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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

lettres

Tradition, par Ernst Jünger

26 Juin 2020 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Lettres

Ernst Jünger et Carl Schmitt, en barque, devant le château de Rambouillet (1941).

Ernst Jünger et Carl Schmitt, en barque, devant le château de Rambouillet (1941).

Tradition

 

par Ernst Jünger

 

 

Tradition : pour une lignée dotée de la volonté de remettre en valeur le royaume du sang, c'est un mot féroce et beau. Que la personne singulière ne vit pas simplement dans l'espace. Qu'il fasse, au contraire, partie d'une communauté pour laquelle il doit vivre et, si l'occasion se présente, se sacrifier ; c'est une conviction que possède tout homme ayant le sens des responsabilités, et qu'il défend à sa manière avec ses moyens particuliers. L'individu n'est cependant pas lié à une communauté supérieure uniquement dans l'espace, mais, de manière plus significative mais invisible, également dans le temps. Le sang des parents bat fusionné avec le sien ; il vit au sein de royaumes et de liens qu'ils ont créés, gardés et défendus. Créer, garder et défendre : c'est l'œuvre qu'il recueille de leurs mains dans les siennes, et qu'il doit transmettre avec dignité. L'homme du présent représente le point d'appui ardent entre l'homme du passé et l'homme du futur. La vie clignote comme l'éclair ardent qui court le long de la mèche qui lie, unit, les générations, bien sûr, mais les maintient liées entre elles, du début à la fin. Bientôt, l'homme actuel sera également un homme du passé, mais pour lui conférer calme et sécurité, il faudra continuer à penser que ses actions et ses gestes ne disparaîtront pas avec lui, mais constitueront le terrain sur lequel les prochains, les héritiers, se réfugieront avec leurs armes et leurs instruments.

 

Cela transforme une action en un geste historique qui ne peut jamais être absolu ou complet comme une fin en soi, et qui, au contraire, s'articule toujours au milieu d'un complexe doté de sens et d'orientation par les actes des prédécesseurs et pointant vers le domaine énigmatique de ceux qui sont là et qui sont encore à venir. Sombres sont les deux versants, et on les retrouve ici et au-delà de l'action ; leurs racines disparaissent dans la pénombre du passé, leurs fruits tombent dans la terre des héritiers qui ne pourra jamais entrevoir qui agit, et qui est encore nourrie et déterminée par ces deux versants dans lesquels précisément se fondent leur splendeur intemporelle et leur suprême fortune. C'est ce qui distingue le héros et le guerrier du lansquenet et de l'aventurier : et c'est le fait que le héros puise sa propre force dans des réserves plus élevées que celles qui sont simplement personnelles, et que la flamme brûlante de son action ne correspond pas à l'éclair ivre d'un instant, mais au feu étincelant qui fusionne le futur avec le passé. Dans la grandeur de l'aventurier, il y a quelque chose de charnel, d'irruption sauvage, et certainement pas de privé de beauté, dans des paysages variés mais dans le héros se réalise ce qui est fatalement nécessaire, fatalement conditionné: il est l'homme authentiquement moral, et son sens ne repose pas seulement en lui-même, ni seulement dans son présent, mais il est pour tous et pour tous les temps.

 

Quel que soit le champ de bataille ou la position perdue sur laquelle il se trouve, quel que soit l'endroit où un passé est préservé et un avenir doit être combattu, aucune action n'est perdue. La personne singulière peut certes s'égarer, mais son destin, sa fortune et son épanouissement valent en vérité comme le coucher de soleil qui favorise un objectif plus élevé et plus vaste. L'homme privé de liens meurt, et son travail meurt avec lui, car la proportion de ce travail n'était mesurée qu'à lui-même. Le héros connaît son coucher de soleil, mais son coucher de soleil ressemble à ce rouge sang du soleil qui promet un matin plus beau et plus nouveau. Ainsi, nous devons également nous souvenir de la Grande Guerre : comme un crépuscule brûlant dont les couleurs déterminent déjà une aube somptueuse. Ainsi, nous devons penser à nos amis tombés au combat et voir dans leur crépuscule le signe de la réalisation, le plus dur assentiment dirigé vers la vie. Et nous devons rejeter, avec un mépris crasseux, le jugement des commerçants, de ceux qui soutiennent que tout cela a été absolument inutile, si nous voulons trouver notre fortune en vivant dans l'espace du destin et en coulant dans le mystérieux courant de sang, si nous voulons agir dans un paysage doté de sens et de signification, et ne pas végéter dans le temps et l'espace où, étant nés, nous sommes arrivés par hasard.

 

Non : notre naissance ne doit pas être une coïncidence pour nous ! Cette naissance est l'acte qui nous enracine dans notre royaume terrestre, qui, avec des milliers de liens symboliques, détermine notre place dans le monde. Avec elle, nous devenons membres d'une nation, au sein d'une communauté étroite de liens autochtones. Et à partir de là, nous allons à la rencontre de la vie, en partant d'un point solide, mais en poursuivant un mouvement qui a commencé bien avant nous et qui trouvera sa fin bien après nous. Nous ne parcourons qu'un fragment de cette gigantesque avenue ; sur ce tronçon, cependant, nous ne devons pas seulement transporter tout un héritage, mais être à la hauteur de toutes les exigences du temps.

 

 Et maintenant, certains esprits abjects, dévastés par la saleté de nos villes, se lèvent pour dire que notre naissance est un jeu de hasard, et que nous aurions pu naître, parfaitement, français comme allemands. Il est vrai que cet argument s'applique précisément à ceux qui pensent ainsi. Ce sont des hommes de hasard et de chance. Il est étrange pour eux que la chance réside dans le fait de se sentir nés par nécessité au sein d'un grand destin, et de constater les tensions et les luttes d'un tel destin qui est le leur, et avec lequel ils grandissent ou même périssent. De telles mentalités surgissent toujours lorsque le mauvais sort pèse sur une communauté sanctionnée par les liens de la croissance, et cela est typique d'elles (on attire ici l'attention sur la récente et tout à fait appropriée inclination de l'intellect à s'insinuer de façon parasitaire et nuisible dans la communauté de sang, et à y falsifier l'essence selon le raisonnement, c'est-à-dire par le concept à première vue correct de communauté de destin. Mais le Noir qui a été pris en flagrant délit de souffrance en Allemagne au début de la guerre, et qui a été enveloppé dans les cartes de pain rationné, fera également partie de la communauté de destin. Une communauté de destin, en ce sens, est constituée de passagers sur un navire à vapeur qui coule, très différemment de la communauté de sang : elle est constituée d'hommes sur un navire de guerre qui descend au fond avec le drapeau au vent.

 

L'homme national attribue une valeur au fait d'être né dans des frontières bien définies : il y voit avant tout un motif de fierté. Lorsqu'il franchit ces frontières, il ne s'écoule jamais sans forme au-delà de celles-ci, mais plutôt de manière à prolonger l'extension dans le futur et dans le passé. Sa force réside dans le fait qu'il possède une direction, et donc une sécurité instinctive, une orientation de base qui lui est conférée dans la dot avec le sang, et qui n'a pas besoin des lanternes mutables et vacillantes des concepts compliqués. Ainsi, la vie se développe dans une plus grande unité, et devient donc elle-même une, car chacun de ses instants renoue avec un lien doté de sens.

 

 Clairement défini par ses frontières, par des rivières sacrées, par des pentes fertiles, par de vastes mers : tel est le monde dans lequel la vie d'une lignée nationale s'imprime dans l'espace. Fondé sur une tradition et orienté vers un avenir lointain : c'est ainsi qu'il s'imprime dans le temps. Malheur à celui qui se coupe ses propres racines ! il deviendra un homme inutile et un parasite. Nier le passé, c'est aussi nier l'avenir et disparaître parmi les vagues fugaces du présent.

 

Pour l'homme national, en revanche, il reste un grand danger : celui d'oublier l'avenir. Posséder une tradition implique le devoir de vivre la tradition. La nation n'est pas une maison dans laquelle chaque génération, comme s'il s'agissait d'une nouvelle strate de corail, doit ajouter un plan de plus, ou dans laquelle, au milieu d'un espace prédisposé une fois pour toutes, il ne sert à rien de continuer à exister ni mal ni bien. On dira qu'un château, un palais bourgeois, a été construit une fois pour toutes. Mais bientôt, une nouvelle génération, poussée par de nouveaux besoins, voit l'obligation d'apporter des changements importants. D'autre part, le bâtiment peut finir par brûler dans un incendie ou être détruit, et un bâtiment rénové et transformé vient alors s'édifier sur les anciennes fondations. La façade change, chaque pierre est remplacée, et pourtant, lié à la lignée telle qu'elle est, il reste un sens de l'ensemble : la même réalité qu'au début. Peut-être peut-on dire que même pendant la Renaissance ou l'époque baroque, il y a eu une construction parfaite, et qu'un langage de formes valable pour tous les temps s'est arrêté là ? Non, mais ce qui existait alors reste en quelque sorte caché dans ce qui existe aujourd'hui. Et aujourd'hui, cela s'articule peut-être avec audace comme l'expression d'un sentiment dans les évaluations des énergies productives suprêmes, même si malgré tout une telle expression n'est pensable que sur le terrain stratifié de la tradition. Dans chaque ligne, dans chaque unité de mesure, vibre secrètement ce qui a été, et pourtant c'est le présent qui détermine le visage de l'ensemble, au point de nous élever et de nous entraîner dans le sentiment ainsi exprimé : voilà ce que nous sommes, voilà ce que nous sommes nous-mêmes ! Et il doit en être ainsi. De même, le sang de la personne singulière est mélangé par des milliers de courants de sang mystérieux, même si cette personne singulière n'est pas, pour cette raison, la somme de ses prédécesseurs, elle n'est pas seulement le porteur de leur volonté et de leur qualité, mais, selon une particularité claire et bien définie, elle est aussi elle-même. Et c'est également le cas pour ceux qui contemplent la forme que prennent la nation et l'État. Hier nous avions un empire, aujourd'hui nous avons une république, demain nous aurons peut-être encore un empire, et après-demain une dictature. Chacune de ces figures garde, comme un héritage invisible, plus ou moins caché dans la profondeur de son langage des formes, le contenu de ce qui est passé ; chacune d'elles a au contraire le devoir d'être en tout et pour tout elle-même, car ce n'est qu'ainsi que la force prendra toute sa valeur.

 

Cela est également vrai en ce moment, pour chacun d'entre nous. Être héritier ne signifie pas être épigone. Et vivre dans une tradition ne signifie pas se limiter à cette tradition. Hériter d'une maison implique le devoir de l'administrer, et certainement pas d'en faire un musée. Les conseils des ancêtres seront ainsi préservés : Le royaume doit rester pour nous, (1) dit Luther, en déposant la pierre pour construire une église ; il savait bien qu'un royaume et un bâtiment, une force et son expression temporelle, ne sont pas la même chose. En vérité, le royaume doit rester pour nous, et c'est aussi vrai pour ce qui nous concerne, et une telle volonté de l'essentiel concerne aussi notre tradition royale : que nous puissions compter sur lui sous le toit d'une république avec la même sécurité que celle dont il peut bénéficier sous un empire. Ce qui importe vraiment, c'est que le grand courant de sang utilise tous les moyens et tous les dispositifs offerts par le temps. Si une confrontation est consommée avec les moyens d'une république ou avec ceux de l'annuaire, dans chaque cas, un seul et même résultat sera obtenu, à condition qu'un tel résultat soit atteint. À l'époque de l'arme blanche, il fallait vaincre à l'épée au temps des machines, avec des mitrailleuses, des chars, des essaims de bombes et des assauts au gaz. À l'époque patriarcale, une armée devait avoir foi dans la lutte pour son propre souverain et seigneur... à l'époque des masses, on peut se bercer d'illusions en affrontant la mort au nom de tout progrès de nature civile ou économique. Ses propres idées, sa propre foi et sa propre moralité sembleront changer en fonction de l'illumination des réflexions des âges. Précisément : il faudra les changer, et cela ne dépendra pas, bien sûr, de ses propres opinions particulières, de ses questions singulières ou de ses objectifs contingents, mais du fait que toute la force de ces idées, la foi et la morale, devra être réalisée dans le royaume du Reich.

 

Nous avons nous aussi le devoir de viser une telle réalisation. Nous devons nous aussi chercher à mettre au service du Reich les expériences effrayantes léguées à l'État moderne, à nous débarrasser de l'étreinte de l'intellect qui pense selon des calculs et à lui superposer, à l'extrême degré d'oscillation, jusqu'au dernier fragment de fer, les lois du sang. Ce n'est qu'alors que nous vivrons la tradition. Nous en sommes encore loin. Et c'est précisément l'ostentation des formes extérieures de la tradition, typique de la jeunesse d'aujourd'hui, qui constitue le signe d'un manque de force intérieure. Ne vivons pas dans un musée, mais dans un monde actif et hostile. Ce n'est pas une tradition renaissante que le vieux célibataire se montre peint sur son propre paquet de cigarettes, ou ce qui est exposé dans la décoration en noir et blanc imprimée sur chaque cendrier et sur les bretelles. Ce n'est rien d'autre que de la propagande au sens détérioré du terme, car, de même, les formes de propagande de mauvais goût sont en grande partie nos défilés, les fêtes commémoratives et les journées d'honneur : du kitsch clownesque, bon seulement pour conquérir quelque sympathisant.

 

Préparez-vous à une nouvelle bataille de Rosbach (2), qui sera menée selon les formes les plus authentiques de notre époque, et alors l'ancienne, de là-haut, sera à nouveau ressentie et extrêmement joyeuse. N'écrivez pas un nouveau roman de Frédéric [le Grand], mais le roman national de notre époque, pour lequel vous avez de la matière qui se déroule sous vos yeux, aussi variée que la vie elle-même. Ne vivez pas comme des rêveurs dans un temps perdu, mais cherchez à créer pour la République une force de choc et une puissance orientée selon le courant du sang ; ou bien, si cette République ne se laisse pas endurcir, brisez-la. Ne pas mijoter dans le souvenir de la baguette de Frédéric Guillaume Ier (3), qui était en effet indispensable en son temps, mais se rendre compte que les méthodes sociales dépendent du temps et qu'aujourd'hui tout est régi par la possibilité de trouver une cause capable d'impliquer le travailleur également sur le front national, comme cela s'est déjà produit dans d'autres pays.

 

Soyez dans tout et pour tout ce que vous êtes ; alors votre avenir et votre passé vivront au point d'appui, au point de combustion du présent et dans la joie la plus authentique de l'action. Vous aurez alors la véritable tradition vivante et non pas seulement son reflet scintillant, qui pourrait être projeté dans n'importe quel cinéma de la ville.

 

 

* * *

 

La Tradition a été publiée à l'origine dans le magazine Die Standarte (L'Étalon), une publication de l'organisation des anciens combattants appelée les Stahlhelm (Casques d'acier) : Die Standarte. Beiträge zur geistigen Vertiefung des Frontgedankens. Sonderbeilage des Stahlhelm. Wochenschrift des Frontsoldaten. Contribution à l'approfondissement de la réflexion du front. Supplément extraordinaire de l'hebdomadaire des soldats du front) Magdebourg, année 1, Nº 10 du 8 novembre 1925, p.2.

 

NOTES :

 

1) la quatrième strophe du célèbre chant ecclésiastique de Luther, intitulée Ein feste Burg, dit : "Une solide forteresse est notre Dieu, / une bonne défense et une arme. / Elle nous libère de tout besoin / qui nous frappe maintenant. / L'ennemi ancien et cruel aura de sérieuses raisons de le craindre ; / grande est sa puissance, et si grande sa ruse, / si redoutable son armure. / Vous n'aurez rien de semblable sur terre.
2)  : Le 5 novembre 1757, la victoire de l'armée prussienne, remportée sous le commandement de Frédéric le Grand sur les forces de combat unies des Français et de la marine impériale, largement supérieures en nombre, marque à Rosbach un tournant décisif dans la guerre de Sept Ans.
(3) : Frédéric Guillaume Ier (1688-1740), roi de Prusse de 1713 à 1740, exigeait de ses sujets la discipline et la soumission les plus rigoureuses, et il prit lui-même soin de les imposer personnellement au corps des officiers en utilisant la canne.

 

Les notes du texte appartiennent à Sven Olaf Berggötz, compilateur et éditeur de l'édition définitive du Politische Publizistik d'Ernst Jünger, 1919-1933 (2001, maison d'édition Klett-Cotta, Stoccarda, Allemagne).

Sven Olaf Berggötz, né en 1965 à Karlsruhe, enseigne les sciences politiques et l'histoire des idées au département de sciences politiques de l'université de Bonn

 

Traduction: Pierre-Olivier Combelles

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Alexander Dugin, Noomakhia: The French Logos – Orpheus and Melusine 

10 Juin 2020 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Lettres

Alexander Dugin, Noomakhia: The French Logos – Orpheus and Melusine 

Alexander Dugin, Noomakhia: The French Logos – Orpheus and Melusine 

(Moscow: Academic Project, 2015)

“Noomakhia: The French Logos – Orpheus and Melusine presents a description of French identity and studies various aspects of the French and, more broadly, Celtic Dasein as manifest in mythology, history, philosophy, cultural, and mysticism. 

Since the Middle Ages, France and Germany have acted as the two main poles of the dialectical formation of European civilization, thereby determining the historical, political, and cultural semantics of the most important processes in the history of Western Europe over the past half millennium. In studying the structures of the French Logos, the author arrives at the conclusion that this Logos’ main components are the two fundamental figures (Gestalts) of the Singer of the Sanctified, Orpheus, and the semi-female dragon, Melusine. According to the author, the paradigm of Modernity, in its mythological and cultural roots, can be traced back to the Gestalt of Melusine.”

 

http://paideuma.tv/en/book/french-logos-orpheus-and-melusine

La fée Mélusine sous la forme d'un dragon, à droite, tourne autour des toits du château de Lusignan. Les Très riches Heures du duc de Berry  (Mars). Détail.

La fée Mélusine sous la forme d'un dragon, à droite, tourne autour des toits du château de Lusignan. Les Très riches Heures du duc de Berry (Mars). Détail.

Alexander Dugin, Noomakhia: The French Logos – Orpheus and Melusine 
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Frère arbre

31 Mars 2020 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Environnement, #Lettres, #Philosophie, #Poésie

Ernst Jünger (à gauche, en uniforme de l'armée allemande) et Carl Schmitt, en barque, sur le lac, devant le château de Rambouillet, en 1941.

Ernst Jünger (à gauche, en uniforme de l'armée allemande) et Carl Schmitt, en barque, sur le lac, devant le château de Rambouillet, en 1941.

"Bruder Mensch hatun schon oft verlassen, Bruder Baum nie."

("Frère homme nous a souvent abandonné, frère arbre jamais").

Ernst Jünger

Chêne pédonculé. Photo: Pierre-Olivier Combelles.

Chêne pédonculé. Photo: Pierre-Olivier Combelles.

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Entre forêts et sentiers, quelques pensées d'Ernst Jünger.

27 Mai 2018 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Ernst Jünger, #Allemagne, #Lettres, #Sciences, #Nature

Ginkgo biloba L. Depuis 300 millions d'années, il verdit et reverdit sous le Soleil. Derrière, un ailante, l'arbre "inutile" de Tchoueng-tseu (http://pocombelles.over-blog.com/2015/07/the-use-of-the-useless-chuang-tzu.html) Photo: P-O. Combelles

Ginkgo biloba L. Depuis 300 millions d'années, il verdit et reverdit sous le Soleil. Derrière, un ailante, l'arbre "inutile" de Tchoueng-tseu (http://pocombelles.over-blog.com/2015/07/the-use-of-the-useless-chuang-tzu.html) Photo: P-O. Combelles

Parole, esprit et liberté sont sous trois aspects une seule et même chose.

Sur les falaises de marbre (1942),trad. Henri Thomas, éd. Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 2005, p. 93

 

A notre époque il faut jouir d'un calme de salamandre si l'on veut parvenir à ses fins.

Jardins et routes (1942), trad. Maurice Betz (revue par Henri Plard), éd. Christian Bourgois, coll. « Livre de poche biblio », 1979, p. 247

 

Une pensée qui nous échappe ressemble au poisson qui se détache de l'hameçon. Nous ne devrions pas le pourchasser ; il continue à se nourrir dans les profondeurs pour nous revenir ensuite, plus lourd.

Jardins et routes (1942), trad. Maurice Betz (revue par Henri Plard), éd. Christian Bourgois, coll. « Livre de poche biblio », 1979, p. 249

 

C'est en effet un privilège de l'homme d'ignorer le futur. C'est un diamant dans le diadème de liberté qu'il porte en lui. S'il perdait cela, il deviendrait un automate dans un monde d'automates.

Premier Journal parisien, 1941-1943

 

J'ai été simple, et je vais tendre à toujours plus de simplicité.

Premier Journal parisien (1949), trad. Frédérick de Towarnicki (revue par Henri Plard), éd. Christian Bourgois, 1995, p. 172

 

Notre situation entre deux femmes a quelque ressemblance avec un jugement de Salomon - où nous serions tout à la fois le juge et l'enfant. Il faut nous donner à celle qui ne veut pas nous partager.

Second Journal parisien, Journaux de guerre 1939-1948 (1979), trad. Frédérick de Towarnicki (revue par Henri Plard puis Julien Hervier), éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 608

 

Quand le monde nous semble vaciller sur ses bases, un regard jeté sur une fleur peut rétablir l'ordre.

Second Journal de Paris, Journaux de guerre 1939-1948 (1965), trad. Frédérick de Towarnicki, éd. Julliard, 1965, p. 209

 

… De même que c'est le héros sur qui repose la sécurité du lieu, sa qualité d'habitation, de même, le poète parvient à ce qu'on le reconnaisse, à ce qu'on se souvienne de lui — en devenant pays natal.
Ce sont les poètes qui ouvrent le grand refuge, la grande demeure. Donc, là où ils sont absents, il se répand aussitôt un vide terrible. Ces lieux sont assurément encore habitables, mais deviennent inhospitaliers, dépourvus de sens, et leur face secrète inconnue.

 La cabane dans la vigne, in: Ernst Jünger, dossier conçu et dirigé par Philippe Barthelet, éd. L'âge d'Homme, coll. « Les dossiers H », 2000  (ISBN 2-8251-1425-1), p. 13

 

Le recours aux forêts — ce n'est pas une idylle qui se cache sous ce mot. Le lecteur doit plutôt se préparer à une marche hasardeuse, qui ne mène pas seulement hors des sentiers battus, mais au-delà des frontières de la méditation.

Traité du rebelle (1951), trad. Henri Plard), éd. Christian Bourgois, 1981, p. 9

 

Je ne veux pas croiser le fer avec la société, et surtout pas pour l'améliorer, par exemple, mais la tenir à distance, quoi qu'il advienne. Je supprime mes services, mais aussi mes exigences.

Eumeswil (1977), trad. Henri Plard, éd. La Table ronde, coll. « Folio », 1998, p. 202

Coreus marginatus L. Photo: Pierre-Olivier Combelles

Coreus marginatus L. Photo: Pierre-Olivier Combelles

Frontispice des "Livres de nature", la célèbre collection créée par Jacques Delamain chez Stock, dans les années 1920.

Frontispice des "Livres de nature", la célèbre collection créée par Jacques Delamain chez Stock, dans les années 1920.

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Souvenir du printemps dernier

11 Novembre 2016 , Rédigé par POC Publié dans #Lettres, #Nature, #Environnement, #Photographie, #France, #Forêt, #Pierre-Olivier Combelles

Platanthera chlorantha (Orchidaceae), entre St Benoît et la D 906. Photo: Pierre-Olivier Combelles, mai 2016.

Platanthera chlorantha (Orchidaceae), entre St Benoît et la D 906. Photo: Pierre-Olivier Combelles, mai 2016.

Qui la connait assez, cette Belle de Mai à la peau nacrée qui attend toute nue sur les talus au bord des routes forestières, vêtue seulement de son merveilleux parfum de vanille ? Il n'y a que les naturalistes au coeur tendre et à l'oeil exercé pour le savoir et l'aimer avec passion, quand chaque année l'été revient...
 
Quelques jours après avoir pris cette photo, tous les talus entre Auffargis, Le Perray-en-Yvelines, Vieille-Église et Saint-Benoît étaient brutalement fauchés à blanc par le tracteur.
 
Disparue, envolée, ma Platanthère, comme toutes les autres belles  qui se cachent ou se montrent, discrètes ou coquettes, parmi les herbes du Printemps...

Comme Linné l'avait compris et démontré*, la botanique est une science amoureuse. A un certain degré, elle devient poésie.


Pierre-Olivier Combelles

* Carl von Linné: Voyage en Laponie https://www.ladifference.fr/media/feuilleteuse/extrait-978-2-7291-1412-1.pdf

Cet article est une republication. Source: http://pocombelles.over-blog.com/2016/06/les-belles-de-mai-la-platanthere-platanthera-chlorantha-orchidaceae.html

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Le Peuple de l'Herbe

20 Juin 2016 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Environnement, #Photographie, #Forêt, #France, #Lettres, #Pierre-Olivier Combelles, #Poésie, #Nature

Albrecht Dürer: La Grande Touffe d'herbe. Gouache et aquarelle (1503). Plantain et pissenlit.

Albrecht Dürer: La Grande Touffe d'herbe. Gouache et aquarelle (1503). Plantain et pissenlit.

A présent laissez-moi, je vais seul.

Je sortirai, car j'ai affaire: un insecte

m'attend pour traiter. Je me fais joie

du gros oeil à facettes: anguleux,

imprévu, comme le fruit du cyprès.

Ou bien j'ai une alliance avec les pierres

veinées-bleu: et vous me laissez également,

assis, dans l'amitié de mes genoux.

 

Saint-John Perse, Éloges (1908)

 

Le Peuple de l'Herbe se soucie-t-il des hommes ? Les connaît-il seulement ? Rien n'est moins sûr. Tout nous porte à penser qu'ils n'existent pas pour eux dans l'espace de leur courte vie (courte pour nous, longue pour eux), pas plus que les milliards d'autres espèces animales et végétales qui peuplent la Terre n'existent pour les hommes, surtout pour cette majorité de nos congénères déracinés qui vivent aujourd'hui enfermés dans les mégapoles, les trains, les autos et les avions. Cette pensée nous libère du poids écrasant de notre responsabilité d'êtres prétentieux, insatiables et destructeurs.

Pierre-Olivier Combelles

Photos de l'auteur. Appareil: Fujifilm X100T. Certaines images sont recadrées. Clicquez dessus pour les agrandir.

Sur le même sujet, par le même auteur et sur le même blog:

Misumena vatia, une araignée en kimono dans une orchidée

http://pocombelles.over-blog.com/2015/06/misumena-vatia-une-araignee-en-kimono-dans-une-orchidee.html

Orchis bouc (Himantoglossum hircinum, Orchidaceae) sur un talus. Elle doit son nom inattendu, moins à la forme de ses fleurs qu'à son fort parfum rappelant celui de l'animal. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Orchis bouc (Himantoglossum hircinum, Orchidaceae) sur un talus. Elle doit son nom inattendu, moins à la forme de ses fleurs qu'à son fort parfum rappelant celui de l'animal. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

L'araignée-crabe Misumena vatia (Thomisidae) à l'affût sur un labelle d'orchis bouc. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

L'araignée-crabe Misumena vatia (Thomisidae) à l'affût sur un labelle d'orchis bouc. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Une petite araignée (Araniella cucurbitina ?) enveloppe sa proie sur un Orchis bouc (Himantoglossum hircinum). Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Une petite araignée (Araniella cucurbitina ?) enveloppe sa proie sur un Orchis bouc (Himantoglossum hircinum). Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Le Dermestidae Oedemera nobilis sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Le Dermestidae Oedemera nobilis sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Le longicorne Rutpela maculata sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Le longicorne Rutpela maculata sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Libellule (Libellula quadrimaculata ?) sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Libellule (Libellula quadrimaculata ?) sur une marguerite. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Vulcain (Vanessa atalanta) aux ailes usées, posé sur une appétissante (pour lui !) crotte de chien au milieu du chemin entre un champ et la forêt. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Vulcain (Vanessa atalanta) aux ailes usées, posé sur une appétissante (pour lui !) crotte de chien au milieu du chemin entre un champ et la forêt. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Un Flambé (Iphiclides podalirius) vient de naître sur une haie, encore tout engourdi. En Asie, le Papillon est le symbole de l'amour éternel, de la joie et aussi de la transformation, comme celle de l'âme qui quitte le corps après la mort. En grec, le même terme "psyché" désigne à la fois l'âme et le papillon. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

Un Flambé (Iphiclides podalirius) vient de naître sur une haie, encore tout engourdi. En Asie, le Papillon est le symbole de l'amour éternel, de la joie et aussi de la transformation, comme celle de l'âme qui quitte le corps après la mort. En grec, le même terme "psyché" désigne à la fois l'âme et le papillon. Photo: Pierre-Olivier Combelles (Forêt de Rambouillet, juin 2016)

XXXVI

 

 

Beau papillon près du sol

à l'attentive nature

montrant les enluminures

de son livre se vol.

 

Un autre se ferme au bord

de la fleur qu'on respire:-

ce n'est pas le moment de lire.

Et tant d'autres encor,

 

de menus bleus, s'éparpillent,

flottants et voletants,

comme de bleues brindilles

d'une lettre d'amour au vent,

 

d'une lettre déchirée

qu'on était en train de faire

pendant que la destinataire

hésitait à l'entrée.

 

Rainer Maria Rilke, Les Quatrains Valaisans

Gallimard, N.R.F., 1926.

 

 

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La Lune (Guy Georgy)

11 Août 2015 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #France, #Guy Georgy, #Lettres

Photo: Pierre-Olivier Combelles

Photo: Pierre-Olivier Combelles

( à suivre)

 

Guy Georgy: La folle avoine, Flammarion, 1991.

 

http://pocombelles.over-blog.com/article-la-folle-avoine-guy-georgy-1918-2003-110809866.html

Guy Georgy (1918-2003) à l'inauguration de l'exposition sur la Maca à la Maison de l'Amérique latine (novembre 1997). Photo: Pierre-Olivier Combelles

Guy Georgy (1918-2003) à l'inauguration de l'exposition sur la Maca à la Maison de l'Amérique latine (novembre 1997). Photo: Pierre-Olivier Combelles

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Jean-Henri Fabre: nomenclature scientifique

6 Août 2015 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Forêt, #France, #Lettres, #Nature, #Jean-Henri Fabre, #Jon Fjeldså, #Pierre-Olivier Combelles, #Photographie

Cover from Birds of the High Andes.

Jon Fjeldså

Jon Fjeldså

http://snm.ku.dk/english/staffsnm/staff/profile/?id=75192

 

J'ai eu il y a quelques années un échange passionné avec l'ornithologue et (extrêmement talentueux) peintre animalier danois Jon Fjeldså, du Muséum d'Histoire naturelle de Copenhague, auteur avec Niels Krabbe du magnifique ouvrage Birds of the High Andes . Je me révoltais contre la laideur et le caractère inapproprié des noms scientifiques des oiseaux des Andes, alors que leurs noms vernaculaires en quechua ou en aymara sont si beaux et si précis (ils expriment généralement la caractéristique principale de l'oiseau). Et il est vrai que dans Birds of the High Andes, il n'y a pas un seul nom local... Jon Fjeldså croyait que je mettais en doute l'utilité et la nécessité de la nomenclature scientifique en latin. Absolument pas, évidemment. Mais, comme j'ai tâché de le lui expliquer, je souhaitais que les scientifiques utilisassent plus souvent les noms vernaculaires pour composer les noms scientifiques, au lieu de les ignorer.

P.-O.C.

 

Voici ce qu'écrit heureusement Jean-Henri Fabre à ce sujet:

 

"L'Aranéide qui m'a fait assister à la pleine magnificence de l'exode s'appelle, d'après la nomenclature officielle, Thomisus onustus Walck. S'il n'éveille rien dans l'esprit du lecteur, ce nom a du moins l'avantage de ne pas offenser le larynx et l'oreille, comme le font trop souvent les dénominations savantes, plus voisines de l'éternuement que du langage articulé. Puisqu'il est de règle d'honorer bêtes et plantes d'une étiquette latine, respectons au moins l'antique euphonie ; abstenons-nous des expectorations rocailleuses, qui crachent le nom au lieu de le prononcer.

 

Que fera l'avenir devant la marée montante d'un vocabulaire barbare qui, sous prétexte de progrès, étouffe le réel savoir ? Il relèguera le tout dans les bas-fonds de l'oubli. Mais ne disparaîtra jamais le terme vulgaire, qui sonne bien, fait image et renseigne de son mieux. Telle est la dénomination d'Araignée-Crabe appliquée par les anciens au groupe dont fait partie le Thomise, dénomination assez juste car il y a dans ce cas analogue manifeste entre l'Aranéide et le Crustacé." (...)

 

Jean-Henri Fabre: L'araignée-crabe in: Souvenirs entomologiques, 1905, IXème Série, Chapitre 5.

http://www.e-fabre.com/biographie/souvenirs_sommaire.htm

 

Sur la Thomise variable (Misumena vatia) et sur le même sujet, sur ce même blog: http://pocombelles.over-blog.com/2015/06/misumena-vatia-une-araignee-en-kimono-dans-une-orchidee.html

 

Jean-Henri Fabre chez lui, à l'Harmas.

 

Il y a toujours des exceptions... Ici, une autre Araignée-crabe (Thomisidae), la Thomise variable, au beau nom scientifique "japonais" Misumena vatia. Cette belle geisha en kimono nacré, blanc et vert, guette ses proies sur une marguerite semblable au soleil du drapeau japonais... Photo: Pierre-Olivier Combelles (2015). Appareil: APN Fujifilm X100T.

Il y a toujours des exceptions... Ici, une autre Araignée-crabe (Thomisidae), la Thomise variable, au beau nom scientifique "japonais" Misumena vatia. Cette belle geisha en kimono nacré, blanc et vert, guette ses proies sur une marguerite semblable au soleil du drapeau japonais... Photo: Pierre-Olivier Combelles (2015). Appareil: APN Fujifilm X100T.

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Une grotte au coeur du monde

4 Janvier 2015 , Rédigé par Pierre-Olivier Combelles Publié dans #Forêt, #France, #Lettres, #Photographie, #Poésie, #Préhistoire, #Pierre-Olivier Combelles

"Une grotte au cœur du monde, lieu de l'existence sanctifiée, lieu de renaissance..."

 

Claude-Henri Rocquet, L'apparent et le caché dans l'oeuvre de Mircea Eliade, in L'épreuve du labyrinthe - Mircea Eliade, Entretiens avec Claude-Henri Rocquet. Editions du Rocher, 2006.

Cavité géodique ornée du Mésolithique, au printemps (Ile-de-France). Photo: Pierre-Olivier Combelles

Cavité géodique ornée du Mésolithique, au printemps (Ile-de-France). Photo: Pierre-Olivier Combelles

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Paul Léautaud

25 Novembre 2009 , Rédigé par Béthune Publié dans #Lettres, #France, #Paul Léautaud

J'ai un faible pour Paul Léautaud. En fouillant dans un de mes cartons de livres, je viens de retrouver "Propos d'un jour" (Mercure de France, 1947), que je n'avais pas relu depuis une trentaine d'années. Il est toujours aussi amusant  et vrai:

"Méfiez-vous d'un écrivain qui a fait sa carrière sans rien demander à personne, et qui, à cinquante ans passés, n'est pas décoré. Ce ne peut être qu'un mauvais esprit, et dangereux."

"Un savant est un homme qui sait beaucoup de choses qu'il faudrait connaître beaucoup mieux que lui pour savoir s'il n'est pas un âne."

"Les professeurs sont faits pour les gens qui n'apprendraient rien tout seuls".

(Citant Sainte-Beuve): "Un membre de l'Académie écrit comme on doit écrire. Un homme d'esprit écrit comme il écrit."

"Je ne suis pas si sec qu'on pourrait le croire pour cela. Une action généreuse? Aussitôt mes yeux se brouillent d'émotion. je raconte souvent cette anecdote. je la tiens d'un jeune officier qui me rendait visite au Mercure pendant la guerre et qui avait été témoin du fait. Après une affaire assez sérieuse, on avait amené dans une ambulance un groupe de blessés, au nombre desquels un capitaine français fort endommagé et un soldat allemand qui n'en menait plus large. Toute l'ambulance se précipitait vers le capitaine. Celui-ci, arrêtant tout le monde d'un geste: "Prenez le "Boche". Il est plus pressé que moi". Je tire mon chapeau, de loin, à cet homme."

"Je donne mon salut à la mémoire des Vendéens qui se soulevèrent pour n'être pas soldats par force. Grand exemple donné par des hommes du véritable amour de la liberté. On ne reverra plus cela."

"Toi qui veux écrire, ne lis rien de bas comme esprit, de commun comme style, de servile comme idées, de populaire comme tendances. Cherche toujours haut et libre."

"Ce n'est pas la classe [NDLR: sociale] qui fait l'homme".

"Écrire! Quelle chose merveilleuse! Deux individus associés en un seul: l'un, dont la plume  court au gré de son esprit, - l'autre, en même temps, qui surveille, juge, pèse, décide."

"Je ris de moi, le soir, enfermé dans ma chambre, assis à mon petit bureau, devant mes deux bougies allumées, de me mêler d'écrire, pour quels lecteurs, Seigneur! au temps que nous sommes."

C'est le charme de l'intelligence et de l'indépendance, deux qualités assez rares, surtout lorsqu'elles sont réunies. Cela fait pardonner bien des choses.



 

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