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Rouge et Blanc, ou le Fil d'Ariane d'un voyageur naturaliste

La Saint-Barthélemy (24 août 1572) par Hardouin de Péréfixe

2 Août 2012 , Rédigé par Béthune

 

 

Aucun Francais aimant la France, juste et voulant connaître l'histoire, ne doit ignorer les causes de la Saint-Barthélemy, cette tragédie odieuse qui montre à la fois la corruption de la cour de Charles IX, le pharisianisme et la folle ambition de la Ligue et la prudence du roi de Navarre, futur Henry le Grand.

B.

 

Cette paix faite [la paix de Saint Germain en Laye, le 11 août 1570], chacun se retira chez soi. Le prince de Navarre alla en Béarn ; le roi Charles IX se maria avec Elisabeth, fille de l’empereur Maximilien II, et il semblait qu’on ne pensât plus qu’à des réjouissances et à des festins. Cependant le roi, ayant reconnu qu’il ne viendrait jamais à bout des huguenots par la force, résolut d’y employer d’autres moyens plus faciles, mais aussi bien plus méchans. Il se mit à les caresser, à feindre qu’il les voulait traiter favorablement, à leur accorder la plupart des choses qu’ils demandaient, et à les endormir de l’espérance de faire la guerre au roi d’Espagne, dans les Pays-Bas, ce qu’ils souhaitaient faire passionnément ; et, pour les mieux leurrer, ils leur promit, pour gage se sa foi, sa sœur Marguerite, pour la marier au roi de Navarre : de sorte que, par ce moyen, il attira les principaux chefs de ce parti à Paris.

(1572.) La reine Jeanne, sa mère, qui y était venue devant pour faire les préparatifs des noces, mourut peu de jours après qu’elle y fut arrivée : princesse qui avait l’esprit et le courage au dessus de son sexe, et dont l’âme toute virile n’était point sujette aux faiblesses et aux défauts des autres femmes ; mais, à la vérité, ennemie passionnée de la religion catholique. Quelques historiens disent qu’elle fut empoisonnée avec des gants parfumés, parce qu’on craignait, comme elle avait beaucoup d’esprit, qu’elle ne découvrît le dessein qu’on avait de massacrer tous les huguenots ; mais d’autres assurent que c’est une fausseté, et qu’il est plus vraisemblable qu’elle mourut pulmonique, vu même que ceux qui étaient auprès d’elle et qui la servaient l’ont ainsi témoigné.

Henri, son fils, venait après elle. Etant en Poitou, il y apprit les nouvelles de sa mort, et alors il prit la qualité de roi : car jusque-là il n’avait porté que celle de prince de Navarre. Comme il fut à Paris, les malheureuses noces se célébrèrent ; les deux parties furent fiancées au Louvre par le cardinal de Bourbon, et le lendemain mariées par le même, à Notre-Dame, sur un échafaud qui fut pour cela dressé devant la grande porte de cette église, en présence du roi et de la reine mère. Après la cérémonie, la reine Marguerite alla entendre la messe et faire ses dévotions dans le chœur, et le roi de Navarre, passant par une galerie faite exprès le long de l’église, se retira dans le logis de l’archevêché ; puis, lorsque la messe fut achevée, il vint au-devant de sa maîtresse, et lui ayant donné un baiser, la conduisit dans l’archevêché où le dîner était préparé pour toute la maison royale.

Six jours après, qui fut le jour de la Saint-Barthélemy, tous les huguenots qui étaient venus à la fête furent égorgés ; entre autres, l’amiral, vingt seigneurs de marque, douze cents gentilshommes, trois ou quatre mille soldats et bourgeois ; puis par toutes les villes du royaume, à l’exemple de Paris, près ce cent mille hommes : action exécrable, qui n’avait jamais eu lieu, et qui n’aura, s’il plaît à Dieu, jamais de pareille !

Quelle douleur à ce jeune roi de voir, au lieu de vins et de parfums, répandre tant de sang à ses noces, égorger ses meilleurs amis, et entendre leurs cris pitoyables qui parvenaient jusqu’à ses oreilles, dans le Louvre où il était logé ! Avec cela quelles transes et quelles frayeurs n’avait-il pas qu’on en vînt jusqu’à sa personne ! En effet, il fut mis en délibération s’il fallait les égorger, lui et le prince de Condé, comme les autres ; et tous les auteurs du massacre conclurent à leur mort : néanmoins, comme par un miracle, on résolut de les épargner.

Charles IX se les fit amener en sa présence ; il leur montra un monceau de corps morts, et avec d’horribles menaces, sans vouloir écouter leurs raisons, il leur dit : la mort ou la messe. Ils choisirent plutôt le dernier que le premier ; ils abjurèrent le calvinisme : mais, parce qu’on savait que ce n’était pas de bon cœur, on les faisait observer si étroitement qu’ils ne purent s’évader de la cour pendant les deux ans que vécut Charles IX, ni même longtemps après sa mort.

Durant ce temps-là, notre Henri dissimulait adroitement ses déplaisirs, quoiqu’ils fussent grands, et mettait au-devant des chagrins qui lui troublaient l’esprit une perpétuelle sérénité de visage et une humeur toujours enjouée ; ce fut-là sans doute le plus difficile passage de sa vie. Il avait affaire à un roi furieux, à ses deux frères [de Charles IX] ; savoir : au duc d’Anjou, prince dissimulé, et qui avait trempé dans les massacres, et au duc d’Alençon, qui était double et malicieux, à la reine Catherine, qui le haïssait mortellement, parce que ses devins lui avaient prédit qu’il règnerait ; enfin à la maison de Guise, dont la puissance et le crédit étaient presque sans bornes.

Il lui fallait sans doute une merveilleuse prudence pour se conduire avec tous ses gens-là, pour ne point donner de jalousie et donner pourtant grande estime de soi, accorder la soumission et la gravité, et conserver sa dignité et sa vie. Cependant il se démêlait de toutes ses difficultés et de tous ces écueils avec une adresse sans pareille.


Hardouin de Péréfixe, Histoire de Henry le Grand, Roi de France et de Navarre. Paris, Méquignon-Havard, 1828.


Hardouin de Péréfixe de Beaumont (1606-1671), évêque de Rodez puis archevêque de Paris, élu à l'Académie francaise  en 1654, fut le précepteur de Louis XIV et resta toute sa vie son homme de confiance. Cette Vie de Henri le Grand, publiée sous le ministère de Mazarin, est dédiée au jeune roi, qui le lui avait demandée et qui lui avait manifesté son intérêt et son affection particuliers pour ce prince, son grand-père. Elle fait partie d'une Histoire générale de France que le Roi lui avait commandée pour son instruction.

 

 

 

 

Henri de Navarre, futur Henri IV

 

 

 

 

Henri de Navarre et Marguerite de Valois


Source des deux dernières illustrations:

 http://derniersvalois.canalblog.com/archives/marguerite_de_valois/index.html

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