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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

esquimaux (eskimos, inuit)

Uummaa, "le coeur battant de la terre": le combat de Jean Malaurie pour la pensée sauvage

19 Janvier 2015 , Rédigé par POC Publié dans #Jean Malaurie, #Arctique, #Ethnologie, #Esquimaux (Eskimos, Inuit), #Sibérie, #Russie, #Sciences

L'Allée des Baleines sur la côte nord de l'île Yttygran, au sud de la péninsule tchouktche dans le district autonome de Tchoukotka à l'extrême est de la Sibérie. Source: Les peuples premiers de l'Arctique, par Jean Malaurie. Rayonenment du CNRS N°53, Fev. 2010.

L'Allée des Baleines sur la côte nord de l'île Yttygran, au sud de la péninsule tchouktche dans le district autonome de Tchoukotka à l'extrême est de la Sibérie. Source: Les peuples premiers de l'Arctique, par Jean Malaurie. Rayonenment du CNRS N°53, Fev. 2010.

France 3 Haute-Normandie diffuse un reportage sur Jean Malaurie dans lequel il évoque pour nous sa vie avec les Inuit et lance un cri d'urgence face aux périls d'acculturation que connaissent les peuples circumpolaires.

Dans cet entretien, Jean Malaurie s'attache à l'ouvrage qu'il est en train d'achever, Uummaa, Une prescience sauvage. Naturaliste de formation, bachelardien, Jean Malaurie analyse la perception que les peuples premiers, notamment dans l'Arctique, ont des forces immatérielles, ce que Goethe appelait le Naturgheist. L'animisme, à proprement parler, le vitalisme est au coeur de l'histoire spirituelle des premiers hommes et des sociétés traditionnelles actuelles. Dans une conception écologique plus large, la nature est perçue comme un tout sacré où l'homme ne fait qu'un avec la nature. Dans cet esprit, Jean Malaurie témoigne que les peuples premiers sont en réserve de l'histoire de l'humanité qui ne cesse de se construire. Leur pensée sauvage s'avère pour ceux qui en ont intimement partagé la vie comme Jean Malaurie, une philosophie, une spiritualité. Pour Jean Malaurie, leur "prescience sauvage" doit être méditée par l'Occidental, qui, dans sa course effrénée vers le progrès, précipite sa ruine. Selon le mot de Claude Lévi-Strauss, " le monde a commencé sans l'homme et s'achèvera sans lui ".

Source: site internet de Jean Malaurie:

http://www.jean-malaurie.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=97&Itemid=45

 

De nombreux lecteurs nous ont demandé quand sortira Uummaa [Le coeur battant de la terre, en inuktitut], l'ouvrage très attendu du Professeur Jean Malaurie.Voici sa réponse :

Mon ouvrage est terminé, il est en deux tomes. Mais tel un de mes maîtres inuit, je suis sévère à mon endroit. Par conséquent, je me relis avec un esprit critique. Le combat en faveur de la pensée sauvage des hommes du paléolithique supérieur est d'autant plus difficile que les éventuels contradicteurs que j’invente sont sourds et aveugles. Ils n'ont pas encore compris que l'histoire de l'homme commence au tout début de la préhistoire. C'est le combat d'Uummaa de mettre en évidence cette révélation de la géométrie des signes dont ces peuples sont imprégnés – ils pensent en image, mais pas avec des mots –, et dont ils témoignent dans les cultures que j’ai étudiées en Tchoukotka sibérienne et dans l'Allée des baleines, avec mes amis Russes et les élèves de l'Académie Polaire d'État de Saint-Pétersbourg. Uummaa fait une analyse détaillée de la géométrie des lignes et de leur sens caché des cultures ipiutak et ekven de la Tchoukotka récemment découverte par mon très ancien ami, l’archéologue Aroutiounov. Ces découvertes sont un événement de première importance dans l’histoire des idées concernant l’évolution de la conscience humaine. Nos grands aïeux étaient des bachelardiens.

A très bientôt quand le livre paraîtra, sans doute en 2015.

Jean Malaurie
 
Source: site internet de Jean Malaurie:
 

Le professeur Jean Malaurie est un des parrains de l’exposition Arts de guérir en Afrique traditionnelle, qu’organise le MUCAVAN
(MUsée Vivant des Arts et Civilisation d'Afrique Nantais).

Cette exposition se tient du 8 décembre 2014 au 3 janvier 2015 à l’espace Cosmopolis de Nantes

À l’occasion de ce très bel évènement, Jean Malaurie a tenu à adresser un message aux chercheurs du monde entier :

 

Mesdames et Messieurs les savants,

Je vous apporte le message d’un métis inuit. Écouter, c’est une grande vertu, mais elle suppose que l’on sache aussi s’écouter. Et c’est alors qu’on perçoit ce que l’un de nos grands maîtres, à l’ironie champenoise indifférente aux honneurs, Gaston Bachelard, appelle le pouvoir de l’imaginaire. Ilihamahuq (langue de Thulé) : il commence à comprendre, parce qu’il laisse vivre toute sa sensibilité ; c’est un sage.

Les peintres impressionnistes nous ont appris la prégnance de tous nos sens avec la couleur et
l’énergie de la matière. Les peuples premiers nous apprennent, eux, à entendre le silence après avoir tenté de comprendre la langue du vent, de la glace, des minéraux, des végétaux, de nos frères : le chien, le loup, la baleine, le corbeau, tous nos cousins les animaux que nous mangeons en riant pour pouvoir vivre et qui nous font savoir, par des mouvements de notre estomac, qu’ils sont contents d’être les invités de celui-ci ou celui-là qui manifeste sa bonne humeur.

Il faut être fraternel avec ceux qui ont fondé l’histoire de l’univers : le grain du minéral, l’énergie de la lune et du soleil, l’eau, puis : le mystère de la vie. Je vous confesserai que, parmi mes grands amis, je compte les trilobites de l’Ordovicien qui ont été bercés par les vagues des mers cambriennes ayant recouvert le socle archéen.

Avec les maîtres du candomblé et les chamans, nous savons qu’au bout du chemin il nous faudra entreprendre une nouvelle étape de notre vie. Après nous être ensevelis dans ce qui fonde l’univers, il nous faudra apprendre, dans le noir, à traverser les invisibles à la recherche des limbes de l’éternité.

Toute ma vie, j’ai recherché le savoir du paléolithique supérieur.

 

 Merci au Professeur Jacques Barrier et au comité de parrainage. Et grand merci à tous ces pourfendeurs de nos certitudes.

 

Jean Malaurie, le 09 décembre 2014

 

Source: Site internet de Jean Malaurie: http://www.jean-malaurie.fr/index.php?option=com_content&task=blogsection&id=9&Itemid=45&lang=english

 
Extrait d'un entretien de Jean Malaurie avec Le Point (10/11/2011)
 

Propos recueillis par Valérie Marin La Meslée.

Le Point : Votre collection "Terre humaine" se découvre actuellement à la BNF en photographies. Celles de Claude Lévi-Strauss ont joué un grand rôle dans la publication de Tristes tropiques, en 1955, second titre de la collection après le vôtre, Les derniers rois de Thulé...
Jean Malaurie : En cherchant des auteurs, je suis tombé sur sa thèse complémentaire consacrée aux Indiens Nambikwara, mais ce sont ses photos qui, surtout, m'ont frappé. Voilà un frère, me suis-je dit, qui a compris la beauté, l'allégresse des Indiens, leur intégration dans la nature. C'est du Gauguin ! Je lui ai écrit le soir même. De notre rencontre est né Tristes tropiques, qu'il m'a dédicacé ainsi : "À Jean Malaurie, à qui je suis obligé de m'avoir obligé d'écrire ce livre." Certaines photographies sont l'expression de la relation intime d'un homme avec ce qu'il voit. C'était le cas de celles de Claude Lévi-Strauss.
Quelle part occupe la photographie dans "Terre humaine" ?
La force de cette collection n'est pas seulement de mettre sur le même plan Lévi-Strauss et un paria des Indes, en considérant que la pensée est majestueuse, quels que soient les titres des auteurs. C'est aussi d'avoir montré que la photographie est une écriture, et même une pensée. Voyez Louons maintenant les grands hommes, de James Agee et Walker Evans. Agee travaillait sur la pauvreté des paysans d'Alabama, et c'est lui qui m'a dit : "Avec ses photos, Walker Evans va plus loin que moi." Dans ce livre unique, il a choisi de mettre les deux auteurs sur le même plan de paternité. C'était tout à fait nouveau dans ce monde des voyageurs ! La BNF, cette vieille institution, m'enchante parce qu'elle a compris cela. Je suis heureux de lui donner toutes mes archives pour le fonds "Terre humaine".
Votre premier livre fut un cri de révolte contre l'installation d'une base militaire américaine en terre inuite, où vous vous trouviez comme géographe en 1951. Depuis, vous continuez à pousser des cris d'alarme. Êtes-vous né indigné ?
"Terre humaine" est une collection de combats. Contre l'université et ce vice des intellectuels français de croire que leur philosophie est la seule au monde. Contre l'Occident et son approche tout à fait erronée de l'histoire de l'humanité qui tourne autour de lui-même. Avec "Terre humaine", nous avons décentré le regard, montré que la pensée sauvage est une pensée. Pour vous répondre, je dois dire qu'à la clé de ma vie se trouve la Résistance. Préparant Normale sup, j'ai assisté à cette démission des corps intellectuels. Je ne demandais pas qu'ils soient tous résistants, mais cette période où j'ai vu la pensée française adhérer à des idées fondées sur le mépris de l'autre parce qu'il n'est pas de la même "race" m'a donné envie de fuir. Et cette menace est toujours là, qu'il s'agisse de race ou de culture. Croire que la nôtre est supérieure, je n'ai jamais pu le supporter.
Le Grand Nord vous a attiré, puis retenu. De quel ordre est cette relation que vous entretenez avec les Inuits ?
Je cherchais un espace où me trouver, qui ne pouvait qu'être un désert. Lors d'une expédition au Groenland comme géographe, j'ai fait une rencontre capitale avec un chaman. Laissez-moi vous lire ce moment qui a changé ma vie, car je suis en train de corriger les épreuves d'un livre presque testamentaire, Uummaa. Une prescience sauvage. (Il lit. S'interrompt.) Je suis ému, car je me suis transformé sous les yeux des Esquimaux en découvrant le primitif en moi. Ce fut un trou noir. Le Malaurie revenu de Thulé n'était plus le même. Mais je suis resté un chercheur, car je n'ai rien de Little Big Man ! Mon itinéraire a dès lors été celui d'une conscience en paix, liée à ce peuple par la "mission" que m'a confiée ce chaman... Ce que je dois de plus précieux à mes amis Inuits traditionnels ? La paix de l'âme, car je sais que je reviendrai dans ce corps qui m'a fait naître : la nature.
Que nous apprennent aujourd'hui ces peuples du Nord auxquels vous avez consacré l'essentiel de votre science et de vos engagements ? Une écologie ?
D'abord une spiritualité ! Il faut voir ce site sacré de l'allée des Baleines, dont j'ai demandé qu'elle soit classée au patrimoine de l'humanité. Ces hommes dits primitifs ont toutes sortes de règles qui les maintiennent en équilibre avec la nature, si rude autour d'eux, alors que nous sommes devenus fous, guidés par ce mal qui s'appelle l'argent. Le développement n'est pas une mauvaise chose, mais à condition de le considérer comme une écologie humaine, en relation avec le sol et les cultures immémoriales. Ces hommes ont tous les atouts, la richesse, et on va en faire des Suisses, avec des actions ! Après la ruée vers l'Ouest, voici la ruée vers le Grand Nord, son pétrole, ses minerais. C'est la terre mère qu'on va faire disparaître. Et personne ne se soucie des hommes qui paraissent en arrière de l'Histoire, car ils ont peur. Le développement trop rapide dans l'Arctique, et ailleurs, détruit les savoirs anciens, conduit les hommes à l'alcool et au suicide. Nous avons une écologie à inventer, la leur est sacrée, et si l'écologie n'a pas cette dimension spirituelle, personne n'y adhérera. Ces peuples, dans leur approche animiste, ont compris que la nature est le tout. Le monde a besoin des peuples premiers, de ce nouveau souffle pour une spiritualité de la nature.
Mais quel est le pouvoir d'un intellectuel comme vous ?
Plus que jamais nous sommes des gêneurs et nous sommes sacrifiés. La minorité, c'est moi. Comment l'intellectuel qui n'est pas d'accord va-t-il faire entendre sa voix ? Et le peintre, le créateur, le poète, celui qui nous libère ? Le temps des colloques et des congrès est passé, je lance aujourd'hui sur Internet, avec l'organisation Bibliothèques sans frontières, un observatoire international de l'Arctique dont le but est que les Indignés s'organisent. Il faut susciter des énergies, trouver des éclaireurs, car nous n'y voyons plus clair ; or des personnalités peuvent nous aider, nous, Occidentaux, à ne pas nous ruer ainsi vers le pétrole et ses richesses. L'observatoire a pour nom Maanna, qui signifie "actuel". Il a besoin de soutiens financiers !
Avec le recul, Jean Malaurie, quels sont les outils qui vous paraissent indispensables à la connaissance de l'autre ?
(Silence.) D'abord, la solitude. Et puis l'empathie avec la souffrance de l'autre, accompagnée de la conviction qu'il y a une porte de sortie. Je pourrais nommer cela un humanisme douloureux. Tout à l'heure, dans la rue où je vous attendais, j'ai parlé avec ce monsieur, sur le trottoir. Il me dit qu'il est inspecteur des hôpitaux. Je bondis : "Je cherche pour Terre humaine depuis vingt ans le médecin qui va me parler de la salle d'hôpital, de ce moment où le malheureux qui est couché lui dit : Docteur, je vais vivre ?" Voilà, je suis en tension permanente, mes années sont courtes, mais j'ai toujours été en attente.
Un chant inuit dit : "Grand-père/aide-moi/que le brouillard disparaisse" ; vous qui êtes grand-père et père de "Terre humaine", que diriez-vous à la jeunesse ?
Je suis écossais d'origine, et d'humeur sombre, mais habité par une énergie qui me dit de ne jamais perdre courage. Chaque matin, je regarde le ciel et je suis heureux de vivre. Je voudrais que ces jeunes aient la joie de savoir que c'est un honneur de vivre. Moi, j'ai une dette vis-à-vis de ces hommes du Nord, et je suis certain que chacun avec ses qualités particulières doit accomplir son devoir d'homme. Les Inuits m'ont appris ceci : on ne naît pas inuit, on le devient. Comme on devient homme.

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Anilertunga !

26 Juin 2010 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Esquimaux (Eskimos, Inuit), #Amérindiens, #Ethnologie, #Canada, #Société, #Gabrielle Roy, #Catholicisme

"On dit que devenus vieux, se sentant un poids pour les leurs, les loups, les lions, les éléphants et d'autres - tous ceux qui vivent en bande et comptent les uns sur les autres - un beau soir, furtivement, sans mot dire, au détour d'une vallée, se glissent dans l'ombre, s'y enfoncent seuls, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé la nuit... et la mort... En fin d'une journée, à la suite d'une chasse échevelée au cours de laquelle ils avaient été incapables de prendre le relais, ils avaient réalisé que leur présence était devenue un danger à la survie de la bande... et ils s'en étaient allés. Les Esquimaux, je l'ai déjà fait remarquer, font de même. Ils n'attarderont jamais les autres en s'attardant trop longtemps, tels cette vieille Komartak, que le P. Fallaize avait bien un peu prolongée en aidant les siens en cachette. Mais elle s'était aperçue du manège, bien sûr. Et un matin de sauvage tempête de neige, elle quitta l'igloo, et sans hâte aucune, tout naturellement, elle se faufila dehors, non sans sans dire "Anilertunga !" (Je sors un moment). En vérité elle sortait pour un bien long moment, pour toujours. On retrouva sa longue robe de peau accrochée à un rocher autour duquel le vent l'avait enroulée. Elle l'avait enlevée, suivant la coutume, pour que le froid gèle plus vite son sang, arrêtant la vie. Elle aussi s'était rendu compte qu'elle gênait à la communauté.. et "Anilertunga", je m'en vais."

Roger Buliard OMI, Inunuak - Mgr Pierre Fallaize, premier missionnaire et évêque des Esquimaux du cuivre. OPERA, Paris, 1972.

Lire à ce sujet l'admirable récit de Gabrielle Roy: "La rivière sans repos", que m'avait offert l'écrivain et poète québécois Pierre Morency, qui raconte l'histoire d'une vieille Esquimaude du Grand Nord canadien qui, soignée dans un hôpital de Montréal, retourne dans son pays et meurt en se jetant dans la mer, seule.

Sur Gabrielle Roy: http://fr.wikipedia.org/wiki/Gabrielle_Roy

Anilertunga !
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