Tout à fait ad hoc la compil et l’analyse de l’ouvrage de Alain Guillerm « Le Défi Celtique » de R71 que j’ai réunifiées dans un PDF ► Société Celtique, société Gauloise ; Société contre l’État version PDF à télécharger
L’illustration de ce billet est issue du PDF ci-dessus c’est un Oppidum
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Présentation, extraits et analyse du livre de Jean-Paul Demoule*:
“On a retrouvé l’histoire de France”, Robert Laffont, 2012 et Folio “Histoire”, 2013
par Résistance 71 | Février 2017
(*) Archéologue, professeur emeritus d’archéologie à l’université de Paris I-Sorbonne. Ancien président de l’Institut Nationale de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) de sa création en 2002 à 2008.
“Ne pas connaître l’histoire c’est comme être né hier” disait à juste titre le grand historien américain Howard Zinn, que nous avons abondamment publié et aussi traduit. Le monde dans lequel nous vivons, dans lequel nous sommes forcés de vivre pourrions nous plus judicieusement dire, s’avère être de plus en plus le monde de l’illusion et du mensonge ; illusion et mensonge perpétrés afin de satisfaire aux dogmes de la pensée oligarchique dominante.
A cet effet, la science a été souvent détournée. Les sciences humaines, dont l’enseignement disparaît petit à petit de nos programmes éducatifs occidentaux, n’échappant pas à la règle, bien au contraire.
Ainsi, suivant le même chemin qui veuille que connaître le passé nous permet de mieux connaître et d’analyser le présent afin de mieux anticiper le futur ; contrôler le narratif du passé permet de justifier des actions présentes et futures, actions basées sur des décisions politiques et économiques qui influent sur tout à chacun.
Dans notre société en déliquescence totale et à l’heure où le danger identitaire et communautaire ressurgit, poussé par des contraintes socio-économiques grandissantes, à quel passé peut-on se fier pour mieux comprendre ce qui nous arrive et y apporter les solutions adéquates ? Celui des livres d’histoire ? Celui le la doxa républicaine ? Ou doit-on chercher hors des sentiers (ra)battus ce que nous dit la recherche de terrain.
L’archéologue et ancien directeur de l’INRAP, Jean-Paul Demoule, dans la lignée des grands anthropologues politiques français Pierre Clastres, Jacques Lizot, Robert Jaulin, de la paléonthologue Marylène Patou-Mathis, de l’historienne Annie Lacroix-Riz et des anthropologues et historiens anglo-saxons Marshall Sahlins, James C. Scott, David Graeber, Howard Zinn, nous emmène avec cet ouvrage nécessaire “On a retrouvé l’histoire de France”, sur les traces de nos origines, au-delà de la sélection, de l’amnésie et de la réglementation d’état auxquelles elles sont soumises.
Nous vous proposons ici un bref survol de ce qui est abordé dans les 353 pages de l’édition Folio au gré de quelques citations et analyses. Nous encourageons bien entendu tous nos lecteurs à lire cet ouvrage facile d’accès, utilisant un langage commun compréhensible de tous et nous éclairant les dernières découvertes sur l’histoire de France grâce aux analyses archéologiques de terrain mettant à bas mythes et affabulations colportés par des générations de livres d’histoire biaisés ou carrément falsifiés.
En conclusion de son livre, Demoule nous dit ceci : “Les archéologues ne sont donc pas seulement là pour fouiller le sol… Ils ont aussi la charge de dénoncer les manipulations de l’histoire.”, puis : “Nous n’avons pas besoin de mythes, nous avons besoin de savoir pourquoi nous vivons ensemble, nous avons besoin de comprendre l’histoire du sol sur lequel nous vivons et quelques soient les lieux où ont vécu naguère nos propres ancêtres biologiques, de connaître les impasses qui ont conduit à la catastrophe certaine des sociétés passées.”
C’est ce qu’il nous invite à découvrir au fil du narratif dévoilé par l’archéologie préventive moderne dont il fut l’un des grands initiateurs en France.
Le livre est divisé en deux parties comprenant au total 11 chapitres. La première partie intitulée “Au Gaulois inconnu”, nous emmène de la préhistoire (paléolithique) au moyen-âge et termine sur les fouilles du XXème siècle. La seconde partie intitulée “Les leçons de l’archéologie” nous emmène sur les traces des faussaires du passé et se termine en répondant à la question “Qu’est-ce qu’être français(e) ?”
Au-delà des dogmes établis et argumentée par des années d’étude et d’expérience de terrain sur les sites archéologiques de France, la recherche et l’analyse de Jean-Paul Demoule nous aide à fondamentalement réviser notre histoire de France et à mettre à bas certains mythes tenaces que tout nationalisme émergent dans des temps difficiles tend à remettre au goût du jour. Alors, si vous êtes toujours convaincu que le baptême de Clovis a été le moment fondateur de l’identité française, attendez-vous à un choc… et lisez la suite.
Dans son avant-propos Demoule nous dit ceci:
“On exalte la grandeur du passé et de ses monuments, de Louis XIV à Napoléon, du Mont-Saint-Michel à la tour Eiffel, mais l’enseignement de l’histoire est supprimé dans les classes de terminales scientifiques, soit pour la moitié des candidats au bac en général. Ni les collégiens ni les lycéens ne reçoivent de cours sur la période de l’histoire qui s’étend des premiers hommes jusqu’à l’arrivée des Romains en Gaule !
[…] Entre doctrines d’État inapplicables, programmes scolaires sélectifs, mémoire collective défaillante et lieux communs culturels, ce que les Françaises et les Français pensent savoir de leur propre passé est donc bien incertain. Le propos de ce livre est, à la faveur des fouilles archéologiques les plus récentes menées en France, fouilles préventives pour la plupart, de remettre en cause une grande part des clichés que nous véhiculons malgré nous.”
Il resitue également à juste titre ce qu’est l’archéologie: “… une science qui se pratique après de nombreuses années d’études universitaires. Beaucoup d’autres disciplines collaborent avec elle. […] au delà de ces sciences de la nature, le dialogue avec d’autres sciences humaines comme l’ethnologie, l’histoire, la géographie, la sociologie voire même la philosophie, permet de comprendre la trajectoire passée des sociétés et de réfléchir à leur avenir…”
Dans le domaine de la préhistoire, Demoule nous met en garde contre bien des mythes sur nos lointains ancêtres et nous confirme que l’archéologie récente a permis d’établir que “Ces ‘premiers Français’ sont des immigrants. Ils sont venus en lentes étapes, d’Afrique où leur espèce a émergé progressivement il y a environ 1,6 millions d’années. […] L’Homo erectus, au fil du temps, évolua lentement en Europe vers une nouvelle forme : l’homme de Néanderthal, qui émergea vers 300 000 ans avant notre ère. Le premier spécimen fut découvert en 1856, au moment où l’existence d’Homo erectus allait être reconnue, dans la vallée de Neander, une petite vallée (Thal) près de Düsseldorf. […] Un coup de tonnerre génétique retentit en mai 2010. Les Européens et les Asiatiques actuels avaient environ 4% de leurs gènes directement issus de l’homme de Néanderthal. Les deux espèces (Néanderthal et Cro-Magnon) avaient donc frayé l’une avec l’autre, des couples s’étaient rencontrés et aimés. Et nous étions déjà des métis !”
De la préhistoire, Demoule tire quelques leçons du premier million et demi d’années d’histoire de France: “… Il n’y a pas de sociétés plus ‘évoluées’ que d’autres, mais des sociétés plus ou moins adaptées à leur environnement, des sociétés dont les techniques sont plus complexes que d’autres. […] On mangeait plus sainement il y a 20 000 ans qu’aujourd’hui ! Autre leçon: il n’y a pas de sociétés humaines autochtones et ‘pures’. Dès les temps les plus anciens, les groupes humains ont voyagé et se sont mêlés. L’une des plus fascinantes découvertes de ces dernières années n’est-elle pas que des femmes et des hommes de Neanderthal se sont unis à des hommes et des femmes de la nouvelle espèce dite Homo sapiens, venue d’Afrique et que de ces rencontres amoureuses nous sommes directement issus ?”
La période narrée ensuite est cette période perçue comme très importante dans l’évolution de la société humaine, la période du néolithique qui s’étend de – 6000 à – 2200 avant notre ère.
Dans cette partie du livre, Demoule commence par expliquer, pour mieux comprendre les tenants et aboutissants, la politique éducative française en citant un petit opuscule produit par l’Éducation Nationale de 96 pages, qui fut distribué gratuitement dans les écoles primaires à la rentrée scolaire 2008. Cet opuscule avait pour vocation d’être un guide pratique pour les parents: “Votre enfant à l’école, CP-CM2”. Le livret détaille les programmes répartis en 6 sections, la dernière étant “la culture humaniste”. Cette matière regroupe l’histoire, la géographie, l’instruction civique et l’histoire des arts. Ceci représente déjà en soi, un sérieux recul pédagogique puisque l’histoire et la géographie n’y sont plus vues comme des matières à part entière, mais comme des parties d’un grand fourre-tout pour sciences humaines en école primaire. Bref. Voici ce que le sommaire en histoire nationale énumère:
- La préhistoire : premières traces de vie humaine, maîtrise du fer et début de l’agriculture, l’apparition de l’art. L’homme de Tautavel, il y a près de 500 000 ans. Les grottes de Lascaux il y a 17 000 ans.
- L’antiquité : Les Gaulois, la romanisation de la Gaule et la christianisation du monde gallo-romain. Jules César et Vercingétorix: 52 avant notre ère. Alésia.
Ici Demoule remarque plusieurs choses qui n’ont pas semblé choquer ni importuner les caciques de l’Éducation Nationale : dans un premier temps, la période de l’homme de Tautavel qui a vécu avant Néanderthal entre – 400 000 et – 350 000 ans, ce qui d’après le programme de l’EN représente une toute petite erreur de juste 150 000 ans, une paille. L’origine de l’histoire officielle de notre pays commence d’emblée avec 150 000 ans d’erreur. Demoule note également qu’après cela, l’ordre des évènements est inversé dans le programme scolaire. En réalité, il y a d’abord eu l’apparition de l’art vers – 35000 ans, puis les débuts de l’agriculture il y a quelques 7800 ans et enfin la maîtrise du fer il y a quelques 2800 ans, en France. Sachant que la maîtrise du fer est l’œuvre des Celtes (Gaulois dans cette partie de l’Europe) et que donc elle fait partie de l’antiquité et non plus de la préhistoire. Dans cette chronologie, officielle, rappelons-le, il ne se passe apparemment rien entre les débuts de l’agriculture et la maîtrise du fer, c’est à dire pendant plus de 5000 ans ! Une autre paille n’est-il pas ?…
Demoule résume la situation ainsi : “Entre les premières traces de la vie humaine sur lesquelles on ne reviendra pas (NdR : puisqu’étudié en primaire) et les “grandes civilisations” étatiques et urbaines de l’Égypte et de la Mésopotamie, il ne s’est rien passé ! Ces “grandes civilisations” ont surgi de nulle part il y a 5000 ans. Comment et pourquoi s’est produite l’invention de l’agriculture, cette révolution majeure de l’histoire humaine, celle dont découle, plus que toute autre, notre présent ? Pourquoi et comment sont apparues ensuite les premières sociétés inégalitaires, sans lesquelles les “grandes civilisations” n’auraient pu naître ? Enfin, la Gaule avant sa romanisation, est-elle aussi laissée à l’école primaire. On n’y reviendra donc pas non plus, se contentant donc d’étudier Rome et son empire, dont fait implicitement partie la Gaule romanisée… Ces silences assourdissants ne sont pas innocents. Ils ne résultent certes pas d’un noir complot, mais trahissent inconsciemment de la part des auteurs des programmes, qu’ils soient pédagogues, administrateurs ou hommes politiques, au mieux une inculture, au pire des a priori idéologiques accablants.”
Après une période glaciaire de 100 000 ans, le climat se réchauffa il y a 12 000 ans ce qui donna des conditions environnementales bien plus clémentes. C’est à ce moment que se produisirent les premières expériences de domestication animale et le développement d’une agriculture sédentaires.
Ainsi “c’est vers – 6500 ans que ces communautés d’agriculteurs prirent pied d’abord dans la péninsule balkanique et allaient ensuite, en à peine 2 millénaires, se répandre dans toute l’Europe jusqu’à l’Atlantique. Ce mouvement progressif se fit selon deux voies. D’une part le long des côtes de la Méditerranée, atteignant ainsi le sud de la France vers -5800 ans ; d’autre part en remontant le bassin du Danube, ils franchirent le Rhin vers -5300 ans. Notre territoire fut en quelque sorte pris en tenaille entre ces deux courants migratoires, issus d’une même origine et qui se retrouvèrent à nouveau, deux millénaires plus tard, dans la partie centrale de la France.”
Ces agriculteurs eurent une démographie galopante et le peuplement des zones se déroula de plus en plus vite.
A partir de -4500 ans les principales régions fertiles du continent européen se développent et les humains se regroupent en villages ne dépassant pas 100 à 200 personnes. Concernant l’organisation sociale, Demoule explique : “L’organisation sociale demeurait simple. Les tombes ne montrent aucune forte différence sociale.”
Selon les endroits, des sociétés commencent à développer certaines inégalités sociales, ainsi c’est à Varna en Bulgarie qu’ont été retrouvés les tous premiers objets en or, datés de -6500 ans avant notre ère.
“C’est pourquoi on parle à partir de cette époque, et par opposition aux sociétés villageoises faiblement inégalitaires des premiers temps du Néolithique, de “sociétés à chefferie”. Mais comment et pourquoi les chefs sont-ils apparus ? Est-ce vraiment de l’ordre inévitable des choses ? Au fond, fallait-il des chefs ? On ne peut se contenter d’affirmer que des chefs étaient indispensables pour organiser une population de plus en plus nombreuse, car il y a eu de temps à autre, au fil de l’histoire, des sociétés démocratiques qui n’avaient pas de chefs permanents et en tout cas pas de chefs dont la richesse soit sans commune mesure avec celle de leurs sujets.”
Demoule continue de poser les bonnes questions :
“Deux questions se posent : il y a 6500 ans comme maintenant, pourquoi certains individus éprouvent-ils une telle soif de pouvoir ? Une telle “volonté de puissance ‘ pour reprendre le terme du philosophe Friedrich Nietzsche ? Mais aussi symétriquement, pourquoi la société accepte t’elle de subir de telles inégalités ? Pourquoi cette ‘servitude volontaire’, comme l’a désignée il y a déjà 5 siècles, l’ami de Montaigne, Étienne de la Boétie ?
Les historiens et les ethnologues nous sont d’un certain secours. Ils nous montrent que, la plupart du temps, les rois ou les chefs importants légitiment leur pouvoir en invoquant la volonté de puissances surnaturelles. Les rois de France étaient proclamés de ‘droit divin’ ; ils étaient, lors de leurs sacres, oints d’une huile sainte apportée du ciel par une colombe… Les empereurs du Japon descendent en droite ligne d’Amarerasu, la déesse du soleil, grand-mère du premier empereur dont l’emblème figure sur le drapeau nippon. La plupart des souverains de royaumes musulmans sont issus du prophète. Le président des États-Unis jure sur la bible le jour de son investiture, ce qui signifie que son pouvoir est placé sous la garantie du dieu des chrétiens (voire des juifs et des musulmans). Les pharaons descendaient du dieu solaire Horus. […] En résumé, tout pouvoir politique fort semble partout inséparable d’une relation avec des puissances surnaturelles.”
Ainsi, de l’émergence politico-religieuse du pouvoir au Néolithique, Demoule nous dit :
“Ce nouvel ordre social inégalitaire, où la société des dieux est construite à l’image de celle des Hommes et sert à la justifier, repose sur la violence, puisqu’il affirme que certains valent mieux et méritent plus que d’autres.”
Commence alors une nouvelle révolution, technologique celle-là puisque débute l’ère de la métallurgie, celle du cuivre. Née dans les Balkans, elle diffuse vers l’occident et atteint la France vers -3500. Ce métal était essentiellement utilisé à des fin décoratrices et de coloration car c’est un métal mou dont on ne peut faire ni des outils ni des armes. C’est par l’ajout au cuivre d’un autre métal, l’étain que naîtra le bronze, plus résistant et qui verra vers -2200 ses débuts en France. Ce sera ensuite au Proche-Orient que naîtra le fer, à la fois plus résistant que le bronze et aussi bien plus répandu dans la nature. Avec l’âge du bronze, puis celui de fer, naîtra et se renforcera l’épée, grande révolution technologique militaire qui renforcera les disparités. Demoule enchaîne :
“[…] En Europe où l’espace abondait, les villes et les états mettront près de 4000 ans supplémentaires à apparaître [en comparaison avec l’Égypte et la Mésopotamie], en commençant avec la Grèce et l’Italie, précisément d’étroites péninsules où les terres fertiles manquaient.”
“[…] C’est également au cours de l’âge du bronze que durent être élaborées les mythologies guerrières que l’on retrouve d’un bout à l’autre de notre continent lorsque nous disposons de textes (les premiers !) qui nous montrent des similitudes entre les dieux et les héros romains, celtes et germains ainsi que ceux d’autres peuples. […] Ainsi les linguistes ont rassemblé dès le début du XIXème siècle dans une famille linguistique unique, dite “indo-européenne”, comme il y a une famille de langues finno-ougriennes (finlandais, hongrois, langues sibériennes), une famille des langues sémitiques (arabe, hébreu, araméen) etc. Mais il n’y a à ce jour aucun consensus parmi les archéologues pour fixer le berceau géographique originel d’un hypothétique peuple indo-européen originel, ni pour retrouver ses déplacements ultérieurs dans l’espace.” Ainsi semble vouloir aussi s’effriter donc, le mythe de notre origine dite “indo-européenne”… Place donc à nos “ancêtres les Gaulois” et à d’autres manipulations de l’histoire.
Dans un premier temps, nos livres d’histoire sont particulièrement silencieux sur la période de l’Europe celtique qui s’est étendue de vers l’an 800 avant notre ère jusqu’à la conquête romaine. De plus, le seul écrit dont nous disposons en référence à la conquête de la Gaule par les Romains est le livre de Jules César “La guerre des Gaules”, que César compila l’hiver qui suivit la défaire gauloise d’Alésia. Nous disons “compila”, parce que le livre est essentiellement une synthèse des rapports que César envoyait au sénat de Rome pour rendre compte de ses campagnes et continuer d’être soutenu et validé par l’état romain dans ses conquêtes. “La guerre des Gaules” peut et doit donc être vu comme un ouvrage de propagande glorifiant son auteur. Comme nous le dit Demoule : “César doit expliquer pourquoi il s’est lancé en six ans de conquête de l’ensemble de la Gaule, ce que personne ne lui demandait, mais qui lui a permis d’amasser des forces militaires considérables. Il doit donc présenter ses adversaires comme des barbares dangereux afin de ne pas diminuer ses propres mérites militaires.” Ceci constitue la première déformation historique ; la seconde, près de 2000 ans plus tard, au XIXème siècle dans la foulée de la révolution française et la construction de l’identité nationale.
“Avant, il n’y avait pas de nations, mais seulement les sujets souverains de droit divin, qui agrandissaient leurs royaumes au gré des guerres ou des mariages, ou les voyaient aussi se rétrécir. Désormais, les nations sont des nations des “communautés de citoyens”, animées par un même destin depuis des temps immémoriaux. […] La France donc, à partir de la révolution, s’enracine dans la “Gaule” et nos ancêtres sont les “Gaulois”. Comme ils sont finalement vaincus, tout comme la France le sera par la Prusse en 1870, les historiens français appliqueront inconsciemment le modèle du récit chrétien : Vercingétorix, qui se livre aux Romains, est un peu comme le Christ, qui se sacrifie pour nos pêchés, tué d’ailleurs par ces mêmes Romains quelques quatre-vingts ans plus tard. Le héros gaulois dans l’iconographie du XIXème siècle, en a souvent la même coiffure blonde. Le modèle chrétien permet d’admettre et de penser la construction d’un mythe national sur un évènement peu glorieux: une défaite.
Et pourtant, la Gaule n’a jamais existé. César le dit lui-même dès la première (et célèbre) phrase de son livre : ‘toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l’une est habitée par les Belges, l’autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes et dans la nôtre Gaulois. Ils diffèrent entre eux par le langage, les institutions et les lois.’ Autrement dit, la ‘Gaule’ n’est qu’un espace géographique, lui même habité par des peuples très différents les uns des autres dont certains sont appelés “Gaulois” par les Romains. […] Au cours de la guerre des Gaules, certains de ces peuples lutteront contre les Romains, d’autres à leurs côtés, parfois au prix de renversements d’alliances, un peu comme les chefs de guerre de notre époque en Afghanistan ou ailleurs. D’où la notion “d’indiscipline’ faite aux Gaulois par le XIXème siècle : anachronisme total puisqu’il n’y avait pas de nation gauloise.”
Ainsi, depuis cette période de conquête, l’occident est passé sous un mode de gestion légal dicté par le “droit romain”, toujours la base du droit de nos républiques de plus en plus bananières. Les Gaulois et la civilisation celtique, qui fleurissait du Danube à l’Irlande depuis 800 ans avant notre ère, et qui furent à l’origine de l’âge du fer, se devaient d’être passée sous silence, afin de ne pas faire d’ombre à l’héritage romain jugé si fructueux. Il était donc très utile de faire passer nos Gaulois pour des barbares, soudards et indisciplinés ne demandant qu’à être “civilisés” par la grande culture romaine. Demoule poursuit :
“Cette vision misérabiliste des Gaulois est en totale contradiction avec ce que nous montre l’archéologie de ces dernières années, archéologie qui nous fait ainsi relire autrement les textes des historiens grecs et romains. En effet, les sociétés à chefferies de l’âge du bronze et du fer, que nous avons décrites au chapitre précédent, ont évolué dans les derniers siècles avant notre ère. Elles ont continué à suivre cette trajectoire historique faite d’oscillations entre les périodes plus fortement hiérarchisée, aux tombes plus riches et des périodes aux différences sociales bien moins marquées. […] Pourtant cette opulence et cette puissance s’effondrent au bout de trois ou quatre générations: crise politique d’un système trop oppressif, disparition des réseaux commerciaux, difficultés économiques ? sans doute tout cela à la fois. Succède alors au Vème siècle avant notre ère, une société beaucoup plus égalitaire et plus simple, où hameaux et fermes parsèment les campagnes, tandis que la population continue de croître.”
Puis viendra le temps des oppida à partir du IIème siècle avant notre ère, grande villes fortifiées, certaines capitales de véritables états organisés. L’archéologie a aussi démonté un mythe tenace, celui de ces braves Gaulois vivant dans des villages de rondins au fin fond de denses forêts, chassant le sanglier et festoyant quand ils ne se battaient pas entre eux ; mais en fait :
“Les campagnes sur lesquelles régnèrent dans les trois derniers siècles avant notre ère, les premières villes gauloises, n’avaient rien de de ces humbles villages de huttes rondes, perdus au milieu des forêts, auxquels les manuels scolaires nous ont habitué depuis si longtemps. Les campagnes gauloises étaient en fait jalonnées de grandes fermes prospères, réunissant de grandes maisons de maître, des bâtiments agricoles et artisanaux, ainsi que des habitations plus modestes. Elles étaient souvent entourées de palissades voire de fossés et étaient pourvue d’entrées monumentales. Plusieurs centaines de ces fermes ont été fouillées en France grâce à l’archéologie préventive. […] L’une de ces fermes les plus vastes mises au jour en France est celle de Paule, en Bretagne, dont on peut suivre l’évolution sur six siècles. Au IIème siècle avant notre ère, elle s’étendait sur 10 ha et l’habitation principale était une véritable forteresse.
[…] Blés, épeautres, orges et millets forment l’alimentation végétale privilégiée, consommée sous forme de bouillies et de galettes… La chasse ne joue plus aucun rôle alimentaire et n’est plus qu’un passe-temps aristocratique. N’en déplaise à Obélix, les Gaulois ne mangent pas de sanglier, même si cet animal jouait un rôle important dans la représentation mythologique. En revanche, le porc domestique représente environ les deux tiers des animaux consommés, à côté du bœuf et du mouton et les salaisons gauloises sont d’ailleurs réputées jusqu’en Italie.
[…] Pour autant peut-on parler d’un héritage gaulois par delà la conquête romaine ?.. […] La majorité de la population de la Gaule romaine était de souche gauloise et si la langue française elle-même provient du latin, ce latin là a été marqué par le substrat des langues celtiques de la Gaule, dont certains mots si familiers, intégrés au latin gallo-romain, sont parvenus jusqu’à nous.”
A suivre…
Site personnel de Jean-Paul Demoule: