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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

Ernst Jünger (1993)

16 Janvier 2010 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles

Junger-Schmitt.jpg
Ernst Jünger et Carl Schmitt à Rambouillet (octobre 1941)


(…)

Nouvel Observateur – Que cherchez-vous en réalité dans cet univers de la pierre, de l’herbe et du papillon ? Un monde ordonné selon des lois intangibles, ou une consolation aux chaos de l’histoire ?

E. Jünger.- La passion du détail. Tout l’intérêt de ces matières consiste à savoir distinguer entre les choses d’après de subtiles variations ou de très infimes différences. Un coléoptère, c’est beau comme une phrase bien construite ; le plaisir que dispense sa contemplation est du même ordre. La botanique, c’est la grammaire de la nature. Hélas, je vous concède volontiers que les grammairiens se font rares. Même les Verts, en Allemagne, dont je ne renie pas la sympathie que m’inspire leur action, paraissent incapables de distinguer un chêne d’un tilleul.

(…)

N.O. – Le sentiment de votre durée vous laisserait-il sceptique ?

E. Jünger.- C’est une souffrance qui se paie de solitude. L’idée parfaite du vieillard a longtemps été incarnée à mes yeux par François-Joseph, l’empereur d’Autriche, dont j’ai été le contemporain. Aujourd’hui, malgré le grand âge qu’il avait atteint et au sommet duquel il symbolisait pour moi le patriarche définitif, il serait, si j’ose dire mon cadet de douze ans. C’est difficile à admettre.

N.O.- Evidemment, vous n’avez aucun secret ?

E. Jünger.- Evidemment. Je me contente d’éviter la compagnie des médecins.

N.O.- De quelle façon vivez-vous dans votre maison souabe de Wilflingen ?

E. Jünger.- Aussitôt levé, à 9 heures, je prends un bain à la température où l’eau s’échappe du robinet : 4 degrés en ce moment. Après le petit déjeuner, j’écris pendant deux heures. " Nulla dies sine linea ", c’est ma devise : pas un jour sans une ligne. Je remplace le déjeuner par une longue promenade dans les forêts de la famille Stauffenberg. Je m’offre le soir un dîner arrosé de bordeaux, puis je gagne mon lit où je passe deux heures à lire. Je m’endors vers minuit et me réveille au matin, tout mélancolique et triste.

N.O.- Pourquoi mélancolique et triste ?

E. Jünger.- Parce que je quitte les paysages merveilleux du rêve et me retrouve tout d’un coup au XXe siècle. Je fais des rêves de travail, énigmatiques, longs et colorés.

(…)

N.O.- Vous avez manifesté de l’intérieur votre hostilité au régime hitlérien, mais vous savez qu’une partie de l’intelligentsia française vous conserve une certaine rancune, et que vous continuez de lui apparaître tel que vous êtes apparu à Paris en 1941 : en uniforme d’officier allemand.

E. Jünger.- Il ne saurait être question de chercher dans l’intelligentsia française la protection sans défaut qu’assurent aux nécessiteux l’armée prussienne, la Compagnie de Jésus ou la flotte anglaise !

(…)

 

Jünger contre ses ombres – A 98 ans, l’ermite de Wilflingen continue de produire une œuvre à vocation prophétique.

Propos recueillis par Jean-Louis Ezine

Le Nouvel Observateur (1993)

La suffisance et l'ineptie de ce  journaliste (j'en sais quelquechose, il m'avait interviewé en 1988  au Salon du Livre de Paris pour la sortie de mon livre sur l'Ile de Pâques) n'émeuvent pas Ernst Jünger dont les réponses pleines de sagesse ne sont pas dénuées d'une certaine ironie (pour ne pas dire une ironie certaine). Ernst Jünger est mort en 1998.

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