lettres
"Souvent par amour, mais toujours par gentillesse" (Eric de Bisschop)
Aux popa'a qui ne se sont pas souciées du bonheur de ceux qui les aimaient.
Détail d'un autoportrait (appareil photo télécommandé par un fil tenu à la main) du navigateur Harry Pidgeon (second homme à réaliser le tour du monde en solitaire) en compagnie d'une jeune femme de Samoa (1922). Image extraite de l'article d'Eric Vibart sur Harry Pidgeon dans la revue Voiles et Voiliers N°442 (décembre 2007)
Nul doute que, depuis deux mille ans, et après l'inique sujétion des femmes dans la société romaine, l'institution chrétienne du mariage et l'Amour avec un grand A (c'est à dire exclusif ou criminalisé) ont donné aux femmes en Occident un pouvoir exorbitant sur les hommes, d'autant plus qu'elles donnent la vie et qu'elles règnent sur le foyer. Dominer ou être dominé est presque toujours l'unique enjeu du couple, alors que, comme dans le Tao, il faudrait chercher l'équilibre entre les contraires et le bonheur de chacun. La confusion entre les activités masculines et féminines à notre époque a compliqué les choses encore plus. Tout cela a été une source infinie d'abus, d'incompréhension et de malheurs. Paul Gauguin, Eric de Bisschop, Jacques Brel et Bernard Moitessier avaient parfaitement compris cela; eux qui partirent finir leur vie (ou commencer une nouvelle ?) dans le Pacifique, auprès et avec le peuple maori...
P.O.C.
Sur le même blog: http://pocombelles.over-blog.com/2017/10/lorsque-marguerite-yourcenar-parlait-des-femmes-et-du-feminisme.html
Ces jeunes et ravissantes popa'a qui bronzent au soleil sur une plage européenne ne seront jamais des vahinés, au grand dam de leurs soupirants... Photo: Kingston.
Souvenir du printemps dernier
Platanthera chlorantha (Orchidaceae), entre St Benoît et la D 906. Photo: Pierre-Olivier Combelles, mai 2016.
Comme Linné l'avait compris et démontré*, la botanique est une science amoureuse. A un certain degré, elle devient poésie.
Pierre-Olivier Combelles
* Carl von Linné: Voyage en Laponie https://www.ladifference.fr/media/feuilleteuse/extrait-978-2-7291-1412-1.pdf
Cet article est une republication. Source: http://pocombelles.over-blog.com/2016/06/les-belles-de-mai-la-platanthere-platanthera-chlorantha-orchidaceae.html
Le Peuple de l'Herbe
A présent laissez-moi, je vais seul.
Je sortirai, car j'ai affaire: un insecte
m'attend pour traiter. Je me fais joie
du gros oeil à facettes: anguleux,
imprévu, comme le fruit du cyprès.
Ou bien j'ai une alliance avec les pierres
veinées-bleu: et vous me laissez également,
assis, dans l'amitié de mes genoux.
Saint-John Perse, Éloges (1908)
Le Peuple de l'Herbe se soucie-t-il des hommes ? Les connaît-il seulement ? Rien n'est moins sûr. Tout nous porte à penser qu'ils n'existent pas pour eux dans l'espace de leur courte vie (courte pour nous, longue pour eux), pas plus que les milliards d'autres espèces animales et végétales qui peuplent la Terre n'existent pour les hommes, surtout pour cette majorité de nos congénères déracinés qui vivent aujourd'hui enfermés dans les mégapoles, les trains, les autos et les avions. Cette pensée nous libère du poids écrasant de notre responsabilité d'êtres prétentieux, insatiables et destructeurs.
Pierre-Olivier Combelles
Photos de l'auteur. Appareil: Fujifilm X100T. Certaines images sont recadrées. Clicquez dessus pour les agrandir.
Sur le même sujet, par le même auteur et sur le même blog:
Misumena vatia, une araignée en kimono dans une orchidée
Orchis bouc (Himantoglossum hircinum, Orchidaceae) sur un talus. Elle doit son nom inattendu, moins à la forme de ses fleurs qu'à son fort parfum rappelant celui de l'animal. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)
L'araignée-crabe Misumena vatia (Thomisidae) à l'affût sur un labelle d'orchis bouc. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)
Une petite araignée (Araniella cucurbitina ?) enveloppe sa proie sur un Orchis bouc (Himantoglossum hircinum). Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)
Le Dermestidae Oedemera nobilis sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)
Le longicorne Rutpela maculata sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)
Libellule (Libellula quadrimaculata ?) sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)
Vulcain (Vanessa atalanta) aux ailes usées, posé sur une appétissante (pour lui !) crotte de chien au milieu du chemin entre un champ et la forêt. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)
Un Flambé (Iphiclides podalirius) vient de naître sur une haie, encore tout engourdi. En Asie, le Papillon est le symbole de l'amour éternel, de la joie et aussi de la transformation, comme celle de l'âme qui quitte le corps après la mort. En grec, le même terme "psyché" désigne à la fois l'âme et le papillon. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)
XXXVI
Beau papillon près du sol
à l'attentive nature
montrant les enluminures
de son livre se vol.
Un autre se ferme au bord
de la fleur qu'on respire:-
ce n'est pas le moment de lire.
Et tant d'autres encor,
de menus bleus, s'éparpillent,
flottants et voletants,
comme de bleues brindilles
d'une lettre d'amour au vent,
d'une lettre déchirée
qu'on était en train de faire
pendant que la destinataire
hésitait à l'entrée.
Rainer Maria Rilke, Les Quatrains Valaisans
Gallimard, N.R.F., 1926.
La Lune (Guy Georgy)
( à suivre)
Guy Georgy: La folle avoine, Flammarion, 1991.
http://pocombelles.over-blog.com/article-la-folle-avoine-guy-georgy-1918-2003-110809866.html
Jean-Henri Fabre: nomenclature scientifique
Jon Fjeldså
http://snm.ku.dk/english/staffsnm/staff/profile/?id=75192
J'ai eu il y a quelques années un échange passionné avec l'ornithologue et (extrêmement talentueux) peintre animalier danois Jon Fjeldså, du Muséum d'Histoire naturelle de Copenhague, auteur avec Niels Krabbe du magnifique ouvrage Birds of the High Andes . Je me révoltais contre la laideur et le caractère inapproprié des noms scientifiques des oiseaux des Andes, alors que leurs noms vernaculaires en quechua ou en aymara sont si beaux et si précis (ils expriment généralement la caractéristique principale de l'oiseau). Et il est vrai que dans Birds of the High Andes, il n'y a pas un seul nom local... Jon Fjeldså croyait que je mettais en doute l'utilité et la nécessité de la nomenclature scientifique en latin. Absolument pas, évidemment. Mais, comme j'ai tâché de le lui expliquer, je souhaitais que les scientifiques utilisassent plus souvent les noms vernaculaires pour composer les noms scientifiques, au lieu de les ignorer.
P.-O.C.
Voici ce qu'écrit heureusement Jean-Henri Fabre à ce sujet:
"L'Aranéide qui m'a fait assister à la pleine magnificence de l'exode s'appelle, d'après la nomenclature officielle, Thomisus onustus Walck. S'il n'éveille rien dans l'esprit du lecteur, ce nom a du moins l'avantage de ne pas offenser le larynx et l'oreille, comme le font trop souvent les dénominations savantes, plus voisines de l'éternuement que du langage articulé. Puisqu'il est de règle d'honorer bêtes et plantes d'une étiquette latine, respectons au moins l'antique euphonie ; abstenons-nous des expectorations rocailleuses, qui crachent le nom au lieu de le prononcer.
Que fera l'avenir devant la marée montante d'un vocabulaire barbare qui, sous prétexte de progrès, étouffe le réel savoir ? Il relèguera le tout dans les bas-fonds de l'oubli. Mais ne disparaîtra jamais le terme vulgaire, qui sonne bien, fait image et renseigne de son mieux. Telle est la dénomination d'Araignée-Crabe appliquée par les anciens au groupe dont fait partie le Thomise, dénomination assez juste car il y a dans ce cas analogue manifeste entre l'Aranéide et le Crustacé." (...)
Jean-Henri Fabre: L'araignée-crabe in: Souvenirs entomologiques, 1905, IXème Série, Chapitre 5.
http://www.e-fabre.com/biographie/souvenirs_sommaire.htm
Sur la Thomise variable (Misumena vatia) et sur le même sujet, sur ce même blog: http://pocombelles.over-blog.com/2015/06/misumena-vatia-une-araignee-en-kimono-dans-une-orchidee.html
Jean-Henri Fabre chez lui, à l'Harmas.
Il y a toujours des exceptions... Ici, une autre Araignée-crabe (Thomisidae), la Thomise variable, au beau nom scientifique "japonais" Misumena vatia. Cette belle geisha en kimono nacré, blanc et vert, guette ses proies sur une marguerite semblable au soleil du drapeau japonais... Photo: Pierre-Olivier Combelles (2015). Appareil: APN Fujifilm X100T.
Une grotte au coeur du monde
"Une grotte au cœur du monde, lieu de l'existence sanctifiée, lieu de renaissance..."
Claude-Henri Rocquet, L'apparent et le caché dans l'oeuvre de Mircea Eliade, in L'épreuve du labyrinthe - Mircea Eliade, Entretiens avec Claude-Henri Rocquet. Editions du Rocher, 2006.
Et quelque part au monde où le silence éclaire un songe de mélèze ...
"Confortablement allongés au soleil sur la toundra parsemée de conifères prostrés, les Montagnais savourent la viande noire et parfumée, enveloppée de graisse fondante, des jeunes shikaunish*. Tout en mangeant, ils contemplent le spectacle magnifique des îles et de la côte, couleur vert-de-gris, qui s'étend autour d'eux entre le ciel bleu et la mer irisée par une brise légère. Le silence est seulement troublé par les cris des sternes et des goélands et par le bruit lointain du ressac sur des récifs, au large. L'un d'entre eux se lèvera peut-être pour aller ramasser quelques poignées de chicoutés (Rubus chamaemorus L.), juteuses et sucrées à souhait, qu'il partagera avec ses compagnons en guise de dessert. Leur repas terminé, les Montagnais vont allumer une bonne pipe et la fumer béatement tout en discutant et en plaisantant. Puis ils plieront bagage et remonteront dans leur chaloupe, pour continuer la chasse et établir leur campement pour la nuit dans une anse retirée de la côte."
* Guillemot à miroir (Cepphus grylle), un Alcidé.
Pierre-Olivier Combelles. Le voyage de John James Audubon au Labrador (1833) et sa contribution à l'histoire naturelle de la Côte-Nord du Québec. Mémoire de Diplôme d'Etudes Doctorales. Muséum national d'Histoire Naturelle, Laboratoire d'Ethnobiologie-Biogéographie, Paris, 1997.
Rédigé à partir du journal de bord de Pierre-Olivier Combelles (environs de La Romaine, en compagnie du Montagnais Etienne Mollen, sur la Basse Côte-Nord du Québec, le 4 août 1993).
Paul Léautaud
J'ai un faible pour Paul Léautaud. En fouillant dans un de mes cartons de livres, je viens de retrouver "Propos d'un jour" (Mercure de France, 1947), que je n'avais pas relu depuis une trentaine d'années. Il est toujours aussi amusant et vrai:
"Méfiez-vous d'un écrivain qui a fait sa carrière sans rien demander à personne, et qui, à cinquante ans passés, n'est pas décoré. Ce ne peut être qu'un mauvais esprit, et dangereux."
"Un savant est un homme qui sait beaucoup de choses qu'il faudrait connaître beaucoup mieux que lui pour savoir s'il n'est pas un âne."
"Les professeurs sont faits pour les gens qui n'apprendraient rien tout seuls".
(Citant Sainte-Beuve): "Un membre de l'Académie écrit comme on doit écrire. Un homme d'esprit écrit comme il écrit."
"Je ne suis pas si sec qu'on pourrait le croire pour cela. Une action généreuse? Aussitôt mes yeux se brouillent d'émotion. je raconte souvent cette anecdote. je la tiens d'un jeune officier qui me rendait visite au Mercure pendant la guerre et qui avait été témoin du fait. Après une affaire assez sérieuse, on avait amené dans une ambulance un groupe de blessés, au nombre desquels un capitaine français fort endommagé et un soldat allemand qui n'en menait plus large. Toute l'ambulance se précipitait vers le capitaine. Celui-ci, arrêtant tout le monde d'un geste: "Prenez le "Boche". Il est plus pressé que moi". Je tire mon chapeau, de loin, à cet homme."
"Je donne mon salut à la mémoire des Vendéens qui se soulevèrent pour n'être pas soldats par force. Grand exemple donné par des hommes du véritable amour de la liberté. On ne reverra plus cela."
"Toi qui veux écrire, ne lis rien de bas comme esprit, de commun comme style, de servile comme idées, de populaire comme tendances. Cherche toujours haut et libre."
"Ce n'est pas la classe [NDLR: sociale] qui fait l'homme".
"Écrire! Quelle chose merveilleuse! Deux individus associés en un seul: l'un, dont la plume court au gré de son esprit, - l'autre, en même temps, qui surveille, juge, pèse, décide."
"Je ris de moi, le soir, enfermé dans ma chambre, assis à mon petit bureau, devant mes deux bougies allumées, de me mêler d'écrire, pour quels lecteurs, Seigneur! au temps que nous sommes."
C'est le charme de l'intelligence et de l'indépendance, deux qualités assez rares, surtout lorsqu'elles sont réunies. Cela fait pardonner bien des choses.
Une goélette sous les fleurs (St-John Perse)
"Pendant l'enfance du poète, aux Antilles, une goëlette fut déposée par un cyclone au milieu de son île natale. Elle s'y trouva bientôt transformée en corbeille de
fleurs. C'est ce bâtiment recouvert par la végétation tropicale qui est décrit dans Pour fêter une Enfance, II:
Et aussitôt mes yeux tâchaient à peindre
un monde balancé entre des eaux brillantes,
connaissaient le mât lisse des fûts, la hune sous les feuilles, et les guis et les vergues, les haubans de liane,
où trop longues, les fleurs
s'achevaient en des cris de perruches.
Roger Caillois, Poétique de St-John Perse, Gallimard, 1972.
Nicolás Gómez Dávila, un moraliste marrane, comme son maître, l'humaniste catholique Michel de Montaigne ?
" La société libre n'est pas celle qui a le droit d'élire ceux qui la gouvernent, mais celle qui élit ceux qui ont le droit de la
gouverner ".
Nicolás Gómez Dávila ("Escolias para un texto implicito")
Belle formule, belle pensée aristocratique, mais qui soulève quand même quelques objections.
A première vue, il s’agit d’une simple opposition entre la démocratie, qu'il déteste, et l’aristocratie.
Mais Nicolás Gómez Dávila écrit " élit ".
Objection: dans la vie, choisit-on ceux qui ont le droit de nous gouverner ?
1) Un père de famille est-il élu par ses enfants pour avoir le droit de les gouverner ? Doit-il être choisi par eux ? Non, évidemment. Un père de famille gouverne ses enfants parce qu’il est le père. Sa nature crée son droit. On appelle aussi cela le droit divin, surtout lorsque le père ou la mère reconnaissent qu’ils secondent l’œuvre de Dieu et qu’ils obéissent à son autorité supérieure. La force crée le droit. Le droit n’est pas la justice.
2) Une société est une association, c'est à dire un groupement de personnes physiques ou morales qui s’unissent volontairement
afin de défendre certains intérêts ou de poursuivre certains buts, et seulement dans cette finalité. Les membres d'une société élisent ceux
qui vont la diriger. C'est pourquoi une famille n'est pas une association ni une société, un peuple non plus, ni même une nation (cf Bonald), car ses membres n'en font pas partie par
choix, mais parce qu'ils sont nés dans cette condition.
3) Toute élection est un choix entre égaux en droits.
Nicolás Gómez Dávila écrit aussi : "libre".
"Libre" rime donc pour lui avec "élection". " La société libre est celle qui élit "… Il place la liberté dans le choix, dans l’élection, et donc dans l’égalité. De qui ? De ceux qui ont le droit de gouverner et qui ne peuvent être la totalité du peuple, mais une partie, c'est à dire l'aristocratie.
S'il donne au terme "société" son sens courant, moderne (et erroné) de "peuple", pourquoi n'a t-il pas quand même écrit: "La société n'est pas celle qui a le droit
d'élire ceux qui la gouvernent, mais celle qui obéit à ceux qui ont le droit de la gouverner ?"
Pour Nicolas Gomez
Davila, un enfant qui obéit à son père qu’il n’a pas choisi, un sujet qui obéit à son seigneur ou à son roi, un chrétien qui obéit à son Seigneur Jésus-Christ, Dieu fait
homme, sont-ils vraiment libres ?
Pour lui, peut-on, doit-on servir librement une autorité supérieure légitime que l'on n'a pas choisie?
Il semblerait que non.
Sa "scolie" n'est-elle pas un sophisme, finalement ?
Qui est vraiment Nicolas "Gomez" "Davila", l'aristocratique Montaigne colombien du XXe siècle ? Un marrane ?
"Je n'ai jamais reçu bien quelconque de la libéralité des rois, non plus que demandé ni mérité, et n'ai reçu nul paiement des pas que j'ai employé à leur
service (...) Je suis, Sire, aussi riche que je me souhaite" (Montaigne)
Béthune