; il ne dépend pas de moi qu’en me quittant vous pensiez que je vous ai raconté des idioties ou au contraire des choses géniales et que cela va vous orienter un petit peu dans votre action personnelle ou au contraire que cela ne va pas vous orienter du tout.
Et à plus long terme, c’est encore plus clair. Voici un exemple que je donne généralement : si je donne un livre à quelqu’un, c’est en espérant qu’il le lira, que cela le fera réfléchir, peut-être même que cela le fera changer d’avis. Mais il y a beaucoup de chance pour que cela ne lui fasse pas changer d’avis, beaucoup de chance aussi pour qu’il ne réfléchisse pas, et même beaucoup de chance pour qu’il ne le lise pas.
Les Hindous en concluent, dans le cas du Karma-Yoga, que ces conséquences ne dépendent pas de nous, que nous n’en sommes pas maîtres, et que par conséquent nous n’en sommes pas responsable. Ceci a pour effet de libérer énormément de la crainte des conséquences de ce que nous faisons. Pour prendre un autre exemple, nous savons ce que c’est que le trac lors d’un examen ; il nous paralyse, il nous enlève une partie de nos moyens. C’est pour cela qu’un des effets du Karma-Yoga est de donner une plus grande liberté, une plus claire vision de ce que nous allons faire et une plus grande efficacité dans notre action. L’un des autres principes du Karma-Yoga est, comme le disent les Hindous, « l’habileté dans l’action ».

Si les conséquences ne nous appartiennent pas, à qui appartiennent-elles ?

Si on a l’esprit religieux, comme c’était le cas de Gandhi, qui était le plus grand représentant du Karma-Yoga à notre époque, on peut reprendre sa formule : vouloir décider des conséquences, c’est usurper une fonction qui n’appartient qu’à Dieu. Au contraire, si on n’a pas l’esprit religieux, ce sont les circonstances, le sort, la fatalité ou les lois de la nature qui peuvent déterminer ce que seront les conséquences de son action.
La conception de « l’idéal du moment » est assez étrangère aux Occidentaux puisqu’on nous a enseigné qu’il existe un idéal qui doit être le même pour tous. Mais en réalité ce n’est pas vrai : cet idéal que l’on nous propose ne peut être qu’un idéal lointain et c’est sur l’idéal immédiat que nous nous guidons. Un moine hindou que j’avais invité autrefois à Genève me disait, d’un endroit où l’on voyait le Mont Blanc : votre idéal lointain peut être d’arriver au sommet du Mont Blanc, mais votre idéal immédiat c’est d’aller en direction de la première borne kilométrique, même si cette route vous conduit dans une direction totalement opposée et vous fait tourner le dos au Mont Blanc. Par conséquent, si l’on conserve à l’esprit un idéal lointain, on se conforme inévitablement à l’idéal immédiat.
Or, cet idéal immédiat change constamment en nous dans notre évolution générale. En ce qui me concerne personnellement, il est bien évident que je ne peux pas juger ce que je fais aujourd’hui d’après l’idéal que j’aurai dans 20 ans ; et il est tout aussi grotesque de vouloir juger ce que j’ai fait dans le passé d’après l’idéal que j’ai aujourd’hui. C’est une chose à laquelle on ne pense pas parce que constamment nous disons : « J’aurais dû faire ceci », « Si j’avais su », « Si j’avais compris », etc. Et le fait de distinguer cet idéal ancien de cet idéal actuel écarte également toute possibilité de remords ou de regret, ce qui est également un très grand allégement. C’est fantastique la quantité d’énergie que nous gaspillons à craindre l’avenir ou à regretter le passé !

Cela accroît en même temps notre responsabilité ?

Naturellement, on reste responsable de ce qu’on a fait dans le passé, mais cela ne sert absolument à rien d’y revenir. L’exemple que je donne habituellement est personnel : pendant la Première Guerre mondiale, j’étais officier d’artillerie et je commandais une batterie de canons à longue portée et, lorsque de mon observatoire j’apercevais une concentration de troupes ennemies, évidemment je tirais dessus pour massacrer le plus de gens possible. C’était mon idéal du moment : la patrie, le drapeau, un idéal que tout le monde d’ailleurs partageait à l’époque, à peu d’exceptions près. Et si maintenant, mais c’est peu vraisemblable, je me trouvais devant la même situation, il est très probable que j’agirais différemment, parce que mon idéal s’est complètement transformé.
Et puis cette conception a également des conséquences extrêmement importantes dans les rapports avec le voisin. Nous jugeons les autres, individus ou nations, la plupart du temps pour dire qu’ils font du mal. Mais alors il faut se demander selon quels critères je les juge. Et si je prends conscience du fait que je les juge d’après un idéal provisoire, cela évite de critiquer. Je ne peux pas critiquer, par exemple, des parachutistes qui vont massacrer des gens en Afrique, même si ce n’est pas mon idéal du moment. Mais en revanche je peux agir moi-même : je peux écrire des lettres dans les journaux, aller faire un sit-in à l’aéroport d’où ils s’envolent, ou aller les trouver sur place pour essayer de les convaincre qu’il vaudrait mieux faire autre chose. Je suis responsable de mon action, mais cela n’implique pas du tout que je les critique. À mon avis, c’est l’essence même du Karma-Yoga.

Vous pensez naturellement que c’est le yoga le plus accessible à un Occidental ?

Je dirais que c’est le yoga le plus commode pour un Occidental, car nous sommes avant tout des gens d’action. Si nous voyons par exemple un enfant assis dans une pièce à ne rien faire, nous ne trouvons pas cela normal. Et si nous-mêmes restons sans rien faire pendant un certain temps, nous nous culpabilisons. Nous avons besoin d’action. Et, comme je vous le disais, ce Karma-Yoga s’applique à l’action.

Et les grands maîtres de l’Inde disent que le résultat du Karma-Yoga est le même que celui des autres yogas ?

Exactement le même. Et puis il y a pour nous cet autre avantage que nous n’avons pas besoin de renoncer à aucune de nos convictions. Que l’on soit athée ou que l’on soit religieux, que l’on soit communiste ou que l’on soit conservateur, on peut appliquer le Karma-Yoga. Il laisse une totale liberté d’agir selon la voie qu’individuellement on s’est tracée.

Les Hindous se préoccupent beaucoup de morale, mais leur conception est différente de la nôtre puisqu’ils insistent sur la notion de morale individuelle. Pouvez-vous préciser cela ?

C’est un concept très important. Les Hindous sont peut-être parmi les âtres les plus obsédés de morale. Mais leur morale est individualisée. Nous procédons, en ce qui nous concerne, par principes généraux d’application universelle et absolue : « Tu ne tueras pas », « Tu ne voleras pas », « Tu ne mentiras pas ». Mais cela nous amène immédiatement à faire un tas d’exceptions. Tu ne tueras pas, mais si tu es soldat, en temps de guerre, pendant la bataille, tu n’as pas le droit de te désolidariser de tes camarades et tu dois tuer les gens qui sont en face. Et sur cette objection, se branche immédiatement une autre objection : si l’ennemi est désarmé, s’il est prisonnier, tu n’as pas le droit de le tuer. Et sur cette objection à l’objection, il s’en branche alors une autre : si cet ennemi prisonnier essaye tout à coup de tuer un de tes camarades, tu as à nouveau l’obligation de le tuer. Cette cascade d’exceptions résulte de ce que nous principes sont très généraux.
Au contraire, dans l’Inde, la morale de l’individu dépend de beaucoup d’éléments différents, de son âge, de son sexe, de sa situation familiale, du groupe humain auquel il appartient. Par exemple, un brahmane n’a pas le droit de gagner sa vie par le travail, il doit vivre de l’aumône. Celui qui appartient à la caste des commerçants a au contraire l’obligation de gagner de l’argent. Sur le plan de la sexualité, à certaines périodes de la vie, la continence absolue est considérée comme une règle d’ordre pratique. Mais à un autre stade de la vie, c’est une obligation d’avoir des enfants. Vous avez ici deux injonctions absolument contradictoires et je pourrais en citer bien d’autres. Dans la caste des brahmanes, on n’a pas le droit de tuer, pas même un moustique ; mais dans la caste des guerriers, on a l’obligation de tuer, si c’est nécessaire, pour défendre le droit, pour défendre la veuve et l’orphelin.

Vous avez parlé de Shrî  Aurobindo qui était votre maître. Quel est le rôle d’un maître dans l’Inde ?

La tradition considère qu’il n’existe qu’un seul maître, un seul gourou qui est Dieu. Le maître spirituel humain n’est en réalité qu’un canal par lequel arrive l’influence du gourou unique. Alors, du moment que c’est un canal, il peut y en avoir de bons et de mauvais et même des canaux qui ne laissent rien passer du tout. C’est pour cela que, parmi ceux qui se présentent comme maître spirituel, il y en a à qui l’on peut se confier et d’autres dont il faut se méfier. Une grande discrimination est nécessaire. Comme dans tous les domaines d’ailleurs, il faut choisir celui en qui on a confiance. Si je veux faire du piano, je ne choisirai pas quelqu’un qui ferait des fausses notes. C’est aussi simple que cela.
Dans la mesure où l’on a accepté un maître, et dans la mesure où ce maître vous a accepté également, il faut naturellement se conformer à ce qu’il vous dit, jusqu’au moment où l’on décide de s’en séparer, d’en choisir un autre. Tant que l’on reste sous la domination de son gourou, il faut une obéissance absolue. Si l’on veut se laisser guider sur le plan spirituel par quelqu’un, il faut se laisser guider. C’est tout simple. C’est la même chose lorsque vous voulez étudier le piano ou les mathématiques.

En quoi consiste l’initiation ?

C’est un terme que l’on emploie à trot et à travers et qui peut se situer à des niveaux différents. Je peux dire que je vous initie au Karma-Yoga en ce moment en vous expliquant ce que c’est. On initie un enfant à l’écriture en lui apprenant à faire des lettres et des bâtons. Sur le plan supérieur, si l’on pense à l’initiation par un très grand gourou, c’est une chose extrêmement grave. Dans une véritable initiation, comme celle que j’ai eu le privilège de recevoir, le gourou donne à son disciple trois choses simultanément : il vous indique avec une précision invraisemblable _ précisions dont on ne se rend pas compte sur le moment _ la vie que vous allez suivre. Il vous donne aussi un désir irrésistible de suivre cette voie, et la force de le faire.
Sur le plan pratique, je connais deux façons de donner cette initiation. La première c’est la transmission d’un mot, d’un nom, d’un mantra, qui devient votre mantra, c’est-à-dire la formule sacrée à laquelle vous pouvez revenir continuellement et dont vous découvrez la signification très progressivement. J’ai reçu mon initiation de Shrî  Aurobindo il y a plus de 45 ans et je n’ai pas fini de découvrir ce que signifiait le nom, le mantra qu’il m’a donné. La seconde façon c’est un contact physique. Par exemple, il vous pose la main sur la tête.

Pour les Hindous, la vie n’est pas un phénomène unique. Ils parlent de vies successives.
Leur conception c’est que cet élément permanent que nous avons en nous _ soit envisagé sous sa forme statique, soit sous sa forme dynamique _ ne peut pas, dans son évolution, se contenter d’une seule vie. Une vie c’est trop court, on n’a pas le temps, entre une naissance et la mort qui suit, de faire grand-chose. C’est pourquoi ils estiment que, pour évoluer, il faut beaucoup de vies différentes.
Voici comment les choses peuvent s’expliquer. Périodiquement, cet élément permanent qui est en nous puise dans la matière cosmique de quoi fabriquer un corps matériel, puise dans la vie cosmique l’élément nécessaire pour rendre ce corps vivant, et puise enfin dans le mental cosmique de quoi « mentaliser » ce corps vivant. Cet élément permanent utilise ainsi ce corps pour un certain stade de son évolution et, une fois qu’il a fini de s’en servir, il le rejette comme un vêtement usé, en attendant d’en fabriquer un autre.

Quel est le point de vue des Hindous sur la mort ? Pour eux, c’est un passage à une autre étape ?

Pour l’Hindou, la mort est exactement comme pour nous de nous endormir le soir. Nous nous endormons à peu près certains que nous nous réveillerons le lendemain matin. Quand les Hindous meurent, ils savent que c’est en attendant de renaître. La mort n’est donc pas effrayante pour eux, pas plus que pour nous le sentiment de nous endormir.

Dans l’hindouisme, les dieux sont innombrables et pourtant, dans vos livres, vous parlez de monothéisme. Pouvez-vous expliquer cela ?

Fondamentalement, à sa base, la religion hindoue est monothéiste. Elle admet qu’il existe un seul Dieu susceptible d’avoir des rapports avec les hommes. Mais pour les Hindous, ce Dieu est beaucoup trop grand, beaucoup trop vaste et trop lointain pour que le mental humain puisse le concevoir et pour que le corps humain puisse l’adorer. Alors, ils préfèrent l’envisager sous l’un ou l’autre de ses aspects.
Il y a trois éléments qui sont considérés comme fondamentaux et qui résultent de ce que les Hindous considèrent que toute action humaine nécessite forcément la combinaison de trois éléments : destruction, conservation et création. Si je veux construire une table en bois, je commence par détruire l’arbre, je conserve le bois et je fabrique la table.
Alors, pour eux, l’action divine doit nécessairement se plier à cette même règle. Dieu ne peut rien créer sans en même temps détruire ce qui précédait et sans conserver ce qu’il y a de commun entre les deux. À chacun de ces aspects, qu’ils appellent les trois visages du Dieu unique, ils donnent un nom. Dieu sous son aspect de créateur, ils l’appellent Brahma. Dieu sous son aspect de protecteur, ils l’appellent Vishnou. Dieu sous son aspect de destructeur, ils l’appellent Shiva. Et ils l’adorent tantôt sous l’un de ses aspects, tantôt sous l’autre, chacun selon son goût, chacun selon ses dispositions.
Et puis il existe d’innombrables autres aspects, entre lesquels il peut choisir. L’Hindou dispose de ce qu’on appelle sa divinité d’élection. Entre tous ses aspects, il choisit celui qui lui convient, vers lequel il préfère se tourner. Ce qui ne l’oblige pas du tout et l’empêche même de rejeter tous les autres aspects. Quand un Hindou adore sa divinité d’élection, disons par exemple Shiva, il commence par dire : Tu es Shiva, mais Tu es aussi Vishnou, Tu es aussi Brahma, et Tu es le Dieu unique.

Pratiquement, il se concentre sur un seul aspect de Dieu et il semble se désintéresser des autres. C’est pour cela que vous parlez de monothéisme ?

Non, le monothéisme résulte de ce qu’il sait que l’aspect de Dieu qu’il adore est un aspect du Dieu unique. Mais rien ne l’empêche de s’adresser, selon les cas ou les circonstances, à n’importe quel autre aspect. Par exemple, il est inconcevable qu’un Hindou écrive une œuvre littéraire ou même une lettre personnelle sans invoquer le nom de Ganesha. Et de la même façon, lorsqu’il veut entreprendre un voyage, il se tourne vers Garuda.

Dans vos livres, vous insistez aussi beaucoup sur la mythologie, c’est-à-dire l’histoire des dieux. Vous expliquez que la mythologie hindoue revêt une importance pratique considérable. Pouvez-vous développer cette idée ?

La mythologie, telle que j’essaie de la présenter, est un concept qui est étranger aux Hindous et dans l’Inde on me dit souvent : pourquoi perdez-vous votre temps à vous occuper de constructions mythologiques, des rapports entre les différents dieux ? Consacrez-vous à votre dieu et ne vous occupez pas du reste. Et en effet les Hindous se consacrent uniquement à la mythologie de leur dieu d’élection, et même souvent à une partie de cette mythologie, à tel ou tel mythe qui est pour eux leur principale source d’inspiration, qu’ils vivent, qu’ils étudient, qu’ils appliquent ou qu’ils interprètent tout au long de leur vie.
Le mythe hindou a toute une échelle de significations dans beaucoup de domaines. Il peut servir de guide à celui qui s’y intéresse, aussi bien dans la recherche intellectuelle que dans l’attitude religieuse ou dans la vie pratique. Je crois que le mythe, tel qu’il est conçu dans l’Inde, est infiniment plus riche que n’importe quelle conception intellectuelle ou scientifique. Il embrasse tous les domaines à la fois, y compris la morale.

Quel peut être l’intérêt de cette mythologie hindoue pour un Occidental ?

Pour nous, elle a un intérêt intellectuel mais aussi pratique. Elle nous montre que la vérité peut avoir quantité d’aspects différents, qui sont aussi valables les uns que les autres. Il n’y a aucune raison de supposer que l’adorateur de Ganesha a tort et que l’adorateur de Dourga a raison. Dans la mesure où nous nous en inspirons, cette multiplicité d’attitudes crée chez nous, non pas un sentiment de tolérance _ les Hindous n’aiment pas ce mot car ils estiment qu’il implique toujours un complexe de supériorité _, mais un respect des opinions d’autrui. Un adorateur de Shiva respecte l’adorateur de Vishnou, car il voit dans ces différentes techniques autant de moyens aussi efficaces les uns que les autres. Dans le domaine religieux, cette conception amène à comprendre qu’il y a beaucoup de façons de chercher à évoluer. Par conséquent, il n’y a pas lieu, non seulement de critiquer les autres, mais de penser que la voie que l’on a choisie est meilleure que les autres. Tout ceci peut donc avoir une très grande influence sur notre comportement.

Vous avez longuement étudié la Bhagavad-Gîta, le texte le plus sacré de l’Inde. Vous montrez notamment qu’il ne s’agit pas du tout, comme on le dit généralement, d’un dialogue entre un homme, Arjuna, et un dieu, Krishna, mais plutôt d’un dialogue qui se passe à l’intérieur de nous. Je crois que ceci mérite une explication.

Je ne dirais pas que la Bhagavad-Gîta est le texte le plus sacré de l’Inde, mais le texte dont les Hindous se servent le plus souvent, celui que l’on cite le plus fréquemment et qui est utilisé dans toutes les écoles philosophiques. En effet, contrairement à cette conception généralement admise que c’est un dialogue entre un dieu et un homme, pour moi il s’agit d’un dialogue qui se déroule entre nos exigences mentales et nos aspirations qui dépassent le mental.

Des aspirations d’ordre spirituel ?

Je n’aime pas beaucoup le mot spirituel parce qu’on lui attache des idées trop précises, qui ne sont pas les mêmes chez tout le monde. Je dirais : ce qui dépasse le mental, l’évolution intérieure.
Nous avons tous certaines exigences mentales. On dit : je ne peux pas faire telle chose car c’est contraire à ma raison, à ma logique. Et puis néanmoins je sens en moi que je devrais le faire.
Prenons un exemple : je sens qu’il est complètement idiot d’aller prier dans une église, car logiquement cela ne répond à rien. Mais tout de même je sens en moi le désir de le faire. Autre exemple, sur un plan plus pratique : il est peut-être idiot que j’envoie de l’argent à telle œuvre parce que je ne sais pas au juste ce qu’on en fera (raison mentale). Mais tout de même je sens en moi une impulsion à le faire. La Bhagavad-Gîta c’est ce dialogue entre les exigences mentales et les aspirations intérieures, qui se présentent d’ailleurs sous forme de deux idéaux également valables. La Bhagavad-Gîta, qui part d’un dilemme semblable, et qui donne la solution de ce dilemme en s’appuyant sur des considérations métaphysiques et autres, c’est précisément ce dialogue qui se déroule en nous-mêmes.

Certaines écoles hindoues développent l’idée que le monde est un jeu, une pièce de théâtre que se fait représenter le Divin. Est-ce que cette conception est couramment admise dans l’Inde ?

Elle est admise d’une façon absolue chez les Vishnnouistes (ceux qui se tournent vers Vishnou, vers Krishna ou vers Rama). Elle est admise implicitement par tous les autres.
On admet que le monde a été créé par Dieu, ou par une puissance que nous ne connaissons pas, qui évidemment a combiné le monde, lors de sa création et de son évolution intérieure, selon sa volonté. J’ai découvert récemment une formule de Shrî  Aurobindo qui est excellente : « Seul Dieu a créé le monde et il l’a créé tel qu’il est. » Ce n’est pas l’homme qui l’a déformé, ou si l’homme l’a déformé c’est que Dieu voulait qu’il le déforme. Selon cette conception, le créateur a mis chaque élément de sa création, et en particulier l’être humain, à sa place. Chacun a la tâche qui lui a été confiée et l’intelligence qui lui a été donnée pour s’acquitter de cette tâche. C’est la conception du jeu divin.
Et en conséquence, on y revient toujours lorsqu’on aborde l’Hindouisme, il n’y a aucune raison de critiquer quelqu’un qui agit différemment, puisque c’est le rôle qui lui a été confié. Vous devez le respecter autant que vous vous attendez à ce qu’il vous respecte.

Comment expliquez-vous, depuis quelques années, la vogue de l’hindouisme. Lorsque vous l’avez découvert il y a 45 ans, est-ce que vous pouviez imaginer ce qui se passe aujourd’hui ?

Absolument pas. J’ai été le premier surpris de voir l’intérêt que l’hindouisme a suscité dans beaucoup de milieux. C’est Romain Rolland qui a été le premier à présenter l’hindouisme avec ses livres sur Ramakrishna et Vivekananda, des livres remarquables, mais qui sont arrivés trop tôt et qui n’ont éveillé aucun intérêt nulle part. C’est Romain Rolland qui m’a montré qu’il y avait quelque chose de passionnant pour l’Occident dans les enseignements des grands sages de l’Inde et qui m’a demandé de prendre la suite. Mais je peux vous dire qu’au moment où j’ai commencé à écrire sur le sujet, je me suis heurté à une incompréhension totale : aucun éditeur n’a voulu prendre mon livre. Le cercle de ceux qui s’y intéressaient ne s’est élargi que très progressivement.
À mon avis, la raison pour laquelle beaucoup de gens s’intéressent à l’hindouisme actuellement, c’est que l’on est déçu de la conception du monde dans lequel nous vivons. En Occident, nous nous sommes appuyés sur deux piliers fondamentaux, la religion et la science. Pour toutes sortes de raisons, le nombre de gens qui fréquentent les églises ou les temples diminue continuellement, et ceux qui sont profondément religieux sont de moins en moins nombreux. Quant à la science, en laquelle nous avions mis toute notre confiance _ on pensait qu’elle allait nous assurer le bonheur et la paix _, on s’aperçoit qu’elle nous a apporté la bombe atomique et qu’elle est en train de nous apporter l’informatique.
En ce moment, la science et la religion ont perdu beaucoup de leur crédibilité aux yeux des gens. Alors on cherche autre chose, et particulièrement les jeunes. Ce peut être la drogue, l’hindouisme, le bouddhisme, le zen, les arts martiaux japonais, le communisme, etc. Et pour moi, la motivation des gens qui vont vers la drogue est exactement la même que celle des gens qui vont vers l’hindouisme. C’est un refus des valeurs que nous leur avons transmises.
Alors, ceux qui vont vers la drogue se cassent la figure assez vite, même si cela leur donne de grandes joies pendant un certain temps. L’hindouisme, y compris le Hatha-Yoga, donne moins de satisfaction pour commencer, mais progressivement les gens s’aperçoivent que cela leur donne quelque chose qui leur convient. Et puis naturellement il y a le goût de l’exotisme qui intervient et qui joue un rôle chez beaucoup de gens.

C’est peut-être pour cela qu’on ne parle pas beaucoup du Karma-Yoga, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’exotisme là-dedans ?

Oui. Il n’y a pas de gens qui se mettent à propager le Karma-Yoga, à l’inverse du Hatha-Yoga par exemple. Mais je dois dire que, dans les conférences que je donne, ce Karma-Yoga passionne les gens, il provoque dans l’auditoire de nombreuses réactions, pour ou contre. Je fais suivre mes causeries de débats qui sont toujours extrêmement animés, et je sais que les gens continuent à en discuter ensuite entre eux ou à y réfléchir individuellement. Cela a un très gros impact, évidemment sur des petits groupes pour commencer. Mais je n’ai pas du tout l’intention de faire de la propagande ou de la publicité. Ce n’est pas mon genre.

Source: https://brunosourdin.blogspot.com/2014/12/fais-ce-que-dois-advienne-que-pourra.html

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Sri Aurobindo, poète unique de l'Inde profonde

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Bruno Sourdin

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Joyeux Noël et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté

24 Décembre 2023 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Catholicisme, #Christianisme, #Islam, #Jean Herbert, #Religion, #Palestine, #Râmakrishna, #Hindouisme, #Inde, #Bharat

Crèche dans une église chrétienne de Palestine

Crèche dans une église chrétienne de Palestine

481.- Vous cherchez Dieu ? Alors cherchez-Le dans l'homme! Sa divinité se manifeste dans l'homme plus que dans tout autre objet. Cherchez un homme qui déborde de l'amour de Dieu, un homme qui ait soif de Dieu, un homme ivre de Son amour. Dans un tel homme, Dieu s'est incarné.

Râmakrishna (Inde, 1836-1886)

In: Jean Herbert, L'Enseignement de Râmakrishna. Albin Michel coll. Spiritualités vivantes, Paris, 1942.

Joyeux Noël et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté

Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.

La célèbre prière de  saint Ignace de Loyola est interprétée en 2005, dans une incomparable composition anonyme, par le chœur "Vox imperfecta", dans l'église de l'Assomption de la Vierge Marie, à Pilsen  (République tchèque).

 

Anima Christi (Âme du Christ)

 

Âme du Christ, sanctifie-moi.
Corps du Christ, sauve-moi.
Sang du Christ, enivre-moi.
Eau du côté du Christ, lave-moi.
Passion du Christ, fortifie-moi.
Ô Bon Jésus, écoute-moi.
Cache-moi dans tes plaies.
Permets-moi de ne pas être séparé de toi.
Défends-moi contre le méchant ennemi.
À l'heure de ma mort, appelle-moi
et fais-moi venir à toi
Pour qu'avec tes saints je puisse te louer
pour les siècles des siècles. Amen.

 

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Râmakrishna: La douceur de Dieu

21 Décembre 2023 , Rédigé par Sudarshan Publié dans #Bharat, #Hindouisme, #Religion, #Râmakrishna, #Jean Herbert

Râmakrishna: La douceur de Dieu

936.- Tout se ramène en réalité à ceci, qu'il faut L'aimer et goûter Sa douceur. Il est la sève sucrée et l'adorateur est celui qui la déguste. Il est le lotus et le dévot est l'abeille qui boit le nectar dans le lotus.

De même que l'adorateur ne peut vivre sans Dieu, de même Dieu ne peut Se passer d'adorateurs. Alors, c'est le dévot qui devient la sève et c'est Dieu qui la déguste; le dévot devient le lotus et Dieu devient l'abeille. Il est devenu doux pour goûter Sa propre douceur; c'est l'explication du divin Jeu de Krishna et de Râdhâ*.

Râmakrishna

In: Jean Hébert, L'Enseignement de Râmakrishna. Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, Paris, 1942.

NDLR:

Radha-Krishna (IAST rādhā-kṛṣṇa, Sanskrit : राधा कृष्ण) est la forme combinée du dieu hindou Krishna et de sa principale consort et shakti Radha. Ils sont considérés comme les réalités féminines et masculines de Dieu, dans plusieurs traditions krishnaïtes du vaishnavisme.

Dans le krishnaïsme, Krishna est appelé Svayam Bhagavan et Radha est illustrée comme la puissance primordiale des trois principales puissances de Dieu, Hladini (immense félicité spirituelle), Sandhini (éternité) et Samvit (conscience existentielle), dont Radha est l'incarnation du sentiment d'amour envers Krishna (Hladini).

Avec Krishna, Radha est reconnue comme la Déesse Suprême. On dit que Krishna n'est rassasié que par le service dévotionnel dans la servitude amoureuse, personnifiée par Radha. De nombreux dévots la vénèrent pour atteindre Krishna par son intermédiaire. Radha est également décrite comme étant Krishna lui-même, divisé en deux pour les besoins de son plaisir. Selon les écritures, Radha est considérée comme l'incarnation complète de Mahalakshmi.

On croit que Krishna enchante le monde, mais que Radha l'enchante également. C'est pourquoi elle est la déesse suprême de tous, et ensemble, ils sont appelés Radha-Krishna. Dans de nombreuses sections Vaishnava, Radha Krishna est souvent identifiée comme les avatars de Lakshmi Narayan.

https://en.wikipedia.org/wiki/Radha_Krishna

Fresque de Radha Krishna datant du XIVe siècle à Udaipur, Rajasthan

Fresque de Radha Krishna datant du XIVe siècle à Udaipur, Rajasthan

Radha-Krishna ardhanari - représenté comme moitié homme et moitié femme. Image: Redtigerxyz / Wikipedia

Radha-Krishna ardhanari - représenté comme moitié homme et moitié femme. Image: Redtigerxyz / Wikipedia

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